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Billet de blog 5 février 2015

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La mutualisation au cœur de la réforme territoriale

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Marylise Lebranchu a écrit aux associations de cadres territoriaux : une démarche inhabituelle, mais la répartition des rôles entre élus et cadres territoriaux est le cœur de la problématique pour réformer le bloc communal.

Quoi de plus vermoulu que la démocratie de nos institutions publiques locales ? Le Gouvernement, comme tous les partis politiques ou presque, veulent le regroupement des communes pour une organisation du premier niveau territorial à l'échelle des communautés. C'est la pensée unique. Sauf que les grands électeurs, tous élus locaux, sont très réticents, donc le Sénat traîne les pieds pour relever le seuil de 5 à 20 000 habitants. Le processus a commencé avec la loi du 6 février 1992, il s'agit au bout du compte de construire une administration publique sur la dimension communautaire et d'éliminer la superposition entre l'intercommunalité et les communes.

L'enjeu fondamental reste dans l'ombre des débats, c'est le rapport entre les élus et l'administration territoriale. Il y a plusieurs méthodes pour redimensionner à l'échelle communautaire l'action publique locale : soit on transfert des compétences, cela signifie par exemple que les équipements de sports passent dans le giron communautaire, soit on mutualise les services, en faisant par exemple une seule direction financière qui va faire les comptes pour plusieurs membres, voire la totalité des communes plus l'intercommunalité elle-même. Troisième solution, plus directe : la fusion des communes. Une technique qui n'a jamais vraiment fonctionné, sauf que l'étranglement financier a provoqué ces derniers mois quelques vocations fusionnelles inattendues. La ministre elle-même voudrait y croire à cette troisième solution et le Gouvernement aussi. Mais, celui-ci comme les précédents ne veut pas violenter les 500 000 élus locaux de France.

Que l'on choisisse une méthode ou une autre, les deux problèmes à régler demeurent les mêmes :

  • il faut restructurer l'administration, redéployer les moyens humains et techniques, et beaucoup plus à la périphérie que dans les villes centre ;
  • cela déplace inévitablement la répartition des rôles entre l'encadrement territorial et les élus de l'exécutif, et à nouveau le phénomène est plus sensible à la périphérie qu'au centre ; on peut même dire beaucoup plus sensible à la périphérie.

Le Gouvernement a choisi de favoriser la méthode de la mutualisation. Il y a deux bonnes raisons à cela. D'une part cela répond à la demande explicite d'une partie des élus locaux eux-mêmes, notamment les « grands élus » des villes centre qui ne voyaient pas la logique de recréer des services intercommunaux parallèles avec des agents qui venaient pour l'essentiel de la ville-centre. D'autre part une restructuration par transfert de compétences ne conduit pas à prendre en compte l'organisation des services municipaux et la recherche de l'efficacité ne va pas dans le sens d'une chaîne hiérarchique allongée et toujours plus verticale. Au contraire, la mutualisation des services engage vers une concertation avec les services pour qu'ils s'investissent dans une logique de modernisation des process et de redéploiement des services.

La mutualisation des services est déjà un vieille discussion, engagée fin 2007 par l'Association des Maires de France, la concrétisation est difficile. La loi RCT du 16 décembre 2010 n'a pas suffi, et il n'est pas sûr que la loi Maptam du 27 janvier 2014 suffira. Cette loi a prévu une incitation financière par un coefficient de mutualisation, la gestation du décret d'application n'a pas atteint les 9 mois, enterré… Elle a aussi prévu l'obligation pour les communautés de présenter un schéma de mutualisation avant la fin mars 2015, suivi d'un rapport annuel. L'heure de vérité sur ces schémas approche, le scepticisme est puissant.

Le phantasme patronal des élus

Le second problème, celui de la répartition des rôles entre l'encadrement territorial et les élus, est totalement dissimulé dans la parole officielle, un vrai tabou ! Or, il est majeur. La collaboration entre les cadres territoriaux des villes et les élus n'est pas du tout la même que celle des quelques agents municipaux avec les élus ruraux. Presque toutes les communautés associent des communes de taille démographique très divergentes (de 1 à 10, souvent de 1 à 100). Parmi les élus eux-mêmes, il y a ceux qui n'ont pas compris ce problème majeur, ceux qui le pressentent sans vraiment le formuler, et ceux qui ne veulent pas le dire. Nombre d'élus de l'exécutif (maire et adjoints) de la périphérie ont en réalité peu d'accès au choix politique, ils sont en revanche investis dans la gestion des moyens de leur secteur. Faute d'encadrants disponibles, il n'est pas rare qu'un adjoint au maire soit le véritable chef de l'équipe technique.

Il y a une tendance générale des élus de l'exécutif municipal qui, sous couvert de responsabilité gestionnaire, s'est accrue ces dernières années à s'octroyer la position de chef de service. Ce phénomène très répandu dans les villes comme dans les communes périphériques est la source de grandes difficultés pour moderniser les services. Du point de vue des cadres territoriaux, c'est une guigne parce qu'ils se sentent dans l'incapacité de s'en défendre : les élus ont le pouvoir de recadrer la répartition des rôles entre les professionnels et eux-mêmes, l'efficacité de la collaboration voudrait au contraire que la délimitation des rôles se définisse par la limite du savoir-faire du professionnel. En pratique, seuls les professionnels sont en situation d'identifier la limite de la technique, ensuite interviennent le subjectif et les incertitudes. Le rôle politique commence n'importe où, c'est à dire précisément à l'endroit où le savoir-faire technique et objectif s'arrête. Cette répartition des rôles est une question très importante de légitimité, en tous cas il est bien évident que le curseur de la limite des responsabilités varie, normalement, en fonction de l'importance de l'administration territoriale.

Le regroupement est justifiée par la gestion et non par la représentation politique

L'obstacle de la voie de la mutualisation, c'est le phantasme patronal des élus. Au niveau intercommunal, les rapports de pouvoir sont liés à l'équilibre politique affiché avec les étiquettes partisanes, cette tendance a été renforcée par la loi électorale municipale qui impose maintenant les listes complètes au-dessus de 1 000 habitants, mais pas seulement. Sur le terrain, dans les réunions du bureau communautaire, on sait très bien qu'un élu a un poids dépendant du nombre d'habitants de sa commune, du nombre d'agents et de la capacité financière communale. Chacun existe par la capacité de soutien ou de nuisance que représente sa collectivité et par le contrôle qu'il garde sur sa commune.

La mutualisation contient un potentiel de changement important à condition qu'elle aille au-delà de la cohabitation administrative entre la ville-centre et la communauté. Les patrons, maire de la ville et président de la communauté, ont voulu cette première version de la mutualisation par commodité patronale. La mutualisation à l'échelle communautaire joue exactement en sens inverse : on ne pourra pas avoir une méthode de travail par collectivité, mais rien n'empêche un service de travailler pour autant de politiques que de collectivités. Cela ne peut que ramener les acteurs vers un travail utile de définition des rôles avec la légitimité politique pour les uns et la légitimité professionnelle pour les autres. Il faut cesser de confondre les questions politiques et les questions de gestion.

Les électeurs ne votent pas pour désigner le patron des fonctionnaires territoriaux, je ne peux que demander à Madame la ministre que l'on revienne au principe qu'il n'est exigé aucune compétence professionnelle d'un candidat à l'élection. Faisons tout pour limiter la confusion actuelle qui se répand et qui s'amplifie chez les élus se présentant chaque jour davantage comme des gestionnaires super-professionnels pendant que le lien avec la population s'affaiblit. La priorité des priorités, c'est la limitation stricte du pouvoir patronal des exécutifs locaux aux postes fonctionnels. Pour les autres agents, il faut arrêter la chaîne hiérarchique aux managers, titulaires de ces postes fonctionnels [*], en finir avec l'amateurisme des élus en matière de responsabilité employeur, à commencer par le pouvoir de recrutement. Il s'agit aussi d'éliminer un puissant vecteur de clientélisme. Quand un service est mutualisé entre plusieurs collectivités, la responsabilité hiérarchique des agents mutualisés est transféré à l'exécutif de rattachement, en général la communauté. Mais cela ne règle qu'assez mal le problème, cela met de l'incohérence notamment dans les pouvoirs du management des communes. La mutualisation est bonne quand s'étend vraiment, elle a des effets induits qu'il faudra clarifier.

Peut-on demander aux élus locaux d'approuver dans les assemblées une mutualisation qui condamne leur propre rôle tel qu'ils le conçoivent ? C'est peut être cette conception qui fait problème, l'élection légitime l'arbitrage de représentants de la population sur les choix publics, pas un rôle patronal d'administration publique. Depuis 1992 on prend le problème à l'envers, ce n'est pas la représentation politique qui conduit vers un changement d'échelle territoriale, c'est l'administration des services. En effet, il n'est plus pensable d'organiser du service public avec 500 habitants, et je rappelle que la population médiane des 36 700 communes françaises est inférieure à ce chiffre. Le dernier point vraiment important qui se rapporte au bloc communal dans la loi NOTRe, 3ème et dernier volet de la Réforme territoriale qui sera en discussion à l'Assemblée Nationale à la fin de ce mois de février, ce sera le seuil minimal de l'intercommunalité porté de 5 à 20 000 habitants. C'est précisément là où on voit le mieux la nécessité du regroupement de l'administration des services et le moins l'intérêt de centraliser la représentation politique.

* Les emplois fonctionnels correspondent à des postes de direction. Les fonctionnaires y sont détachés et la simple perte de confiance peut aboutir à la fin du détachement. De nombreux contractuels occupent également ces emplois.

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