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Billet de blog 19 octobre 2023

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Réaction d’un médecin humanitaire de terrain face à la situation au Proche-Orient

Le 7 octobre est plus qu’une date, c’est un séisme au Proche-Orient et dans le monde. Les membres de notre mission chirurgicale revenaient de Jénine, de l’Hôpital Khalil Suleimann plus exactement. En tant que médecin, il est de mon devoir de témoigner du terrain, d’alerter et de dénoncer la situation actuelle créée par le blocus total de Gaza. Cette terre était déjà coupée du monde, elle l’est encore plus aujourd’hui.

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Le 7 octobre est plus qu’une date, c’est un séisme au Proche-Orient et dans le monde.

Les membres de notre mission chirurgicale revenaient de Jénine, de l’Hôpital Khalil Suleimann plus exactement, où nous étions depuis le 29 septembre. De retour à Tel-Aviv, le samedi 7 octobre, nous avons pris notre vol de justesse à Ben Gourion. Les nouvelles étaient terribles. Un drame se déroulait alors que nous survolions Israël et sans doute les territoires après le décollage.

Les massacres commis par le Hamas sont inqualifiables et je crains que l’ampleur de leur barbarie, de leur sauvagerie n’ait annihilé tout espoir de paix. Le monde entier a condamné fort justement ces actes. En tant qu’humanitaire et père de famille, je condamne aussi ces exécutions sommaires, d’enfants, de femmes et d’hommes, parfaitement programmées, aux confins de l’horreur. J’ai une pensée aussi pour nos compatriotes français victimes du terrorisme et pour ces quelques 150 otages aux mains du Hamas.

La réponse d’Israël est et sera de grande ampleur, et comme à chaque guerre, elle sera terrible, démesurée. Mais elle touchera une majorité de civiles innocents ; en effet, ce ne sont pas deux millions de membres du Hamas qui peuplent Gaza, mais une très grande majorité de femmes, d’enfants, d’hommes qui ne souhaitent que vivre libres sur leur terre, celle qui les a vus naitre. À ce jour, en réponse aux massacres du Hamas, plusieurs centaines d’enfants sont morts à Gaza ; l’horreur y est aussi à son comble, mais dans l’indifférence générale. Je n'ai pas lu ou entendu de condamnation officielle de la communauté internationale après ces tueries provoquées par les bombes si ce ne sont quelques commentaires d’officiels déplorant cette situation.

Certaines autres voix se sont levées pour condamner les violences du 7 octobre et pour tenter d’en expliquer les raisons : Dominique de Villepin, ancien premier ministre, qui sur France inter le 12 octobre, je cite, «  n’a pas été surpris » par les attaques ; un journaliste israélien, Gideon Levy, qui a publié dans Hareetz le 8 octobre, sous le titre « Gaza, qui n’a jamais connu un seul jour de liberté » les causes de la situation que connait cette région du monde.

Ces causes ont un nom, l’occupation.

La vie à Gaza, territoire dont la moyenne d’âge est particulièrement jeune, est très difficile pour cette population qui représente pourtant l’avenir de la Palestine… mais quelle Palestine. Dans cette langue de terre de 365 km2, qui contient l’équivalent des 2/3 de la population de toute la Bretagne et cernée de toute part, un adolescent âgé de 16 ans, qui devrait être en pleine possession de son avenir, a connu plusieurs guerres : à l’âge de 2 ans  (Plomb durci, en 2008), de 5 ans (Pilier de défense, en 2012), de 7 ans (Bordure protectrice, en 2014), de 14 ans (Gardien des murs, en 2021), et aujourd’hui, à l’âge de 16 ans ; s’il n’est pas mort, il est déplacé dans le sud de Gaza, près d’une frontière qui reste fermée, en proie à la famine, au manque d’eau. S’il est en vie, il a peut-être perdu un ou ses deux parents, un ou des frères ou des sœurs… Quel homme deviendra-t-il s’il est en vie, lui, un enfant marqué au fer rouge. Quelle place sera la sienne dans une société sans espoir.

Si certains Palestiniens combattent avec la conviction que la paix viendra, par l’écriture, d’autres aussi au moyen de l’art (The Freedom Theatre à Jenine), d’autres, désespérés prennent les armes, n’ayant plus d’espoir. Dans le nord de la bande de Gaza, à Beit Lahia exactement, un centre d’aide psychologique coordonné par une femme de cœur, Nabila Kilani, que l’association AMANI (association pour l’aide et la formation médicale) a financé pendant plusieurs années, vient en aide aux enfants, nombreux, victimes de troubles psychologiques, ceux provoqués par les bombes, les destructions, le bruit des drones, qui entravent leur vie.

En regardant leurs dessins lorsqu’ils rentrent dans le centre, dessins truffés de bombes, de taches rouges pour figurer le sang, l’on prend réellement conscience de leur souffrance, des dégâts psychologiques provoqués par l’occupation. L’enfant, ne l’oublions jamais, est la principale victime de la guerre.  

C’est en 2002 que je commençais mes missions avec Médecin du Monde, à Gaza, en pleine 2e intifada. Et depuis vingt ans, de Gaza à Jénine, après 28 missions en Palestine, je n’ai jamais ressenti au contact de la population palestinienne ce que les médias décrivent. Ils n’ont pour la plupart pas de haine envers Israël, par contre une grande résignation, sans doute parce que quasiment tous les palestiniens d’aujourd’hui ont toujours connu cette situation d’occupation.

Leur résilience m’a également toujours étonnée ; dernièrement, lors de notre dernière mission le 7 mars 2023 à Jénine, une incursion a fait 6 morts et une vingtaine de blessés, le camp de Jénine et l’hôpital ont connu l’enfer pendant 3 heures, puis tout est rentré dans l’ordre, comme si les arrestations, les missions éclairs punitives, faisaient partie de leur vie.

Vivre avec les contraintes, vivre avec les altercations parfois mortelles avec les colons ou l’armée, voila leur vie. Je connais quelques intellectuels dont la profession les a amenés à traverser le monde, et c’est chez eux, en Palestine, qu’ils ont souhaité revenir pour travailler ou prendre leur retraite. Ne pas fuir est dans leur esprit leur acte de résistance, vivre coute que coute sur leur terre. 

Les nouvelles qui nous parviennent du PCRF (Palestinian children relief fund, organisation non gouvernementale américaine, fondée et dirigée par l’humaniste Steve Soosbee pour venir en aide aux enfants de Palestine), qui finance nos missions et avec lequel nous sommes en contact permanent sont terribles. L’exode forcé des Gazaouis du Nord vers le sud de Gaza afin d’échapper à une probable intensification des bombardements et à une incursion militaire, crée des conditions de vie, d’hygiène et médicales inhumaines. L’accès des humanitaires n’étant pas autorisé, nous pouvons imaginer le drame vécu par les Gazaouis, notamment les enfants. Les hôpitaux qui devraient prendre en charge les centaines de blessés sont débordés et n’ont pas assez de matériel ; le système de santé est à bout de souffle et pourtant Gaza nécessiterait en urgence l’aide humanitaire internationale. Seuls le décompte des morts et les images de ruines semblent filtrer de Gaza.  

En tant que médecin, il était de mon devoir de témoigner du terrain, d’alerter et de dénoncer la situation actuelle créée par le blocus total de Gaza. Cette Terre était déjà coupée du monde, elle l’est encore plus aujourd’hui. Gaza est plus qu’une prison à ciel ouvert, c’est une prison totalement close, car le tapis de bombe qui s’abat sur la ville teinte le ciel de fumées noires.

J’ai espoir, toujours espoir, que le dénouement de la prise d’otage ne se fasse pas dans le sang et que les malades chroniques, les blessés, les patients atteints de lourds handicaps pourront bénéficier des soins les plus élémentaires. Les uns et les autres pleurent leurs morts, mais n’est-il pas temps que nos politiques se retrouvent autour d’une table afin de raviver cette lueur d’espoir allumée en 1993 (accords d’Oslo), afin de mettre fin au drame qui se déroule sous nos yeux, et de travailler main dans la main à la création d’un véritable état palestinien.    

Pr Le Nen Dominique

Professeur émérite des universités – chirurgien des hôpitaux

Publications :

  • « De Gaza à Jénine, tant que la guerre durera », 3e édition, Ed. L’Harmatttan, 2017
  • « Gaza, terreau pour la violence au Proche-Orient », article dans Ouest France, 2021
  • « Association AMANI, vingt ans d’aide et de formation médicale en Palestine », à paraitre en novembre 2023

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