J’ai, personnellement, participé à la réunion du 4 avril dernier qui était plus particulièrement consacré au site de Saint Victor dans l’agglomération de Montluçon. Je vais essayer d’expliquer ici succinctement de quoi il s’agit et quels sont les enjeux.
Le site d’Échassières est actuellement une carrière à ciel ouvert, exploitée par Imérys pour l’extraction du kaolin destiné principalement à la production de porcelaine. Mais le projet d’exploitation de lithium présenté par Imérys se décompose en 3 sites : à Échassières, l’exploitation se fera en sous-terrain, il s’agit donc d’un projet de mine avec une usine de concentration sur place. La fonction de cette usine est d’extraire le mica du granit et donc de réduire le matériau à transporter vers l’usine de conversion prévue à Saint Victor dans l’agglomération montluçonnaise. Entre les deux, le troisième site à Naves consiste en une plateforme particulière de transport intermodale : le projet est de transporter le minerai avec de l’eau par une canalisation d’environ 15 km, puis de sécher ce minerai pour le transporter sur 50 km par chemin de fer jusqu’à l’usine de conversion à Saint Victor. L’usine de Saint Victor sert à convertir par différents procédés chimiques le mica en hydroxyde de lithium, destiné aux quatre « gigafactories » de production de batteries pour les véhicules automobiles des particuliers situées dans les départements du Nord et du Pas de Calais. L’objectif industriel est de produire 34 000 tonnes de lithium nécessaire à la production de 700 000 batteries par an.
Les difficultés particulières de ce débat
Ce projet compte donc, a priori, 3 Installations Classées pour la Protection de l’Environnement (ICPE), celle de Saint Victor pourrait entrer la catégorie des ICPE Seveso. En ce qui concerne la mine, il y a deux problèmes d’environnement bien identifiés : la préservation de la Forêt des Collettes et la préservation de l’eau de la Sioule. Le site de Saint Victor sera également un grand consommateur d’eau, il est question d’utiliser l’eau traitée par la communauté d’agglomération. A
Échassières, le projet se développe exclusivement dans le périmètre des terrains appartenant à la société Imerys, il n’y a donc pas d’enquête publique ni de procédure de déclaration d’utilité publique. Le public a parfois un peu de difficultés à comprendre la différence entre enquête public et débat public.
La quatrième réunion du débat public s’est tenue en présence de 400 personnes, dans une ambiance d’abord assez calme qui s’est tendue en fin de parcours. De nombreux opposants ont le sentiment d’une collusion entre les organisateurs du débat, les autorités publiques et Imérys, promoteur du projet. Frédéric Laporte, le maire de Montluçon, est intervenu pour dénoncer l’irresponsabilité de certaines attitudes critiques et a rappelé différents engagements des collectivités et la préoccupation de l’emploi.
« De quoi débat-on ? » : « Le débat public se situe au début du projet, à un moment où il n’est pas décidé et où l’on peut débattre du « pourquoi » : questionner son objectif et son opportunité, et du « comment » — les caractéristiques du projet. Tout est ouvert, rien n’est joué » : voilà ce qu’on peut lire à la page 5 du petit dépliant destiné au public pour l’inviter à participer au débat. C’est sans doute dans ce dernier petit bout de phrase (« tout est ouvert, rien n’est joué ») que s’introduit d’emblée un problème de crédibilité.
Il y a deux circonstances spécifiques qui rende sensible ce débat : de nombreuses mines ont fermé en France, mais il n’y a pas eu d’ouverture de nouvelle mine depuis plusieurs décennies ; la crédibilité de la CNDP repose largement sur sa présidence. Le successeur de Chantal Jouanno n’a pas encore fait ses preuves, son parcours personnel n’a donné de signes éclatants d’indépendance.
Le Sénat a donné un avis défavorable (8 pour et 28 contre) à la nomination de Marc Papinutti. Le rapporteur sénatorial a commenté ansi ce vote : "les sénateurs ont alerté e candidat sur a polarisation croissante des débats, l'absence de prise en compte des résultats des concertations, et la difficile articulation entre démocratie représentative et démocratie participative". Le rapporteur en question s'appelle Bruno Rojouan, sénateur de l'Allier.
Penser l’intérêt public sans planification et droit au refus
Mais il y a un problème plus grave qui dépasse la CNDP : personne ne croit que le Président Macron acceptera l’abandon du projet de mine de lithium à Échassières. Qu’il y ait des aménagements, des modifications, des compensations, peut-être, mais un renoncement : non, ça personne ne peut le croire ! Pas seulement à cause d’expériences passées, comme celle de la Convention Citoyenne sur le Climat souvent rappelée par les citoyens en Auvergne bourbonnaise comme ailleurs, mais parce que le Gouvernement s’est déjà engagé de multiples façons et notamment auprès des industriels en aval.
Le gouvernement s’est déjà fortement engagé auprès des industriels automobiles, puis en accordant des subventions aux producteurs de batteries. Avec le projet d’Échassières, il y a maintenant une forme d’inversion de la logique productive qui va de l’amont vers l’aval :
- « Le défi industriel pour la France, c'est de construire non seulement des véhicules haut de gamme mais aussi des petits véhicules électriques comme la (Peugeot) e-208 sur notre territoire (...). Moi je souhaite que Carlos Tavares [le patron de Stellantis] relève le gant et relève ce défi. Nous apportons des aides, nous aidons l'industrie, nous essayons de favoriser l'achat de véhicules électriques sur le territoire. Je souhaite que les industriels fassent preuve aussi, tout simplement, d'un peu de patriotisme économique » (le ministre de l’économie dans la Tribune du 11 juillet 2023).
- « la Commission européenne a accepté début août le versement par la France d'une aide publique de 1,5 milliard d'euros au taïwanais ProLogium pour la construction d'une gigafactory à Dunkerque » (Les échos, le 18 septembre 2023).
L’État est également très impliqué dans les alliances et la concurrence auxquelles se livrent les constructeurs automobiles, mais il l’est aussi par les soutiens financiers à la construction des 4 « gigafactories » de production des batteries électriques :
Cet engagement de l'Etat auprès des industriels automobiles et des fabricants de batteries montre une intervention de l'Etat qui avance dans la filière de production de l'aval vers l'amont, ce qui décrédibilise forcément la volonté de dialogue de l'Etat un droit local au refus ou à discuter e motif de la mine. En fait, la consultation se fait dans une logique où les affaires dominent à la fois la logique de production et la logique de planification publique, si ce n'est démocratique au moins concerté.
Un remarquable article de l’INA nourri de deux courtes vidéos connaît un certain succès dans l’Allier ! La première vidéo de 3 minutes dit le contexte social local et révèle ce que l’on sait déjà parfaitement en 1979, à savoir qu'il y a du lithium à Échassières et ce qu'on peut en faire. La seconde nous montre André Lajoinie, député communiste de la circonscription, qui réclame en 1987 la mise en production du lithium dans la tradition productiviste qui persiste dans l'Allier.
Penser l’intérêt public : mais à quelle échelle ?
L’exercice du Débat Public n’est pas facile, mais si la cause est déterminée et le refus récusé , et il n’y a donc plus qu’à s’intéresser au "comment". Comment va se faire la mise en oeuvre et quel contrôle sur les débordements ? Du côté public national l’enjeu est, si ce n’est de partager, au moins de faire comprendre et admettre la décision, c’est un enjeu démocratique partiel, mais il n'est pas nul. Sous cet angle, les responsables du débat public sur le lithium sont confrontés à de réelles difficultés :
- Autant la démarche de planification est contradictoire et lente mais ouvre à la transparence et à la démocratie, autant la rationalité des affaires est secrète et limite la transparence comme la démocratie. L’une amène la réflexion sur les solidarités à long terme, l’autre concentre l’attention sur le court terme.
- Il n’est pas sûr que le monde politique local soit plus ouvert que le système politique national, les élus locaux ont leurs contraintes financières, électorales et relationnelles avec les administrations publiques nationales dont ils dépendent. La focale est différente, la politique nationale est à la recherche (un peu éperdue) de la croissance et de la modernité pour tenir la concurrence, la politique locale de la région montluçonnaise est depuis longtemps dans la déplétion : perte d’entreprises et de population. La vie de Montluçon a perdu environ 40% de sa population depuis 50 ans.
Les cadres institutionnels ne disent pas tout par eux-mêmes sur la démocratie ou sur la souveraineté. Il a été furtivement question du cobalt dans la salle Athanor, à Montluçon le 4 avril dernier : la salle ne s'est pas montrée indifférente au sort des congolais et donc à la question des droits humains. Démocratie et souveraineté se jouent à plusieurs échelles. La population locale n’a pas la crainte de voir ses enfants mourir au fond de mines artisanales incontrôlées, néanmoins les mines font des dégâts écologiques et sociaux, et le bassin montluçonnais a déjà été particulièrement désindustrialisé et malmené, ne serait-on pas en train de « tiers-mondiser » notre territoire local ? S’il n’y a réellement de choix dans ce débat public, autant passer à la négociation sur tous les contrôles de mise en oeuvre tout de suite. La balance commerciale nationale a besoin du lithium. Faisons découvrir que sans solidarité il n’y a pas de souveraineté, et vice versa.