Dominique Duval.

Ingénieur Agronome Docteur de l'Université Paris-Orsay Docteur es Sciences

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Billet de blog 5 mai 2025

Dominique Duval.

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Les oubliés

Tous les chercheurs et les universitaires qui ont côtoyé, de près ou de loin, l'énergie et l'intense activité des laboratoires américains ne peuvent qu'être atterrés devant les attaques sauvages menées par le gouvernement Trump. Alors que Macron lance « Choose France for Science », il y a pourtant un sujet important passé sous silence, c'est celui des post-doctorants français, travaillant actuellement aux Etats-Unis. 

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Tous les chercheurs et les universitaires qui ont côtoyé, de près ou de loin, l'énergie et l'intense activité des laboratoires américains ne peuvent qu'être atterrés devant les attaques sauvages menées par le gouvernement de Donald Trump contre les universités et la science américaine : arrêt de financements fédéraux, fermeture de pans entiers de la recherche, licenciement brutaux de centaines de chercheurs, blocage de l'accès aux banques de données, interdiction de participer à des colloques à l'étranger ou même de collaborer avec des chercheurs étrangers, interdiction de certains sujets de recherche, retrait de visas pour des étudiants étrangers...les dégâts seront incalculables.

Devant cette situation dramatique qui poussent de nombreux chercheurs à envisager un exil, l'université d'Aix-Marseille d'abord, puis le président de la République, lui même, ont proposé d'accueillir en France des chercheurs américains et de leur fournir des moyens de travail. Des fonds ont déjà été débloqués à Marseille et des appels à projets sont en cours d'examen. Emmanuel Macron organise le 5 mai prochain une réunion pour finaliser certaines des modalités de cet accueil via la structure « Choose France for Science ».

Philippe Baptiste, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche vient de déclarer que la France pourrait ainsi accueillir des centaines de chercheurs et leur fournir des moyens de travail pour au moins trois ans, un budget évalué, dit il, à quelques centaines de millions d'Euros et qui devrait être abondé ou partagé avec l'Europe. La solidarité est une bien belle chose et tous les scientifiques français ne peuvent qu'applaudir à cette initiative.... en espérant que ces chercheurs américains acceptent de percevoir les salaires français et de travailler dans des conditions matérielles qui sont parfois plus proches du taudis ou de l'atelier de bricolage que de locaux modernes et bien équipés, sans oublier des procédures administratives souvent dignes de Kafka.

Il y a pourtant un sujet important que notre ministre et notre président passent sous silence, simple oubli ou omission volontaire, c'est celui des post-doctorants français, travaillant actuellement aux Etats-Unis (ou dans d'autres pays). Quelques rappels pour les non initiés : pour obtenir le grade de Docteur d'Université le bachelier frais émoulu doit suivre un cursus de licence (L1-L3) de trois ans, puis deux ans de master (M1 et M2) et enfin s'il est accepté en thèse (avec un financement minimal), accomplir trois ans de travail intense en laboratoire aboutissant à des publications d'articles dans des revues internationales et à la rédaction puis la soutenance d'un imposant mémoire de thèse.

Dans le domaine des Sciences biologiques et probablement dans d'autres domaines, il est maintenant quasi obligatoire de passer ensuite une ou deux années de stage post-doctoral dans un laboratoire à l'étranger, européen ou le plus souvent nord américain (Canada ou Etats Unis). A l'issue de ce stage, s'il est couronné de succès, c'est à dire sanctionné par une deux ou trois publications dans des journaux anglo-saxons, se pose le problème de la suite. S'il veut revenir et travailler au Pays, le jeune diplomé (à Bac plus 10!) doit trouver un poste et une structure d'accueil pour y faire de la recherche. Or depuis près de quinze ans, incluant la période où Emmanuel Macron était ministre des finances et les premières années de son quinquennat, et bien que différents gouvernements aient proclamé que la recherche était un investissement pour l'avenir et une priorité nationale, ces annonces ne se sont pas traduites, au contraire, par une augmentation des budgets de la recherche ou des postes de chercheurs ou d'enseignants-chercheurs. Comme dans le même temps les sociétés privées effectuant de la recherche sont devenues internationales et ont plus ou moins délocalisé leurs centres de recherche, les postes de chercheurs dans les laboratoires pharmaceutiques, par exemple, se sont plutôt raréfiés.

À l'heure actuelle, lors de l'ouverture au concours d'un poste de chercheur au CNRS, à l'INSERM ou à l'INRAe, ou d'un poste d'enseignant-chercheur à l'Université, il se présente en général 40 à 60 candidats, tous très qualifiés. Que deviennent les autres ? Certains abandonnent et changent de carrière, j'ai vu des étudiants formés dans notre Labo, se diriger vers la banque, l'expertise comptable ou souvent l'enseignement secondaire, toutes professions honorables mais ne correspondant pas à leur vocation. J'ai même vu un chercheur brillant et charismatique se retrouver professeur des écoles, tant mieux pour ses élèves mais fallait-il alors investir dans dix années d'études ? Que deviennent les autres, ceux qui ne trouvent pas de postes en France ? Le plus souvent ils continuent à l'étranger allant de contrats temporaires en contrats temporaires jusqu'à finir par être recruté par une université américaine sur un poste d' « assistant professor », à durée indéterminée.

Là encore, je pourrais citer nombre d'étudiants actuellement en poste dans divers coins des Etats-Unis, en Angleterre, au Canada voire même en Belgique. Ce phénomène n'est pas propre à notre université mais touche aussi une bonne part de l'enseignement supérieur. Rappelons-nous du dernier prix Nobel de chimie attribué en 2020 à une française, Emmanuelle Charpentier et une américaine, Jennifer Doudna, pour la découverte des « ciseaux à ADN » CrispR-Cas9.

Cette distinction a déclenché en France nombre de cocoricos officiels mais on sait que l'essentiel des recherches a été effectué en Allemagne et que la récipiendaire est maintenant professeure dans une université Suédoise. Ceci signifie que la France dépense depuis des décennies des sommes non négligeables pour former des jeunes chercheurs, appréciés outre atlantique, mais dont le travail ne bénéficie pas au pays formateur. Ce phénomène accompagne d'ailleurs la lente descente de la science française au niveau mondial (de la sixième à la onzième place en quelques années, si l'on prend en compte le nombre de publications et les dépôts de brevet). Il ne semble d'ailleurs pas qu'une amélioration soit à l'ordre du jour si l'on en croit les déclarations d'Amélie de Montchalin, ministre des comptes de l'Etat, qui annonce pour le budget 2026 son intention de faire « maigrir » les Agences de l'Etat, parmi lesquelles figurent sans doute les organismes de recherche.

Imaginons maintenant que tous les chercheurs, français vivant actuellement aux états unis se voient contraints par la politique de Donald Trump à abandonner leurs labos et à rentrer en France. Que va-t-il se passer ? Seront-ils accueillis à bras ouverts par nos instances politiques, va-t-on leur proposer les moyens et les postes qu'on leur a préalablement refusés ? L'hospitalité est une vertu admirable, légendaire dans de nombreux pays du Sud, mais il serait bien également que l'on puisse tuer le veau gras pour le retour des enfants prodigues.

Dominique Duval
Ingénieur Agronome
Docteur de l'Université Paris-Orsay Docteur es Sciences
Ancien Directeur de Recherches au CNRS Ancien Professeur des Universités

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