‘’Peine de mort : réflexions sur un sujet qui fâche’’ est le premier chapitre du dernier ouvrage de Frédéric Valandré : « Justice criminelle : dossiers brûlants », préfacé par Maître Gilles Antonowicz (in Edition Tatamis, Blois 2014).
14 x 20 cm, 306 pages, 20 euros Editions Tatamis, 103 rue Albert 1er, 41000 Blois http://www.tatamis.fr/sites/journalisme/article/article.php/id/111559
L’auteur de cet excellent ouvrage n’a pas changé d’avis, lui qui est toujours droit dans ses choix : il annonce clairement qu’il est pour la peine de mort. Mais, qu’il n’est pas pour le lynchage et qu’il n’est pas pour le retour de la guillotine. Plus encore, il demande un référendum pour demander au peuple français s’il faut rétablir la peine de mort.
Alors que je suis viscéralement opposé à la peine capitale, ce, pour tous crimes commis en temps de paix comme en temps de guerre, je ne peux que donner raison à Frédéric Valandré.
Cependant, il y existe un problème : est-ce toujours d’actualité, lorsqu’on sait que parler en faveur de la peine capitale, c’est ‘’commettre’’ une ‘’hérésie’’, ce que dénonce à juste titre Jean Robin dans son livre « Petit dictionnaire des débats interdits mais légaux » (in Editions Tatamis, Paris, 2010) ?
De plus, ce qu’une loi constitutionnelle a fait, seule une loi constitutionnelle peut la défaire !(*)
Avec sa plume pointue, critique, qui n’est pas la plume d’un porteur de stylo à bille, Frédéric Valandré, que je n’hésiterai pas à comparer à Frédéric Pottecher, connaît, plus que tout chroniqueur judiciaire, la loi, ce, bien qu’il s’en défende, lui qui déclare l’avoir étudiée sur le tas !
Il met une fois de plus cette justice en examen, allant jusqu’à fustiger certains médias, qui mettent cette justice vraiment à part en faisant de ces meurtriers, de ces pédophiles, de ces tueurs en série, des ‘’saints’’, des ‘’Robins des Bois’’ qu’il faudrait défendre coûte que coûte face à une opinion désabusée par certains méfaits commis par des éléments de notre classe politique…
Et, c’est sans concession aucune que Frédéric Valandré s’est soumis à mes questions…
Frédéric Valandré, pourquoi avoir débuté votre livre par ce chapitre sur la peine de mort ?
Franchement, je ne pense pas avoir eu une idée derrière la tête en débutant le livre par ledit chapitre. Mais en l’occurrence, ça a été un choix judicieux, puisque les premiers médias ayant évoqué l’ouvrage (Les 4 vérités hebdo, Radio Courtoisie, TV Libertés) ont été particulièrement intéressés par le sujet.
N’avez-vous pas l’impression, dans ce premier chapitre, que vous risquez de vous mettre à dos tous les partisans de la pensée unique, alors que cette loi sur l’interdiction de la peine de mort en France est devenue loi constitutionnelle ?
Les gens auxquels vous faîtes référence s’offusqueront surtout s’ils lisent ce chapitre de manière biaisée. Mon propos n’était nullement d’écrire : « Je suis pour la peine de mort, j’ai raison, les autres ont tort », mais d’expliquer pourquoi il n’y a plus de réel débat aujourd’hui sur le sujet, et pourquoi adversaires et partisans du châtiment suprême se regardent en chiens de faïence. Du reste, j’ai la faiblesse de croire que je défends un point de vue équilibré, en épinglant les extrémistes des deux bords.
Maintenant que la peine de mort est supprimée, ne pensez-vous pas qu’il faudrait que le Président de la République fasse un référendum pour qu’on mette en place systématiquement cette peine de prison à perpétuité réelle incompressible pour tous les assassins, les tueurs en série… ?
Pourquoi pas, bien sûr… mais bon, je suis plutôt favorable à un référendum sur le rétablissement de la peine de mort en France. Tout en sachant que ce n’est pas demain la veille que le Président François Hollande y aura recours ! Me Badinter lui-même était favorable à un référendum en 1976, avant de changer d’avis, devenu ministre de la Justice, en 1981 ; c’est un élément que j’ai rappelé récemment au micro de Radio Courtoisie (Libre Journal d’Henry de Lesquen du lundi de Pâques, 21 avril 2014). Dans un registre analogue, comme ne pas souscrire aux propos de Philippe Bilger, dans un livre co-signé avec un autre magistrat, Claude Grellier, et le journaliste Joseph Vebret (« Le besoin de justice », Paris, éditions Plume, 1990, p. 183) : « l’opinion publique a peut-être été frustrée d’un débat à son sujet […] il y a eu un débat parlementaire, mais il n’y a pas eu véritablement de débat populaire. »
Concernant la perpétuité dite « réelle » ou « incompressible », elle existe déjà en France, mais elle est appliquée assez rarement. Parmi les exemples récents : Nicolas Bondiau, condamné le 17 décembre 2013 par la cour d’assises du Gard pour le viol et le meurtre d’une fillette de 8 ans prénommée Océane, ou encore le tueur en série Michel Fourniret (décision de la cour d’assises des Ardennes, 28 mai 2008).
« Outreau, Francis Heaulme, Emile Louis, Ranucci, Hardy, Seznec, Dominici, Touvier etc. » sont des dossiers brûlants, que vous développez dans votre ouvrage. Pourquoi, selon vous, il y a, en France, cette manie de déceler de sombres conspirations ?
Je ne suis pas psychologue, voyez-vous, mais je serais tenté de dire que cela fait un peu partie de la nature humaine. Quand une affaire judiciaire paraît trop simple, d’une simplicité enfantine même, on peut ne pas s’y résoudre… dès lors, il est tentant de l’embrouiller à loisir, de voir des anguilles sous roche dans tel ou tel aspect de l’affaire. Le raisonnement fonctionne aussi en sens contraire : un dossier criminel complexe est alors simplifié à l’extrême. J’ajoute que, selon moi, ce n’est pas forcément une manie typiquement française.
Pour compléter cette question, vous trouvez anormal que, face à des affaires judiciairement closes, on considère que la messe n’a pas été dite. Pourriez-vous préciser le fond de votre pensée ?
Est-ce normal ou anormal… disons surtout que je fais un constat. La vérité judiciaire est une vérité humaine, et comme chacun sait, l’être humain n’est pas infaillible : en clair, vérité judiciaire et vérité « tout court » ne sont pas forcément synonymes. Alors, lorsque nous avons le sentiment (justifié ou non) que tout ne s’est pas déroulé dans les règles, qu’il manque une ou plusieurs pièces dans un puzzle criminel, se profile l’ombre d’un doute, shadow of doubt comme on dit en anglais (c’est aussi le titre d’un film policier de Randal Kleiser daté de 1998). Ceci étant posé, être en désaccord avec une décision de justice ne signifie pas qu’il faille traiter tel magistrat plus bas que terre ou considérer tel jury d’assises comme une bande de « bras cassés »!
Ne pensez-vous pas, ici, qu’il y a une arrière-pensée médiatique et politique à vouloir déceler de sombres conspirations ?
Cela arrive, en effet. Il est évident que, quand certains disent et écrivent que Ghislaine Marchal a été victime d’une conspiration familiale ou de la secte de l’Ordre du Temple Solaire, il y a un objectif médiatique précis : relancer la thèse de l’innocence du jardinier Omar Raddad. De même, ceux qui accusent (en vrac) Fidel Castro, le complexe militaro-industriel, ou encore la famille Bush d’avoir trempé dans l’assassinat de John F. Kennedy ne sont certainement pas dénués d’arrière-pensées politiques. Ce n’est pas systématique, néanmoins : je sais que, parmi ceux et celles qui pensaient que Dominique Strauss-Kahn avait été victime d’un coup monté dans l’affaire du Sofitel de New York en mai 2011, il n’y avait pas que des admirateurs de l’ancien président du FMI.
Dans « Justice mise en examen » (in Editions Underbahn, 2009), vous avez fait le procès de tous ces ‘’admirateurs’’ de malfrats, criminels, etc… Là, on a le sentiment que vous récidivez. Mais, de vous à moi, certains médias, ne sont-ils pas responsables de cet engouement pour les criminels de tous genres ?
« Récidive », ce n’est pas tout à fait vrai : le phénomène de fascination pour les criminels n’est pas abordé de façon aussi détaillée dans mon nouvel ouvrage. C’est entendu, certains médias ont une part de responsabilité dans ce domaine, mais soyons magnanimes : ils ne sont pas tous seuls. Je ne citerai pas de noms pour ne froisser personne, mais des personnalités du spectacle (au talent incontestable, du reste) ont fait preuve d’une légèreté certaine en apportant leur soutien à des braqueurs comme Pierre Goldman et Roger Knobelpiess (encore que, contrairement à « Goldi », celui-ci n’a jamais été accusé de meurtre) ou à un terroriste non repenti tel Cesare Battisti – à ce sujet je recommande la lecture de l’excellent ouvrage du journaliste Guillaume Perrault paru chez Plon en 2005 : « Génération Battisti Ils ne voulaient pas savoir ». Goût de la transgression, de la rébellion… il y a des subtilités qui m’échappent, parfois, chez ce petit monde.
Dans l’affaire dite d’Outreau, on a vu le traitement médiatique fait avant et le traitement médiatique fait après, traitement médiatique totalement différent, qui a consisté à en mettre plein la vue sur ces acquittés d’Outreau, alors même qu’ils avaient été ‘’massacrés’’ lors de leur première comparution devant la justice de Saint-Omer. Pensez-vous qu’il faudrait légiférer pour que le traitement médiatique des affaires criminel se fasse dans le strict respect de la présomption d’innocence ?
Petite correction : le « massacre » médiatique des accusés du dossier Delay et autres a eu lieu durant l’instruction, surtout entre novembre 2001 et janvier 2002, et non au procès de Saint-Omer (4 mai-2 juillet 2004). Quant à légiférer, je n’en vois guère l’utilité. En effet, la loi 2000-516 du 15 juin 2000 (loi Guigou) prévoit déjà ce cas de figure : « lorsqu'une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable de faits faisant l'objet d'une enquête ou d'une instruction judiciaire, le juge peut, même en référé, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que l'insertion d'une rectification ou la diffusion d'un communiqué, aux fins de faire cesser l'atteinte à la présomption d'innocence, et ce aux frais de la personne, physique ou morale, responsable de cette atteinte ». Parmi les condamnations récentes pour atteinte à la présomption d’innocence, citons celles de Libération (ordonnance de référé du Tribunal de Grande Instance de Paris du 4 avril dernier, relative à des articles sur Serge Dassault) ou d’Arnaud Montebourg, qui a dû verser 2000 euros à Jean-Noël Guérini pour des propos tenus dans le journal La Provence (entretien paru le 29 mars 2011) – décision de la XVIIe chambre correctionnelle du TGI de Paris du 17 décembre 2012.
Le Juge Burgaud a été le bouc émissaire de cette affaire, attaqué lors de la commission d’enquête sur l’Affaire Outreau et attaqué par les médias. Ne pensez-vous pas qu’il faudrait, au cours d’une instruction, exiger un secret de l’instruction beaucoup plus strict ?
Dire que M. Burgaud a été attaqué relève de l’euphémisme ! Heureusement, les travaux de l’IGSJ (Inspection Générale des Services Judiciaires) fin 2005/début 2006 et les audiences devant le CSM (Conseil Supérieur de la Magistrature) du 2 au 6 février 2009 ont permis de montrer que si son instruction n’était pas parfaite, elle n’était pas aussi mauvaise que d’aucuns ont voulu le dire. Devant le CSM, Madame Odile Mondineu-Hederer a évoqué l’honnêteté intellectuelle du magistrat instructeur, et je rappelle que cette dame présidait le procès ayant abouti à six acquittements à Paris à l’automne 2005. Quant à la violation du secret de l’instruction – secret défini dans l’article 11, alinéa 1 du Code de procédure pénale – la sanction est prévue par l’article 226-13 du Code pénal : un an de prison, et 15 000 euros d’amende. Mais, convenons-en, les poursuites judiciaires sont rares, et exiger quoi que ce soit à ce sujet ne ferait guère avancer le Schmilblick. Pour en revenir au dossier Outreaux, je tiens à préciser que, si violation du secret de l’instruction il y a eu, cela n’est guère imputable à M. Burgaud. Jean-Michel Décugis, grand reporter au Point ayant contribué à lancer l’affaire au niveau national (avec son article « Pédophilie : la maison de l’horreur », publié le 22 novembre 2001) a indiqué que sa source était un avocat de la défense, persuadé de l’implication de son client dans un réseau pédocriminel. A ce sujet, se reporter à l’article de Léonard Vincent paru dans Médias (N° 25, été 2010 : « Malheur aux innocents ! », p. 22) et au documentaire de Serge Garde « Outreau l’autre vérité » (daté de 2012, sorti en salles le 6 mars 2013).
Pour en revenir à cette affaire Outreau, le procès contre le Fils Legrand va s’ouvrir. Pensez-vous qu’il s’agit du procès ‘’de trop’’, alors que Legrand Père, qui est décédé, n’est plus là pour se défendre ?
Le procès se tiendra à Rennes, du 18 mai au 5 juin 2015. Il est vrai que, l’année dernière, j’ai émis des réserves concernant ledit procès : comment distinguer les faits commis avant la majorité de Daniel Legrand fils – pour lesquels il sera jugé – de ceux datés d’après son 18e anniversaire, pour lesquels il a été acquitté ? Par ailleurs, comment ne pas craindre un cirque judiciaire tel que celui de Saint-Omer, marqué par des échanges violents entre avocats et des empoignades entre accusés ? Enfin bon, puissent mes craintes être déçues. En attendant, j’invite à lire le communiqué de Me Patrice Reviron, avocat de Jonathan Delay, consultable dans l'article de Caprouille : « Plaidoyer pour un appel à la raison dans l'Affaire dite d'Outreau par Patrice Reviron » ( cf : http://blogs.mediapart.fr/blog/caprouille/180514/plaidoyer-pour-un-appel-la-raison-dans-l-affaire-dite-d-outreau-par-patrice-reviron )
Revenons à Francis Heaulme. Comme on sait, son procès a été renvoyé, ce, à son grand désarroi. Ne pensez-vous pas qu’il s’agit également d’un procès ‘’de trop’’ ?
Il est vrai que le 4 avril dernier Francis Heaulme a adressé une lettre à son avocate Me Liliane Glock, exprimant son incompréhension face au renvoi du procès de Metz. Moi, je pense d’abord au profond désarroi des familles des victimes, Cyril Beining et Alexandre Beckrich. On peut estimer, bien sûr, qu’un procès ne sera jamais de trop si il permet d’éclaircir des zones d’ombre, voire d’amener à la vérité. En tout cas, on ne m’empêchera pas de penser que le dossier en question est une histoire de fous, et je renvoie le lectorat à mon billet du 3
avril dernier : http://blogs.mediapart.fr/blog/valandre78/030414/affaire-de-montigny-les-metz-reflexions-sur-un-proces-mort-ne
Dans d’autres affaires, certains juges, certains policiers ou gendarmes… ont ‘’bâclé’’ les enquêtes qui leur ont été confiées… Je pense à l’affaire Grégory, à l’Affaire de Bruay-en-Artois, qui fait que beaucoup d’affaires n’ont pas été résolues ou ont été résolues bien trop tard. Ne pensez-vous pas qu’il faudrait donner plus de moyens à l’institution judiciaire pour enquêter à charge et à décharge ?
Enquêtes bâclées, je ne serais pas aussi sévère, mais des erreurs ont été commises, bien sûr… et dans les deux cas de figure que vous évoquez, il n’était pas encore question d’analyses d’ADN, et c’est fort dommage ! Quant à dire que la justice française manque de moyens, c’est comme dire que deux et deux font quatre ; je reviendrai sur ce point ultérieurement.
Pourquoi avez-vous, dans votre livre, fait le choix de parler d’affaires classées depuis de nombreuses années ?
Remarque préliminaire : je ne suis pas forcément à mon aise pour évoquer des dossiers qui sont encore à l’instruction, des enquêtes en cours… c’est notamment pour cela que je n’ai pas écrit un seul article relatif à l’affaire DSK en mai/juin 2011. Quant aux affaires classées, comme je pense l’avoir démontré dans mon livre, elles le sont avant tout sur le papier. Dans les faits, les choses se présentent différemment, et c’est ce point précis qui m’intéressait. Du reste, il est des dossiers fermés qui ont été rouverts, tel celui du double meurtre commis le 28 septembre 1986 à Montigny-lès-Metz (affaire Dils/Heaulme/Leclaire).
La réforme pénale de Christiane Taubira, y êtes-vous favorable ? Si oui, pourquoi ? Si non, pourquoi ?
Je ne suis pas favorable à cette réforme, qui privilégie un peu trop l’aspect préventif au détriment de l’aspect répressif. J’ai récemment appris que la contrainte pénale, cette peine remplaçant l’incarcération par une obligation de soins, de formation et d’indemnisation des victimes, pourrait être étendue à l’ensemble des délits. Y compris les délits les plus graves ? Cela irait à rebours des intérêts comme des souhaits d’une large partie de nos concitoyens, favorables à une politique pénale de fermeté. Sur un plan plus technique, il faut savoir qu’un illustre prédécesseur de Madame Taubira, Robert Badinter, a exprimé des réserves, parlant de « risque de constitutionnalité » devant le Sénat, le 30 avril dernier : « Il ne serait pas constitutionnel qu’en cas d’inexécution, un juge de l’application des peines saisisse un autre juge qui prononcerait alors une peine d’emprisonnement ».
Ceci dit, je ne veux pas faire porter à Christiane Taubira un chapeau trop large pour elle. Je l’ai écrit dans un article pour le site Enquête & Débat : « l’incendie de véhicule est théoriquement passible de dix ans de prison et de 150 000 euros d’amende. ». J’y rappelais aussi les condamnations judiciaires de l’année 2010 pour destructions et dégradations (dont les incendies de véhicules) : sur un total de 9 157 peines de prison, 1 377 étaient de moins de trois mois, 1 030 de trois à moins de six mois ; les peines de trois ans de prison et plus étaient au nombre de 53 seulement. Sur l’ensemble des condamnations, 5 572 étaient avec « sursis total », soit 60, 8 %. Que je sache, ni Madame Taubira ni la gauche dans son ensemble n’étaient aux affaires en 2010. Pour lire l’article en intégralité :
Que pensez-vous de ce projet de loi gouvernemental qui permettrait que les avocats d’une personne mise en examen aient connaissance de son dossier dès la première heure de sa garde à vue ?
Je pense que tout dépend du point de vue où on se place. Pour le mis en examen, cela peut constituer un avantage, bien sûr, et si le dossier est comme qui dirait « chargé », mieux vaut, effectivement, que son conseil en prenne connaissance rapidement. Mais je ne suis pas certain que policiers et gendarmes soient sur la même longueur d’onde.
Il y a une affaire, dont vous n’avez pas parlé dans votre livre : celle de Jérôme Kerviel, ancien trader à la Société Générale. Que pensez-vous du traitement médiatique et politique de cette affaire, menée par ses avocats, par le Vatican, le Clergé français et différents partis politiques de Gauche radicale, sachant que Jérôme Kerviel doit faire ses trois ans de prison, ce que la Cour de Cassation a confirmé tout en rejetant la demande pécuniaire de la Société Générale ?
C’est à dessein que je n’ai pas évoqué cette affaire : je la connais mal, et je ne m’intéresse guère à la délinquance financière. Concernant le récent battage autour de l’ancien trader, je serais tenté de dire que c’est de bonne guerre : on se défend avec les armes qu’on a à sa disposition, après tout... et avoir des soutiens aussi éclectiques ce n’est pas donné au premier justiciable venu ! Néanmoins, tout cela peut également être contreproductif, car l’institution judiciaire apprécie rarement qu’on lui donne l’impression de lui forcer la main, d’être entraînée malgré elle dans un cirque médiatique où la nuance est souvent aux abonnés absents. Et puis Jean-Luc Mélenchon qui compare Kerviel au capitaine Dreyfus (le pauvre…), ça vaut ce que ça vaut, c’est-à-dire pas grand-chose. Peut-être la journaliste Irène Inchauspé était-elle davantage dans le vrai, lorsqu’elle faisait le rapprochement entre Jérôme Kerviel et Bernard Tapie : « Ils résistent et n’abandonnent jamais. » (« Pendant les affaires l’affaire Kerviel continue », L’Opinion, N° 35, 3 juillet 2013, p. 5)
A contrario, que pensez-vous du traitement médiatique et politique de certaines affaires dont, certains magistrats, se servent sans aucune limite, se donnant ainsi en spectacle ?
C’est indiscutable : il est des magistrats instructeurs qui ont donné l’impression de jouer les Zorro, d’être les protagonistes d’un show médiatico-judiciaire pas toujours du meilleur goût, notamment dans des affaires financières. Mais les juges, qui sont allé les chercher, justement ? Réponse de Me Marcel Normand : « ce ne sont pas les juges qui se posent en stars, ce sont les médias qui en font des stars. Prenez le cas de Pascal appelé le "Petit Juge" [Henri Pascal, le magistrat instructeur de l’affaire de Bruay-en-Artois]. Si la presse ne l’avait pas harcelé de questions, je suis certain qu’il n’aurait jamais eu l’idée de prendre les positions qu’il a adoptées [l’inculpation et l’incarcération du notaire Pierre Leroy]. » (« Plaidoyer pour les victimes », co-signé avec Alain Bisbau, Monaco, éditions du Rocher, 2004, p. 61) Bien sûr, cela n’exonère nullement ces juges « vedettes » de certaines de leurs attitudes. De toute façon, ne perdons pas de vue qu’ils ne constituent qu’une minorité sur l’ensemble des magistrats de France.
Globalement, la justice, ne manque-t-elle pas de moyen, alors qu’on sait que l’administration pénitentiaire se plaint depuis très longtemps de la surpopulation des prisons, certaines d’entre elles étant vétustes ? Ne faudrait-il pas, en même temps, construire plus de prison, et, privilégier, pour les délits les moins graves, une alternative à l’enfermement carcéral ?
Bien sûr, il faudrait plus de moyens à la justice française, et ce n’est pas un problème nouveau, hélas. Au niveau local, parfois, c’est proprement hallucinant : dans la belle ville de Saint-Malo, les locaux du Palais de Justice sont vétustes, il manque 20 % d’effectifs, il n’y a pas le moindre juge d’instruction (constat dressé le 15 janvier dernier par Le Petit Bleu.fr, hebdomadaire de Dinan et de sa région). Et, pour vérification, tapez « justice manque de moyens » sur le moteur de recherche Google, vous verrez le résultat… Certes, Madame le Garde des Sceaux s’est fixée pour objectif d’améliorer les choses, mais y arrivera t’elle ? Chacun sait que l’argent ne pousse pas sur les arbres.
Concernant les prisons françaises, l’ancien ministre de la Justice Alain Peyrefitte évoquait déjà le problème dans « Les chevaux du lac Ladoga La justice entre feu et glace » (Paris, Plon, 1981) : à l’époque, on parlait déjà de surpopulation carcérale, avec un nombre de détenus passés de trente mille à quarante mille entre 1977 et 1981, et un déficit de douze mille places (p. 354).
Une restructuration du système carcéral français est bien sûr souhaitable, mais au risque de me répéter, tout cela a un coût. Quant aux alternatives à la prison pour les délits les moins graves, peut-être faites-vous allusion au bracelet électronique ? S’il a ses avantages, on ne saurait parler de panacée : certains porteurs de bracelet commettent des infractions ou ne respectent pas les contraintes, un dispositif de localisation et d’alarme laissant à désirer dans des lieux non couverts par les réseaux GPS ou GSM, ou ne permettant la réception du signal…
Normalement, la prison, c’est fait pour punir par une privation de liberté. Avez-vous la nette impression que la prison ne prépare pas les détenus en vue de leur sortie en fin de peine ?
Je suis tenté de répondre par l’affirmative. Au-delà du problème de la promiscuité entre détenus endurcis et délinquants occasionnels – qui peut être néfaste pour les seconds, notamment si ils sont influençables – la question de la « sortie sèche » pourrait difficilement être écartée d’un revers de main, aujourd’hui comme hier. Dans un rapport rédigé pour le Garde des Sceaux de l’époque Dominique Perben et daté du 28 avril 2003, le député des Ardennes Jean-Luc Warsmann écrivait : « La personne libérée sans préparation ni accompagnement risque de se retrouver à nouveau dans un environnement familial ou social néfaste, voire criminogène, ou bien au contraire dans un isolement total, alors qu’elle aurait besoin de soutien pour se réadapter à la vie libre. Tout ceci peut l’amener à la récidive. » (« Les peines alternatives à la détention, les modalités d’exécution des courtes peines, la préparation des détenus à la sortie de prison », p. 58) Ceci dit, ne tombons pas pour autant dans le cliché si répandu de « la prison école du crime ». Les réels problèmes de réinsertion ne sauraient gommer les notions de libre arbitre et de responsabilité individuelle, et, Dieu merci, tout détenu sortant de prison n’est pas un récidiviste en devenir.
Pour conclure, que souhaitez-vous pour un meilleur fonctionnement de nos institutions judiciaires ?
Tant de choses ! Si on devait entrer dans les détails, il y a notamment un point qui pose vraiment problème, c’est la question des scellés. Comme le rappelait récemment Franck Johannès dans Le Monde (article daté du 18 avril : « La destruction des scellés pourra être contestée ») : « Les scellés constituent un problème encombrant pour les tribunaux : les greffes, véritables cavernes d'Ali Baba, stockent avec peine les milliers d'objets saisis dans les affaires pénales. Et les caves débordent. » Depuis la loi Guigou du 23 juin 1999, les scellés peuvent être détruits six mois après le classement ou la clôture d’une affaire. Le hic, c’est que quand certains dossiers sont rouverts des années plus tard, la (mauvaise) surprise est de taille : exemple, dans le double meurtre de Montigny-lès-Metz, les pierres utilisées comme arme du crime ont été détruites ! A noter que, avec l’amendement Taubira à la loi sur la « modernisation et la simplification du droit » daté du 16 avril dernier, il sera possible de contester la décision du procureur de détruire des scellés dans un délai de cinq jours suivant la notification, et de vingt-quatre heures pour les objets dangereux. De manière plus générale, à l’instar de feu Alain Peyrefitte – qui ne méritait sans doute pas les violentes attaques subies lorsqu’il était Garde des Sceaux – je suis favorable à une justice rejetant les extrêmes (tout préventif ou tout répressif) refusant « le saut d’un excès dans un autre, le manichéisme, le renversement dialectique, le vertige du tout ou rien, du blanc et du noir » (extrait de son livre précité, p. XII). J’estime que l’on peut punir délinquants et criminels sans les avilir, et qu’une répression plus ferme des crimes et délits peut se faire sans sombrer dans la dictature.
(*) Voir : Articles 10, 11 et 11-1 de la Constitution de la Vè République : http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/la-constitution/la-constitution-du-4-octobre-1958/texte-integral-de-la-constitution-du-4-octobre-1958-en-vigueur.5074.html
Annexe
LOI
Loi n° 81-908 du 9 octobre 1981 portant abolition de la peine de mort.
Version consolidée au 10 octobre 1981
Article 1.
La peine de mort est abolie.
Article 2
La loi portant réforme du Code pénal déterminera en outre l'adaptation des règles d'exécution des peines rendue nécessaire pour l'application de la présente loi.
Article 3
Dans tous les textes en vigueur prévoyant que la peine de mort est encourue, la référence à cette peine est remplacée par la référence à la réclusion criminelle à perpétuité ou à la détention criminelle à perpétuité suivant la nature du crime concerné.
Article 4
Les articles 12, 13, 14, 15, 16 et 17 du code pénal et l'article 713 du Code de procédure pénale sont abrogés.
Article 5
Le 1° de l'article 7 du code pénal est supprimé. Les 2°, 3°, 4° et 5° de cet article deviennent en conséquence les 1°, 2°, 3° et 4°.
Article 6
Les articles 336 et 337 du Code de justice militaire sont abrogés.
Article 7
A modifié les dispositions suivantes :
Article 8
La présente loi est applicable aux territoires d'outre-mer ainsi qu'à la collectivité territoriale de Mayotte .
Article 9
Les condamnations à la peine de mort prononcées après le 1er novembre 1980 seront converties de plein droit suivant la nature du crime concerné en condamnations à la réclusion criminelle à perpétuité ou en condamnations à la détention criminelle à perpétuité.
Lorsqu'une condamnation a fait l'objet d'un pourvoi en cassation, les dispositions de l'alinéa précédent ne sont applicables qu'en cas de désistement ou de rejet du pourvoi.
Par le Président de la République :
FRANCOIS MITTERRAND.
Le Premier ministre, PIERRE MAUROY.
Le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de la décentralisation, GASTON DEFFERRE.
Le garde des sceaux, ministre de la justice, ROBERT BADINTER.
Le ministre de la défense, CHARLES HERNU.
TRAVAUX PREPARATOIRES (1).
Assemblée nationale :
Projet de loi n° 310 ;
Rapport de M. Forni, au nom de la commission des lois, n° 316 ;
Discussion les 17 et 18 septembre 1981 ;
Adoption le 18 septembre 1981.
Sénat :
Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, n° 385 (1980-1981) ;
Rapport de M. Paul Girod, au nom de la commission des lois n° 395 (1980-1881) ;
Discussion les 28, 29 et 30 septembre 1981 ;
Adoption le 30 septembre 1981.
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000006068718&dateTexte=
Loi constitutionnelle n°2007-239 du 23 février 2007 relative à l'interdiction de la peine de mort (1).
NOR: JUSX0600229L
Version consolidée au 24 février 2007
Article 1
A modifié les dispositions suivantes :
Crée Constitution du 4 octobre 1958 - art. 66-1 (V)
Article Execution
(1) Travaux préparatoires : loi n° 2007-239.
Assemblée nationale :
Projet de loi constitutionnelle n° 3596 ;
Rapport de M. Philippe Houillon, au nom de la commission des lois, n° 3611 ;
Discussion et adoption le 30 janvier 2007.
Sénat :
Projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, n° 192 (2006-2007) ;
Rapport de M. Robert Badinter, au nom de la commission des lois, n° 195 (2006-2007) ;
Discussion et adoption le 7 février 2007.
Congrès du Parlement :
Décret du Président de la République en date du 9 février 2007 tendant à soumettre trois projets de loi constitutionnelle au Parlement réuni en Congrès : adoption le 19 février 2007.
Par le Président de la République :
Jacques Chirac
Le Premier ministre,
Dominique de Villepin
Le garde des sceaux, ministre de la justice,
Pascal Clément
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