Pas si sympathique, ce Khodor, comme disent ses amis qui eux aussi doivent s’embrouiller sur le clavier en tapant son nom. Le genre premier de la classe sûr de lui. Sa maman, qui a tout l’air d’être un peu rebelle, lui dit qu’il lui fait honte en s’engageant dans les komsomols. Il ne lui demande pas pourquoi – l’écoute n’est pas le fort du monsieur – il creuse des tas de tranchées pendant l’été, mais on n’a pas réussi à lui imputer une de ces infamies qui sont le lot des jeunes cadres communistes militants de l’époque . En fait, il réorganise, au top, les adhésions, cotisations. Pour un peu, il en ferait un truc rentable. Son rêve alors, dit-il, c’est de travailler pour l’armement.
Il le dit, là bas, du fond de sa Sibérie : j’étais un communiste convaincu. Sauf qu’il trouve qu’il y a maldonne quelque part, point de vue efficacité.
Avec le début de la perestroika, semble-t’il, le jeune communiste convaincu, jeune marié et jeune pauvre fourmille d’idées. Il fonde donc, d’abord, une société de conseil : comment devenir performant. ( Et aussi une société qui vous délave les jeans en un rien de temps, il n’a pas fait chimie pour rien).
Puis, et ça, c’est le coup de génie financier, il comprend avant les autres que l’avenir gît dans l’ordinateur individuel, qu’il importe massivement. Puis, que la banque, waouh.
Un garçon doué. Il ne faut pas oublier que cette génération entreprenante fut d’abord formée.. par l’école communiste. On y enseignait – avec les commentaires idéologiques ad hoc – les rouages de l’économie capitaliste. Sans dentelle, sans effet. Ils n’avaient jamais vu une carte Visa, mais savaient ce que dégager une plue value veut dire.
Khodorkovski se distingue vite de ses camarades oligarques, mais sur des points de détail. Ce n’est pas un amateur de fêtes à tout casser, il a des montres fonctionnelles, point, il se balade en jean, il se contrefiche des voitures, et quand on lui demande pourquoi il n’a pas de toiles de maîtres dans son bureau il répond qu’il n’y connaît rien, il préfère le vide au n’importe quoi. Il n’est pas très bon vivant. Un simple bourreau de travail. Lorsque les enquêteurs du FSB chercheront à en savoir davantage, chou blanc.
Comptes suisses : deux, dûment déclarés.
Propriétés à l’étranger : néant.
Un bilan que peuvent lui envier, façon de parler, les héritiers Eltsine, voire, Vladimir Poutine dont les gains personnels, acquis durant ses deux mandats – et pour une bonne part dans le pétrole – s’élèveraient à environ 40 millions de dollars ( Wall street journal, Die Welt, The Guardian, The Moscow Times), sans compter les bricoles, comme son appartement parisien.
N’empêche, Khodor n’est pas très emballant, à l’époque. Certes, pour éviter le krach de 98, il plaide en faveur d’une dévaluation du rouble, mais que peuvent faire des affairistes contre le FMI qui, lui, impose le contraire ? Il soutient Eltsine, donné perdant face aux communistes, il rachète ensuite Ioukos, assez cher vu l’endettement de la firme. Il n’est pas mauvais pour les enchères truquées : douze firmes bidon enchérissent, onze se dédisent, toutes appartiennent au même. Le moins disant l’emporte, avec la bénédiction des autorités.
Son truc, à l’ex-komsomol, c’est toujours l’efficacité. Que ça roule, tout ça. On se sert, un peu partout, dans les allocations subsides et budgets alloués par l’Etat ? Il court-circuite celui-ci en permanence, livrant le mazout de chauffage s’il le faut. Stressant ses cadres, au courant de tout. Cet amoureux de la diapo explicative est en effet, meilleur que l’Etat, incarné par un Eltsine que l’on remet sur pied quand nécessaire.
Il a donc sa part de responsabilité et sa part de pertes dans le krach d’août 1998. Ce fut pour lui, dit-il, une prise de conscience. En fait, ( le Kremlin néglige de l’avertir du krach imminent), même si Ioukos surnage très bien, avec force nuits de travail, génie financier de Platon Lebedev, méthode Coué « on va s’en sortir », Khodorkovski est choqué. Les petits épargnants russes ont perdu, et ils acceptent. Si peu d’insultes, si peu de révolte.
Il l’écrit à Valery Paniouchkine, à ce moment là, « la carapace s’est fissurée ». Il lui apparaît soudainement qu’une entreprise, ce n’est pas seulement une production, mais aussi un ensemble de personnes. Riche, il l’est. Et après ? Parfois, pour la perspective, il suffit d’un pas de côté.
Il l’écrit, sa fortune n’est rien, si elle n’est que sa fortune. Transparence, démocratie, efficacité toujours, philanthropie bien comprise. Alors que la Russie est encore dans un film économique catastrophe, il commence à jouer dans un film de Frank Capra ( avec un petit fond komsomol).
Ce patron social déménage ses ouvriers, jusque là aussi mal lotis qu’ailleurs, dans des maisons plus confortables, et plus proches du lieu de production. Il ouvre des camps d’été – quelque chose entre le holiday camp et le chantier de Pionniers – où l’on apprend la citoyenneté avec force jeux de rôles.
Il fait bâtir un lotissement confortable à l’orée de Moscou, où les tops managers de Ioukos peuvent emménager avec leurs familles. Et hop, dans le grand rêve américano-russe, on jogge sur les allées privées et dans la neige, tendus vers un but unique. La maison de Khodor est confortable, brique et bois, mais pas luxueuse. Il reçoit dans la cuisine, en bon russe, sert le café, il n’y a pas de personnel.
Il s’en va trouver le fisc pour étaler les remboursements : l’administration réclame alors aux entreprises 100% de leur bénéfices, il faut donc négocier ou tricher.
Forbes l’encense.
Enfin, il fonde ce fameux orphelinat modèle, où les enfants de victimes - russes - des guerres ou attentats, les derniers en date venant de Beslan, feront partie de cette élite dont il rêve. Il confie la gestion du lieu à son père, Boris Moissevitch, à sa mère, Maria Phillipovna. Il leur refile les vieux ordis de Ioukos, c’est un économe. ( D’où la perquisition à l’orphelinat, le FSB fantasme sur les vieux disques durs).
Il s’inscrit ainsi dans une certaine tradition russe, grandiose, utopique, il n’est plus tout à fait dans la réalité du pays, cependant.
En février, à Chita, Sibérie, où Khodorkovski comparaissait pour s’entendre signifier les nouvelles charges qui pesaient sur lui , un seul media occidental était présent, le Financial times, ce qui est un peu dommage, ceci sans acrimonie contre un journal performant dans son domaine. Khodorkovski, en grève de la faim depuis 9 jours pour qu’Aleksanian puisse être soigné, a ainsi donné à Neil Buckley son premier interview depuis son arrestation, quarante minutes dans le couloir du tribunal. Teint jaune, amaigri, cheveux plus gris, plus rare, note Neil Buckley.Sans jamais oublier, à l’évidence qu’il était détenu en Sibérie et seul la majeure partie du temps. Conditions de détention ? Normalno, dit-il, point barre, pour ce pays ( meilleures, semble-t’il que dans le camp où il a purgé sa peine). Il y a ici des gens qui ont encore une conscience. Grève de la faim ? Que puis-je faire d’autre ? Avouer, et on le soigne. Et j’entraîne avec moi des tas d’innocents. Me défendre, et je le condamne à mort. Il n’y a aucune bonne solution, sauf la grève. Porte-bannière du droit des détenus ? Non, il a reçu la visite du procureur venu s’assurer que ça allait. La semaine suivante, le procureur a du faire face à une interminable queue de détenus qui voulaient lui faire part de ce qui allait moins bien. En lutte pour la démocratie ? Pour l’heure, il croit en la loi. Respectée, et appliquée, ça serait déjà ça. Medvedev, nouvelle donne ? Très difficile pour lui, très , très, euh, tout ce qu’on peut faire, c’est espérer. « Il ne sortira qu’avec un changement de régime et je crois qu’il le sait », précise maria Phillipovna à Moscou. Vous savez, dit Khodorkovski en conclusion, en fait je suis optimiste. C’est sans doute ma nature. Mais je suis optimiste. Saint Capra.
Encore trop long, je feuilletonne.