Tristan Rechid, principal référent du mouvement municipaliste en France, propose un petit livre très tonique qui explore l’expérience des saillansons et d’autres communes membres d’Actions communes avec le soutien technique de la coopérative Fréquence commune, depuis 2020. L’ouvrage décrit en premier lieu la confiscation du pouvoir de gouverner par une élite, « une aristocratie élective ». Les faux semblants participatifs n’arrivent pas à masquer les failles du système républicain en déclin, l’auteur constate que « l’institutionnalisation de la participation empêche toutes les expérimentations qui tenteraient d’établir l’égalité politique », il est sur un autre voie.
L’auteur est un explorateur de « l’insurrection démocratique » pour reprendre le terme d’Ombelyne Dagicour (première adjointe à Poitiers) qui signe la préface de l’ouvrage. Tristan Rechid puise dans son expérience d’animateur en centre social et dans l’action collective menée à Saillans, il est saillanson lui-même. Son livre est celui d’un praticien de l’égalité démocratique : comment construire un débat qui met réellement tout le monde à égalité ? La description par le menu du processus de décision lui fait dire que la participation citoyenne est un concept flou, il veut de la clarté sur le niveau d’engagement que l’on demande d’abord au citoyen, et ensuite dans d’autres niveaux de responsabilité collective.
Des assemblées populaires et de l’inclusivité
Il n’y a pas d’égalité démocratique si la représentation est justifiée par l’incapacité du citoyen. Rien de dogmatique dans ce livre qui montre comment l’approche de l’égalité du pouvoir dans le choix politique engage les habitants vers une communauté politique plus démocratique. Il faut savoir faire du débat collectif, partager la démarche pour élaborer un projet commun. Ainsi par exemple, Fréquence Commune a développé une nouvelle méthode pour le tirage au sort en s’appuyant sur le cadastre plutôt que sur la liste électorale, comme cela s’est fait jusqu’à présent pour les conventions citoyennes en France ou ailleurs. Cela a permis d’impliquer les élus municipaux, les agents municipaux et des citoyens volontaires dans la démarche auprès des administrés et de réduire significativement la proportion des tirés au sort qui refusent d’intégrer le groupe de travail appelé à définir une proposition.
Il faut impliquer les différents acteurs nécessaires dans l’élaboration d’un projet ou d’une politique pour faire démocratie, certains ont un rôle indispensable dans la validation juridique et/ou technique mais il faut aussi que ce soit accessible à n’importe qui et que la solution soit efficiente. Le but est d’être inclusif, les élus doivent rester les garants à la fois d’un effort de recherche démocratique et du lien avec les citoyens dans la prise de décision.
Il n’y a pas de démocratie possible sans travail de méthode pour créer du réel débat collectif. Tristan Rechid souligne qu’il n’y a pas d’intelligence collective spontanée, celle-ci se construit à travers un mécanisme de coordination sophistiqué à travers des « expériences irréversibles qui transforment le citoyen en démocrate ». Tout un chapitre intitulé « Animer la démocratie » fait une description très minutieuse consacrée à l’animation. Par exemple, il affirme que « l’animateur est un arbitre qui n’appartient à aucun camp (…) qui ne se demande jamais s’il est d’accord avec ce qui est dit », ce qui le conduit à dénoncer cette absurdité de la situation où le maire « anime le Conseil municipal », ce qui est pourtant la pratique générale correspondant d’ailleurs à l’application de l’article L2121-14 du code général des collectivités territoriales (« le conseil municipal est présidé par le maire et, à défaut, par celui qui le remplace »). Tristan Rechid porte une autre vision de la démocratie où celle-ci est avant tout une pratique sociale où l’on ne demande pas au juriste de fabriquer de la démocratie par une réglementation nationale.
Pas d’orientation politique prédéfinie, mais une méthodologie de la démocratie
Le fonction du maire a été conçue par la République comme un relais de l’État et cela au détriment de la démocratie en assemblée locale. Sur ce point, entre autres, le livre propose une vision proche des gilets jaunes, Tristan Rechid énonce le besoin de constitution locale alors que les mécanismes actuels sont faits pour faciliter le contrôle par l’État maître d’un environnement légal qui fragilise la démocratie. Le maire « ressemble comme un frère au président de la République » et cette réglementation travestit la démocratie, transforme les séances du conseil municipal en chambre d’enregistrement : « ce que l’on appelle délibération ici n’a plus rien à voir avec l’action de débattre pour aboutir à une résolution ». Une démocratie basée sur l’égalité citoyenne ne peut pas fonctionner avec des règles d’organisation interne maîtrisées par une instance supérieure échappant au contrôle de l’assemblée souveraine.
L’ouvrage est court mais dense, il n’y a pas de gras ni de circonvolutions. Tristan Rechid n’est pas centré sur un positionnement théorique, intellectuel ou politique, même s’il a des bases bien identifiées comme celles du travail social ou comme la référence au politiste historien Francis Dupuis-Déri. Il n’impose de limites ou de règles que dans la méthode, et il raconte et redéfinit en s’appuyant sur des expériences municipales concrètes, comme l’élection sans candidat ou comme la description de la fonction de maire à Saillans. Peu de théorie, beaucoup d’expériences et quelques anecdotes savoureuses.
La bonne douzaine d’années d’engagement municipaliste ne diminue pas la radicalité de l’auteur et justifie la couverture de l’ouvrage qui suggère sans ostentation le constat de neurasthénie démocratique dans le titre et le rôle fondamental des assemblées populaires en démocratie dans le sous-titre. Il conclut sur une forme de résistance nécessaire : « J’appelle les équipes municipales à faire preuve de créativité et de pragmatisme pour élaborer des constitutions dans chacune de nos communes ». Cet ouvrage n’aura peut-être pas un succès immédiat fulgurant, mais je crois qu’il fera durablement référence.