Barème MACRON : où en est-on du combat judiciaire ?
Le plafonnement des dommages et intérêts, en cas de licenciement abusif, est une vieille revendication patronale. Elle trouve un écho favorable auprès du gouvernement qui l’insère au cœur des ordonnances de septembre 2017.
Mais quelques rappels s’imposent. Si en 1973 (1), la loi fixait le montant des dommages et intérêts pour un licenciement sans cause réelle et sérieuse à 6 mois minimum, cela équivalait à la durée moyenne de chômage pour un salarié privé d’emploi. Cette logique aurait pu servir de base de réflexion au législateur puisqu’en 2019, cette durée moyenne est passée à 12 mois (2).
En effet, la condamnation doit être suffisamment dissuasive pour imposer le respect des règles et décourager toute tentative de récidive.
Or les ordonnances tournent le dos à cette idée. Le lobbying efficace du MEDEF aboutit au résultat que nous connaissons et licencier un salarié abusivement devient beaucoup moins onéreux.
Trois étapes furent nécessaires à la solution retenue par les ordonnances de 2017.
Premier acte : la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 instaure une indemnité forfaitaire de conciliation, indemnité incitative mais facultative. Ainsi, devant le Conseil de prud’hommes et lors de la phase préalable au jugement, les parties peuvent s’accorder sur la base de ce barème. Déjà à l’époque, cette disposition fit débat en raison de la faible indemnisation proposée. A titre d’exemple, une somme équivalente à 15 mois de salaire est prévue en dédommagement d’un salarié justifiant d’une ancienneté supérieure à 25 ans.
Sans commune mesure avec ce qui se pratique, ce dispositif purement facultatif est très peu utilisé par les juges du travail. Quant aux salariés, ils n’acceptent que rarement une si faible proposition préférant l’appréciation souveraine du bureau de jugement sur le montant du préjudice lié notamment à la rupture du contrat de travail.
Deuxième acte : la loi travail (3) du 8 août 2016 modifie quelque peu celle de 2013 et augmente le niveau d’indemnisation en cas de conciliation.
Mais un nouveau référentiel (indicatif également) s’insère dans le Code du travail que le juge peut prendre en compte lors de la détermination du montant de l’indemnité en cas de licenciement abusif. Mais là encore, les principaux intéressés n’ont guère montré d’intérêt pour ces nouvelles mesures.
Troisième acte : les ordonnances du 22 septembre 2017 parachèveront le dispositif en rendant le barème obligatoire.
Un quatrième acte s’ouvre alors, celui de la contestation. En effet, le tollé qui s’ensuivit restera dans les annales : Syndicats de salariés, de magistrats, d’avocats, des conseillers prud’hommes, des juges et de nombreux professionnels du droit élaborent une argumentation juridique propre à contrer cette nouvelle obligation légale (4).
Car le barème heurte plusieurs principes juridiques importants. Notamment, il restreint le pouvoir naturel du juge à déterminer en toute indépendance le montant d’un dédommagement en tenant de compte de divers critères comme l’âge, ou encore la situation de famille. Car, être licencié à 55 ans ou à 25, n’entraine pas les mêmes conséquences notamment au regard des possibilités de retrouver un nouvel emploi. Or, l’indemnisation prévue est identique !
Sur le fondement des dispositions de la charte 158 de l’Organisation internationale du travail et de l’article 24 de la Charte sociale européenne qui prévoient une indemnisation « adéquate (5) », plusieurs jugements écartent le barème Macron. Les conseillers allouent alors des dommages et intérêts supérieurs d’un montant qu’ils ont librement apprécié (6). Des juges départiteurs (7) statuent également dans le même sens (8).
Les défenseurs du nouveau barème, quant à eux, peine à convaincre. La ministre elle-même, dans une affligeante prestation sur le plateau de l’émission Cash investigation le 26 septembre 2017 s’empêtrera lourdement à expliquer sa réforme. Elle montrât une méconnaissance totale de l’une des mesures les plus critiquables de la loi qu’elle a initiée, mentant même sans vergogne devant les téléspectateurs (9). En effet, à partir d’un exemple précis et à la question d’Elise LUCET de savoir combien toucherait un salarié précédemment indemnisé à hauteur de 6 mois de salaire, la ministre bredouillât 3 mois (10) alors que les dispositions critiquées prévoient 1 mois maximum (11).
Fait exceptionnel en droit du travail, Madame la garde des sceaux mobilise également les procureurs généraux près des cours d’appel. Dans une circulaire du 26 février 2019 (12), le parquet est chargé de se faire communiquer les jugements écartant les dispositions nationales afin que le ministère public puisse intervenir devant la juridiction de second degré « en qualité de partie jointe pour faire connaitre l’avis du parquet général sur cette question d’application de la loi ».
Dans une interview au Monde paru le 14 décembre 2018, le Ministère du Travail, interrogé par le journaliste, a cru bon commenter la décision du conseil de prud’hommes de Troyes (13) en posant à nouveau « la question de la formation juridique des Conseillers Prud’homaux ».
Cette maladresse lui vaudra une réponse sèche des intéressés (14).
La fébrilité est perceptible, elle gagne du terrain dans le camp des pros-barème. Même Jacques BARTHELEMY, fondateur du célèbre cabinet d’avocat n’y croit plus. Ne déclare-t-il pas dans les Echos du 13 mars 2019 (version numérique) : « La disparition des barémisations impératives n'est désormais plus qu'une question de temps. Il est inutile de mener des combats d'arrière-garde et il faut donc s'y préparer en s'attaquant au vrai problème des lenteurs, incertitudes et inefficacités de la justice prud'homale ».
Malgré tout, le 17 juillet 2019, la Cour de cassation saisie pour avis par deux juridictions prud’homales penchera en faveur du barème (15). Rappelons cependant que l’avis rendu ne lie pas la juridiction qui l’a demandé, encore moins les autres juridictions, pas plus qu’elle ne lie la Cour de cassation elle-même.
Depuis, plusieurs décisions ont été rendues (16), dont l’une par un juge départiteur (17), qui écartent les dispositions critiquées.
Le dénouement se rapproche mais l’issue est incertaine. L’argumentation contradictoire et parfaitement rodée des pourfendeurs du barème résistera t’elle a l’appréciation des juges du quai de l’horloge. Par le passé, ils reconnaissaient pourtant la pertinence pour un particulier de s’appuyer sur les normes de l’organisation internationale du travail (18) dans le cadre d’un conflit professionnel porté devant le Conseil de Prud’hommes. Cette procédure conduisait le gouvernement à abroger le contrat nouvelle embauche.
Dominique HOLLE
(1) Loi n°73-680 du 13 juillet 1973.
(2) La durée d'inscription à Pôle emploi au 1er trimestre 2019 est en moyenne de 376 jours selon Pole emploi (Statis-tiques, études et évaluations juillet 2019).
(3) Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.
(4) Voir l’argumentaire du syndicat des avocats de France visible sur leur site.
(5) L’article 10 de la charte 158 de l’OIT prévoit si « le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n'ont pas le pouvoir ou n'estiment pas possible dans les circonstances d'annuler le licenciement et/ou d'ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ».La charte sociale européenne prévoit des dispositions similaire à l’article 24.
(6) Cph Troyes, 13 décembre 2018, n°F18000036.
(7) Juges du Tribunal de grande instance qui vient départager une composition prud’homale qui n’a pas été en capacité de rendre une décision à la majorité des juges.
(8) Cph Agen, départage, 5 février 2019, n°18/00049.
(24) https://www.bing.com/videos/search?q=cash+investigation+penicaud+&&view=detail&mid=7F9C1D44EB5EF49D63D47F9C1D44EB5EF49D63D4&&FORM=VRDGAR
(9) « Le plancher est à 3 mois donc ça n’est pas possible. C’est au moins 3 mois dans une entreprise de plus de 11 sala-riés, ce qui est manifestement le cas, donc il a au moins 3 mois ».
(10) Ce moment d’ontologie est à revoir sur https://www.dailymotion.com/video/x626rvr
(12)https://www.petit-fichier.fr/2019/03/08/circulaire-26-fevrier-/circulaire-26-fevrier-.pdf.
(13) Cph Troyes, 13 décembre 2018, n°F18000036.
(14) https://consultation.avocat.fr/userfiles/files/38515/communique-presse-cph-de-troyes-du-20-decembre-2018-38515-181221-0857.pdf
(15) Avis n° 15012 et 15013 du 17 juillet 2019, n° 19-70.010 et 19-70.011.
(16) Cph Troyes, 29 juillet 2019.
(17) Cph Grenoble, départage, 22 juillet 2019, n°18/00267.
(https://michelebaueravocatbordeaux.fr/content/uploads/2019/07/20190722-Jugement-départage-CPH-Grenoble-F-18-00267-après-avis.pdf).
(18) Cass soc, 1er juillet 2008, n°07-44.124