Dominique- FOULON 1951

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Billet de blog 12 décembre 2023

Dominique- FOULON 1951

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A propos d’une critique Alain Ruscio Réponse à l'article précédent

Réponse d'Alain Ruscio à la critique de son livre. Cette réponse est publiée dans le n° 127 de la revue Perspectives décembre 2023. Plutôt que de faire "une réponse à la réponse" dans la revue, il est annoncé que celle ci se trouve sur ce blog.

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A propos d’une critique

Alain Ruscio

La lecture de la critique de mon livre Marseille, la Provence et l’Indochine, une histoire humaine à l’époque coloniale[1], parue sous la signature de Dominique Foulon dans le n° 126 de Perspectives, m’a dès l’abord interloqué, puis franchement irrité. Jusqu’à présent – j’ai une certaine expérience en ce domaine –, j’avais cru qu’une critique de livre consistait à exposer les thèses de l’auteur, puis à émettre critiques et observations, signalement d’erreurs factuelles ou d’interprétation. C’est la règle du jeu acceptée par tous les auteurs d’ouvrage. A fortiori dans une Association qui porte en son nom le beau mot d’amitié, je n’imaginais pas, naïf que je persiste à être, cette descente en flèche, assortie de qualificatifs pamphlétaires à l’égard d’un autre membre de l’AAFV, depuis quelques années (je ne demande nul privilège à ce titre, seulement un peu de confraternité). Dominique Foulon me décerne un satisfecit : mon travail serait « proche de l’érudition ». Merci. Louange vite compensée par d’autres expressions : ma prose serait « faussée et partisane », « maladroite », je suis coupable d’avoir écrit une « légende dorée et dogmatique » de la vie d’Ho Chi Minh. J’y reviendrai.

La critique s’ouvre sur quelques mots, purement descriptifs, sur la place de la Provence dans la mise en place de l’idéologie coloniale. Mais rien, absolument rien, sur ce qui est le cœur de mon livre : la structuration, pierre à pierre, initiative après initiative, congrès après congrès, du Parti colonial, dont Marseille devint la « capitale » (formule de Gabriel Hanotaux placée en exergue de l’ouvrage). Une seule phrase sur les expositions coloniales pionnières de 1906 et 1922 à Marseille. Rien sur la quantité impressionnante de ministres ou hauts cadres de l’Indochine colonisée venus de Provence, Jules Charles-Roux, Eugène Étienne, Camille Pelletan, Marius Moutet, Paul Reynaud, excusez du peu. Ces hommes furent souvent les bourreaux du peuple vietnamien, de la torture à l’électricité sous le « règne » de Paul Reynaud au bombardement de Haiphong (1946), acte inaugural de trente ans de guerre, avec la complicité éclatante de Marius Moutet. Dominique Foulon ne se serait pas déshonoré de le rappeler.

Si l’on porte son regard sur l’opposition au colonialisme, quel dommage que l’auteur de la notice ait si superbement ignoré le voyage de Gabriel Péri – celui-là même qui plus tard « chanta sous les supplices » infligés par les nazis – en Indochine en 1934. Qu’un député, communiste en l’occurrence, ait osé braver le système colonial au cœur même du système aurait mérité, au moins, une référence. Et pourquoi cet oubli de figures provençales marquantes, Louis Roubaud, auteur d’un courageux livre Viet Nam, la tragédie indochinoise en 1931[2], Jean-Pïerre Chabrol, qui consacra son premier roman, hélas oublié, à la guerre d’Indochine (La dernière cartouche, 1953[3]) ou encore du cinéaste Paul Carpita, qui exalta la lutte des dockers CGT contre la guerre d’Indochine dans un film marquant, Le rendez-vous des quais en 1955 ? Plus grave, me semble-t-il, l’oubli de celle que je qualifie dans mon livre de « femme d’exception, Simone Weil, d’une sensibilité aux malheurs des colonisés, pour tout dire d’un anticolonialisme radical rares à cette époque ». Pour rappel, il s’agit de la philosophe (avec un « W »), non de la femme politique. Laquelle Simone Weil, de passage à Marseille, fut l’une des premières, dès 1940, à s’intéresser aux Cong Binh, ces travailleurs vietnamiens requis, puis transportés et entassés de façon scandaleuse par la III ème République finissante. Les lecteurs de Perspectives auraient sans doute aimé ce simple rappel : les adhérents de l’AAFV eurent de prestigieux devanciers. Dommage qu’il ait fallu attendre mon droit de réponse pour les en informer.

J’en viens au reste de l’article. Avec cette remarque préalable en guise d’étonnement : les huit dixièmes de la critique portent sur six pages d’un livre qui en compte 168, celles qui concernent les trois passages de Ho Chi Minh à Marseille (1911, 1921 et 1946). J’accepte avec humilité la critique qui concerne l’oubli du rôle de Nguyen The Truyen en 1927. Dont acte, s’il y a une nouvelle édition, je rectifierai. Pour le reste, je ne peux que renvoyer les lecteurs à un précédent livre, Ho Chi Minh, écrits et combats (préface de Joseph Andras) qui, lui, détaille le parcours du leader vietnamien en quelques centaines de pages[4]. Me reprocher de ne pas citer l’épisode de la rédaction collective des Revendications du peuple annamite de 1919, moi qui l’ai détaillé par le menu dans ce précédent livre, est pour le moins maladroit. Que dire alors de l’affirmation péremptoire que le nom de Nguyen Ai Quoc (principal pseudonyme de Ho Chi Minh de 1919 à 1941) « restait inconnu en dehors d’un petit cercle d’initiés » avant 1945, affirmation démentie par quiconque a fréquenté les archives coloniales : Nguyen Ai Quoc fut bel et bien le nom qui hanta et affola bien des ministres (voir Albert Sarraut) et des administrateurs coloniaux durant toute cette période. Outre mon livre cité supra, qui fourmille de citations référencées, je renvoie aux travaux du regretté Pierre Brocheux, de Sophie Quinn-Judge ou de Daniel Hémery.        

Dominique Foulon a des engagements trotskistes de longue date. Je ne le fus jamais, mais j’ai dépassé depuis 40 ans l’anti-trotskisme de ma jeunesse. Il en sait d’ailleurs quelque chose, car je ne passais pas naguère par Lyon sans boire un café avec lui. J’ai eu et j’ai gardé au sein de l’ex-Ligue des amitiés réelles, à commencer par celle d’Alain Krivine. Ce qui me valut, le jour des obsèques de ce camarade, cette remarque élégante de Dominique Foulon : « Qu’est-ce que tu fous là, toi ? ». Passons.

Ou plutôt non, ne passons pas : les plus anciens adhérents de l’AAFV sont témoins que jamais, en un demi-siècle d’existence, l’AAFV, n’a importé les querelles partisanes en son sein. Les communistes, connus et revendiqués comme tels, y ont toujours cohabité harmonieusement, et souvent fraternellement, j’ose ces adverbes, avec les socialistes, chrétiens, syndicalistes de la CGT, de la CFDT et de la FEN, et tant de citoyens non encartés. Tous, nous étions unis autour de deux idées-forces : la dénonciation de l’agression américaine, l’amitié avec le peuple vietnamien. Pourquoi aujourd’hui cette diversité pose-t-elle problème ? Pourquoi les disputes, pour ne pas employer une grossièreté, ont-elles envahi l’Association, au point que nombre d’entre nous, j’en suis, ne lisent plus les mails ? L’article de Foulon en est une triste confirmation. 

Ce qui me désole, dans sa critique, c’est le ton donneur de leçons. Si elles n’étaient décernées qu’à l’historien qui a signé ce livre, ce ne serait pas grave : il en a vu d’autres. Mais il s’agit là d’une application douteuse d’un phénomène hélas à la mode : l’uchronie (« genre qui repose sur le principe de la réécriture de l’Histoire à partir de la modification du passé »). Dominique Foulon avait déjà fait cet exercice lors du congrès de Montreuil sans convaincre grand monde, il persiste et signe : si on avait écouté ses camarades, les oppositionnels à Ho Chi Minh, en 1945-1946, le Viet Nam eût été indépendant dès ce moment. Avec quelles forces, face à la machine de guerre française, et dans l’isolement dont le pays était l’objet ? Dont la scandaleuse attitude, alors, de la diplomatie stalinienne, je n’ai pas attendu Foulon pour écrire là-dessus des lignes sévères. Mais l’auteur de la notice frise la malhonnêteté intellectuelle lorsqu’il met en valeur l’expression Viet Gian (« traitre à la patrie ») dénonçant Ho Chi Minh sur quelques banderoles, à Mazargues (près de Marseille) en septembre 1946. Qu’Ho Chi Minh ait sous-estimé l’agressivité du colonialisme français en 1946 est une thèse que l’on peut admettre. Mais quel analyste froid, en 2023, peut lui reprocher d’avoir tenté, même contre l’évidence, d’épargner à son peuple une guerre… qui finalement dura 30 ans ?  D’autant que, toute personne qui a étudié cette période le sait, la naïveté vietnamienne avait des limites : au même moment Giap, sur la demande de Ho Chi Minh, avait entamé la formation d’une armée populaire qui, ce n’est pas un détail, marqua l’histoire du XX ème siècle. Ces « traitres » ont par la suite mené leur peuple à une lutte sans concession contre le colonialisme français, puis contre l’impérialisme américain. Ce ne sont pas les manifestants oppositionnels de Mazargues qui sont montés à l’assaut des positions françaises à Dien Bien Phu, plus tard des forces américaines à Khe Shanh, puis qui ont pénétré à Saigon le 30 avril 1975, mais bien les enfants de Giap et de Ho Chi Minh. 

[1] Éditions Les Indes savantes, 2023. 

[2] Librairie de Valois, 1931

[3] Éditeurs français réunis, 1953.

[4] Éditions Le Temps des cerises, 2019, réédition 2023. 

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