Margarita Charykova n’est personne : juste une fille de 25 ans, née sans sphincter ni rectum, dont la santé exige des soins constants, et qui est en danger de mort dans une prison moscovite. Sa faute ? Avoir boosté ses anti-douleurs, semble-t’il. « Ma fille est en train de pourrir vivante », dit Erika, Kaminskaïa, sa mère.

Margarita Charikova n’est pas l’avocat Serge Magnitsky, ni Vassili Alexanian, détenu dans le cadre de l’affaire Youkos, laissé sans soins ( il est mort du Sida peu après sa remise en liberté ). Plus proche sans doute de Vera Triforonova - morte d’une insuffisance rénale non soignée - ou de Vadim Ermakov, atteint de troubles psychiques et littéralement mort de faim, des prévenus ordinaires, comme elle. Présumés innocents, ayez une santé de fer !
On sait peu de choses sur Margarita, hormis ce que peuvent en dire sa mère, les défenseurs des droits de l’homme et membres de la Commission citoyenne d’observation des lieux de détention qui lui ont rendu visite en prison. Une vie qui a commencé durement : née avec une rare malformation ,elle a subi 15 interventions avant d’atteindre ses 18 ans. Son système digestif « réinventé » est des plus fragiles, et elle ne peut se nourrir que d’aliments mixés. Son anus artificiel exige des précautions sanitaires permanentes. Cela et quelques photos, pâle gamine en jogging rose vif, ou souriante derrière d’énormes lunettes de soleil.

Margarita Charikova , jusqu’au 11 décembre 2012, menait une vie presque ordinaire : barmaid, rolleuse… Malgré la douleur, quasi permanente, contre laquelle les antalgiques prescrits étaient impuissants. Pour tenir, Margarita avait pris l’habitude de les mélanger à des amphétamines artisanaux qui lui valent aujourd’hui de se retrouver en prison, soupçonnée de stockage en vue d’une vente. La pharmacopée-maison est une vieille habitude en Russie, des cataplasmes de moutarde à la chimie bricolée : autrefois parce qu’il y a avait pénurie, aujourd’hui parce que les médicaments sont trop chers, ou les consultations, dans le public, trop espacées.
Depuis le jour de son arrestation – un piège tendu par le Service d’Etat de contrôle des stupéfiants ( encouragé, ces temps-ci, à faire du chiffre)- rien de nouveau en termes d’enquête : régulièrement on répète à la jeune femme que des aveux seraient bienvenus. « Comment leur expliquer qu’elle mélangeait un amphétamine à ce remède seulement pour être un peu soulagée de ses douleurs infernales ? Et qu’elle n’avait absolument pas l’intention d’en vendre à qui que ce soit ! Hier elle m’a dit : « Maman, ils veulent que j’avoue des faits qui n’ont jamais existé », répète, de télévision en journaux, Erica Kaminskaïa, sa mère.
La Cour européenne des Droits de l’homme a été saisie en urgence, mais l’urgence, dans la vie de Margarita Charykova, s’accélère. «Privée de soins, elle a le rectum suintant de sang qui dépasse de l’anus artificiel, le système digestif encombré, elle montre des signes évidents d’intoxication et elle fait un œdème généralisé (..) J’ai pu avoir deux parloirs avec elle, continue Erika Kaminskaya. En ce moment, elle a une infection purulente, malodorante. Elle est littéralement en train de pourrir vivante, elle éprouve des douleurs terribles. » Le médecin légiste de Saint Petersbourg qui a pu l’examiner lorsque Margarita a été transférée dans un « état critique » à la prison-hôpital de Matrosskaya Tichina dit – en termes médicaux – la même chose, évoque des complications « potentiellement mortelles » et conclut qu’une hospitalisation en service spécialisé est nécessaire. Les médecins de la prison l’on dit à Margarita : ils ne savent que faire, ne sont pas équipés pour son cas.

Il y a pourtant, en Russie, une liste de maladies incompatibles avec la détention, seulement voilà : la très rare malformation de Margarita n’en fait pas partie. On pourrait peut-être considérer que le paragraphe concernant les « maladies graves du système digestif » pourrait s’appliquer ? Que non. Opter pour une détention à domicile ? Non.
Toutefois, le relais des blogs ( d’où celui-ci, d’ailleurs), des protestations, des chroniques, une intense circulation internet ont eu un modeste effet : le 17 mars dernier, alors que tout bien réfléchi on décidait de réexpédier la jeune femme à la prison no 6, l’administration de celle-ci a annoncé qu’une demande avait été envoyée au ministère pour un transfert aux fins d’examen par un spécialiste.
Un journaliste a insisté : cela veut dire quoi, en termes de délais ? Ah ça, a répondu l’administration, ça dépend du ministère. De la réponse, plus ou moins rapide. Et après, encore faudra-t’il trouver une place à l’hôpital… C’est bien vrai : en prison, on en trouve toujours, de la place – Margarita est détenue avec onze compagnes de cellule- mais à l’hôpital ?
Interview d'Erika Kaminskaïa ( en russe, hélas pas de sous-titres)