À retrouver également ici : Vanessa Codaccioni : “Les syndicats ont toujours été réprimés par le pouvoir central”
Ce jugement s’inscrit dans une histoire extrêmement longue de répression politique et anti-syndicale. Les syndicats ont toujours été réprimés par le pouvoir central, soit par le biais de la police (les violences policières, les arrestations, les perquisitions de locaux, les gardes à vue), soit par le biais de la justice qui peut prononcer des peines de prison avec sursis, rarement des peines de prison ferme, et, surtout des peines d’amende.
Car la répression est le plus souvent « calculée », notamment dans ses effets. Les gouvernements, les magistrats du parquet et du siège savent quelle affaire peut susciter un scandale, des mobilisations de solidarité, des dénonciations croisées. Et dans le passé, de très nombreux inculpés ont bénéficié de cette crainte du scandale et de la dénonciation d’une justice politique ou de classe. Manifestement, cela n’a pas empêché de condamner les anciens salariés de Goodyear. Comment l’interpréter ?Cette condamnation s’inscrit dans un contexte d’éradication de toute contestation radicale du monde social. L’activisme, même lorsqu’il vise à dénoncer des injustices sociales et économiques (les plans sociaux, les délocalisations, l’augmentation de la précarité professionnelle), n’est plus toléré. Dans une France où le militantisme oppositionnel illégaliste (c’est-à-dire qui enfreint la loi et le droit) est devenu plus minoritaire et marginal, un acte de violence contre un patron apparaît comme d’une extrême gravité. C’est le cas des incidents relatifs à la « chemise » du DRH d’Air France. Or, au regard du contexte économique désastreux de la France, on peut supposer que ce type d’actes va se reproduire. Il va y avoir de plus en plus de tensions et de désespoir de la part de gens qui veulent sauver leur emploi. Et s’il faut être prudent car l’affaire est singulière, on peut voir dans l’affaire Goodyear une sorte d’avertissement : toute violence syndicale pourra être réprimée de la même manière.
Au-delà de s’inscrire dans la longue histoire de répression anti-syndicale que j’ai évoquée, cette affaire qui touche des syndicalistes de la CGT éclaire un autre phénomène que j’ai particulièrement étudié et qui me semble très important : celui de l’assimilation des activistes à des criminels ou des délinquants de droit commun. Cette assimilation n’est pas nouvelle, et il y a toujours eu une volonté du pouvoir central de réduire des gestes militants ou des « violences syndicales » à des actes de délinquance pour les traiter de la même manière.
Michel Foucault a beaucoup travaillé sur ce qu’il appelait la « gestion différentielle des illégalismes » pour insister sur la manière dont certains crimes, et donc certaines classes sociales, sont plus réprimés que d’autres. Ainsi au XVIIIe siècle, le vol par exemple, qui est le fait des classes populaires, est durement réprimé tandis que les crimes de la bourgeoisie, les fraudes en particulier, échappent au système pénal ordinaire et restent le plus souvent impunies. Et ce n’est qu’un exemple, historique, de l’inégalité des justiciables face à la justice, notamment en fonction de leurs origines sociales. Toute la sociologie de la criminalité en « col blanc » et de la criminalité financière, celle des cadres et des élites économiques, montre également sa relative impunité.