Le sujet fait consensus alentour. Habitants, élus de tous bords, commerçants, personne ne veut plus du site d’enfouissement de « déchets ultimes non dangereux », 45 hectares de poubelles dans des casiers débordants, que seuls des milliers de goélands apprécient. En résumé, ça empeste, et loin. Elle a un nom, cette odeur : H2S, soit le gaz qui émane des algues vertes[1], pour situer. Œuf pourri est le terme qui revient le plus souvent.

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Pour les riverains immédiats (on a ouvert le site entre trois villages), c’est irrespirable, et permanent. « Moi qui dormais fenêtre ouvertes, fini », « je n’ose plus accrocher mon linge dehors ».
Ailleurs, c’est selon les vents, les pluies,le ciel haut ou bas, l’état des casiers. Lorsque la page Facebook de l’association ECPEE [2]qui lutte depuis 23 ans a lancé un appel à témoignages, ils sont arrivés par centaines, dans un rayon de vingt kilomètres, dans les terres et sur le littoral. D. nageuse émérite, été comme hiver et sans combi, est sortie de la mer. L'eau à 12°, ok, mais l'odeur était insupportable..
Et pourtant, elle n’aurait jamais dû exister, cette décharge. En 2002, par deux fois, en première instance et en appel, la justice a annulé l’autorisation préfectorale d’exploitation. Ca s’écrit vite mais pour Annie, Gabrielle et les autres, les premières à se mobiliser, ce fut une longue série de pot-au-feu solidaires et autres moyens de collecter assez d’argent pour payer l’avocate, Corinne Lepage. La Spen, qui n’était pas encore la Spen/Veolia n’est pas allée en cassation. Elle a déposé un second projet presque identique au premier, et zou. Toute la procédure à refaire, et plus un sou.
En vingt ans, la Spen/Veolia s’est montrée fort accueillante, et a rentabilisé au maximum : les déchets sont venus d’un peu partout, 150 000 tonnes par an. Incinérateur en panne à Rennes ? On prend. Mayenne surbookée ? On prend. Résultat : deux camions par minute pour les malheureux qui sont sur le chemin, casier surdimensionné qui devient ingérable, débordements.

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A tel point qu’en 2024, après avoir constaté que la hauteur des poubelles décomposées ( les lixiviats, terme exact) atteignait jusqu’à 5 mètres dans des casiers au lieu des 50cm réglementaires, après qu’un drone a repéré plus de 50 fuites, la préfecture a imposé une astreinte de 1000 euros par jour jusqu’à mise en conformité. Pas de quoi ruiner Veolia, mais au bout de quelques mois furent frétés des camions de pompage, qui ont trimballé les excédents jusqu’au centre de la France ( transition écologique, quand tu nous tiens). Et c’est reparti comme avant ou presque : d’inefficaces brumisateurs tentent de juguler les odeurs, la noria des camions se poursuit.
Mais Veolia a eu une grande idée : puisque son droit d’exploitation s’achève en 2030, pourquoi ne pas doubler la mise, et s’agrandir ? 45 hectares de poubelles en plus pris sur les terres agricoles ? Cette fois, rien ne serait épargné. Ni le tourisme qui fait vivre du monde. Déjà Valognes, le « Versailles normand » a parfois droit à de puissantes effluves, des locataires de gîtes se sont enfuis ( le bon air du « Cotentin nature » n’était pas au rendez-vous). Ni évidemment de nombreux habitants. Montebourg, ses écoles, collèges , lycée, Ehpad, se retrouveraient en première ligne ( aucune enquête sur les effets du H2S récurrent n’a eu lieu)
Du coup, l’ECPEE, qui végétait un peu, a repris du poil de la bête. Dans l’ensemble, ici, on ne descend pas dans la rue si facilement. Le côté « farouchement modéré » des habitants attribué à Tocqueville, sans doute. Mais là, à deux reprises, trois cents , deux cents manifestants se sont regroupés devant le Veolia du Ham, en se bouchant le nez. Des pancartes s’affichent, « Maxi profits pour Veolia, maxi odeurs pour les habitants ». Gabrielle a 96 ans, elle était là dès 2002, encore là au printemps dernier. Elle était là aussi, dans la cave de la Poste, quand les bombardements de 1945 ont détruit sa ville. Là encore dans les baraquements, après. Elle en a vu. Œil vif, parole haute quand elle reprochait aux inquiets d’aujourd’hui d’avoir été si absents, avant. Elle n’avait plus grand chose à gagner pour elle. mais elle assure. La relève semble maintenant assurée.
Le Comité d’agglomération du Cotentin , il y a peu, a élu à sa tête Christèle Castelein ( droite), opposante farouche à l’extension Veolia. Dès décembre ledit comité avait voté contre celle-ci, à la quasi unanimité.
Sebastien Fagnen, sénateur PS de la Manche, vient d’adresser une lettre bien sentie à la ministre de l’environnement Agnès Pannier-Runacher, décrivant le potentiel catastrophique d’une extension, et dénonçant le mépris dans lequel Veolia tient les habitants.
Manque à l’appel l’ex-candidat NFP ( un Vert) de la circonscription, Guillaume Hedouin[3] , qui affiche sur FB son souci des « territoires » qu’il ne faut pas laisser au FN, mais jamais vu ici.
Ca devrait aller, alors ? 2030, fin de contrat, opposition massive ? Euh… En ces temps de reculs environnementaux, pas si sûr. Il y a trois jours, la préfecture de la Manche a pris un arrêté mettant une nouvelle fois la Spen/Veolia en demeure de remédier aux nombreux manquements dans la gestion du site, alertant sur les risques de pollution. Mais cette fois l'arrêté n'est accompagné d'aucune mesure coercitive.
Veolia dit bien qu’en fait, cette extension, ils n’y tiennent pas tant que ça. Mais a entrepris les propriétaires de terres autour de son site, passé des accords pour des achats éventuels, avec éviction de jeune agriculteur. In fine, c’est l’Etat , que Veolia fréquente, qui décidera. Loin des odeurs, loin du cœur.
Welcome, Jean-Michel Blanquer.
[1] A faible concentration, odeur forte et irritations des yeux, maux de tête, vertiges pour les plus sensibles. A forte concentration, plus d’odeur, mais danger de mort. On parle ici de concentration faible, mais très fréquente.
[2] Ensemble contre le centre d’enfouissement d’Eroudeville,
[3] Contacté, il n’a pas répondu. Il est vrai que pour l’heure il est occupé à briguer le poste de porte-parole des Verts.