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Billet de blog 31 juillet 2009

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Adieu Gary, urgence de la magie

Le film de Nassim Amaouche a été primé à Cannes, Semaine de la critique, y jouent un Jean- Pierre Bacri grand cru, uneDominique Reymond en sobriété à triple fond, de jeunes acteurs remarquables. C’est un petit chef d’œuvre, une heure quinze de vrai cinéma, celui du plaisir magique, mais tout cela n’a pas suffi : sortie nationale en début d’été, diffusion erratique, Adieu Gary mérite bien mieux – un bouche à oreille intense, par exemple – hier soir, au Théâtre de Poitiers, nous n’étions qu’une dizaine d’enchantés.

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Le film de Nassim Amaouche a été primé à Cannes, Semaine de la critique, y jouent un Jean- Pierre Bacri grand cru, uneDominique Reymond en sobriété à triple fond, de jeunes acteurs remarquables. C’est un petit chef d’œuvre, une heure quinze de vrai cinéma, celui du plaisir magique, mais tout cela n’a pas suffi : sortie nationale en début d’été, diffusion erratique, Adieu Gary mérite bien mieux – un bouche à oreille intense, par exemple – hier soir, au Théâtre de Poitiers, nous n’étions qu’une dizaine d’enchantés.

Le pitch, tel que parcouru dans la presse locale, est propre à donner un fort sentiment de BA cinématographique : une cité ouvrière quasi abandonnée depuis la fermeture de l’usine, un jeune sortant de prison qui y retourne, l’entêtement de la survie et un ado qui croit dur comme fer que son père est Gary Cooper.

Tout ceci est exact, et faux. Ce film est bien dans une réalité sociale, il parle bien de maintenant, mais il montre surtout la capacité à s’inventer dans le désastre, la fraternité sans mot,il est chronique drôle et triste de destins en cours, il est transcendé par un imaginaire et une force vitale, un onirisme pur plaisir. Oh, il en dit long sur la politique, l’identité des beurs et des ouvriers en voie de disparition, sûr, saufqu’il n’en parle jamais ou presque.

Interviewé à Cannes ( ci-dessous), Nassim Amaouche s’embrouille – ses images parlent pour lui, il y a du Tati en lui, et plus jamais vous ne regarderez une tête de gondole sans amitié – il est très clair néanmoins, il prononce un mot important : élégance. Pourquoi, dit-il en susbtance, aurais-je dûbuter sur le naturalisme pour rendre compte d’une réalité sociale ?

Elégance, tout le film est élégant, en effet. Elégance que l’on retrouve, par exemple, chez Carné-Prévert, ou plus récemment chez Jia Zhang Ke (The world, Still Life).

Elégance, cette cité ouvrière – je me suis renseignée dans l’intervalle – abandonnée, en voie de, construite en 1926 par les ciments Lafarge, main street dite « à la gênoise », soit à un bout la Maison du peuple qu’on vide pour de bon, l’église déjà close, des escaliers, entre deux portes murées, où l’on a envie de s’asseoir, point de hauteur, une proximité lumineuse, bordée de platanes.Un endroit qui fut lieu d’un élan, qui rebondit sur les décombres, habité, oui, habité. Le lieu de tournage, qui réinvente la cité et le droit de cité.

Images venues du sud – l’Ardèche, en l’occurrence – où l’on torée devant un train qui emporte les dernières pièces de l’usine fermée. Où l’on deale, d’où il faut partir.

Elégance de Sabrina Ouazani, remarquée déjà dans les films de Kechiche ( l’Esquive, La graine et le Mulet), qui irradie d’une sensualité proche de films italiens qui toujours nous habitent.

Elégance de l’amour esquissé.

Elégance du propos lorsqu’une machine ressuscitée qui bat sourdement, cœur menaçant,précipite les habitants au fenêtres et dans la rue.

Elégance du propos, toujours, lorsque Gary Cooper, en effet, est parmi nous. Que le film ne conclut pas.

Elégance du jeu des acteurs, il faudrait les citer tous.

Nassim Amaouche :il a tourné avant des documentaires de création, multi-primés, je ne sais rien de lui, sauf ça, un cinéaste.

Je ne m’inquiète pas pour l’avenir de son film. Il fera DVD, de ceux que l’on se prête et se repasse. Mais il est bon, ce film là justement, de le voir en salle de cinéma y compris désertée, car alors un peu de son humanité nous baigne tous : nous ré-apprend.

Inélégance de la vie. Yasmine Belmadi, je l’ignorais en voyant le film hier, ou plutôt, je n’avais pas fait le rapprochement, est ce jeune acteur qui porte, qui ressemble tant au réalisateur, visage traversé, larmes devant les saules brassés par le vent du Rhône, douceur résistante, déjà pas mal de films à son actif, qui interprète, et il interprète, en vrai passeur, le rôle du jeune homme sortant de prison, celui dont le regard appartient au lieu, et s’en détache, aussi.

Yasmine Belmadi s’est tuéil y a quelques jours, son scooter a percuté un lampadaire. No comment, et tristesse, mais puisqu’il est possible de le voir, de le voir jouer, alors, surveillez la presse locale, ses pitches décourageants, roulez quarante kilomètres, car on voit dans ce film, sur ces visages, ce qui permet de vivre.