Republié depuis mon blog (passages surlignés par moi) : « La France n’a pas de véritable vision »
Invité début octobre à tirer les conclusions d’un colloque intitulé « La France a-t-elle encore une politique au Moyen-Orient ? », l’ancien ministre des affaires étrangères Hubert Védrine a pris la parole en prévenant : « J’espère ne désespérer personne », avant d’admettre qu’il « y a bien une politique étrangère française de facto », mais qu’elle se résume au Proche-Orient à des« morceaux de politique française juxtaposés ».« La France n’a pas de véritable vision », déplorent des personnalités aussi différentes que Bertrand Badie, professeur de relations internationales à Sciences Po, Yves Aubin de La Messuzière, ancien diplomate, excellent connaisseur du monde arabe, ou Marc Trévidic, ancien juge d’instruction au pôle antiterroriste de Paris.Pourquoi ? D’abord, peut-être parce que la définition de la politique française, en particulier dans cette partie du monde est partagée, voire parfois disputée, entre l’Élysée et le Quai d’Orsay, avec dans le dossier syro-irakien, une forte présence de la Défense. Ensuite parce que les équations personnelles des principaux responsables, l’influence de leurs principaux conseillers, le poids et l’héritage des différentes administrations n’aident pas à construire une cohérence. Ensuite parce que, comme le relève un diplomate« notre politique actuelle au Proche-Orient est plutôt de réaction que d’action. Elle manque cruellement de réflexion sur la longue durée ».
L’exemple des relations entre la France et l’Arabie saoudite illustre parfaitement ce travers. Sur quoi sont-elles fondées ? Sur l’examen pragmatique des forces et faiblesses de ce pays ? Sur son respect des valeurs auxquelles la France est, en principe, attachée ? Sur son influence positive et stabilisatrice dans la région ? Sur l’évaluation à long terme de nos intérêts respectifs ? On peut en douter.En choisissant de faire de cette monarchie absolue wahhabite, qui a déjà exécuté 146 condamnés depuis le début de l’année, notre partenaire privilégié au Moyen-Orient, François Hollande et Laurent Fabius, efficacement aidés par le précieux Jean-Yves Le Drian, ont donné la priorité à leur chère « diplomatie économique », sacrifié quelques principes et dilapidé quelques cartes diplomatiques de valeur.
En demeurant silencieux sur le caractère médiéval du régime saoudien, sur le statut quasi esclavagiste de la femme, sur les violations innombrables des droits de l’homme, en oubliant que la doctrine religieuse du royaume, le wahhabisme, a servi de terreau à tous les djihadistes ou que de nombreux princes ou personnalités ont été – ou demeurent ? – de généreux mécènes pour les mouvements islamistes radicaux, à commencer par celui d’Oussama Ben Laden, Paris ne manque pas seulement à ses devoirs moraux – la diplomatie a pris l’habitude de s’en affranchir – mais apparaît, aux yeux de toute la région, comme l’allié privilégié des régimes sunnites.D’autant que ces bonnes dispositions à l’égard du royaume saoudien s’étendent aussi aux monarchies du Golfe, wahhabites également, à commencer par le richissime Qatar, qui a commandé 24 Rafale.
Signe confirmé par les témoignages d’amitié prodigués, au-delà du protocole, par le président de la République à son hôte, lors du dîner officiel offert par Benjamin Netanyahou. Après avoir entendu le récital d’une chanteuse israélienne, François Hollande, se tournant, visiblement ému, vers le premier ministre israélien, a déclaré : « Je voudrais avoir la voix de cette chanteuse pour dire tout l’amour que je porte à Israël et à ses dirigeants. »Cet amour va parfois jusqu’à rendre le président de la République amnésique. Répondant, le 14 juillet dernier, aux questions des journalistes sur l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, François Hollande a avancé cette explication – selon le texte disponible sur le site de l’Élysée : « Qu’est-ce qu’était ma préoccupation ? Éviter la prolifération nucléaire. Cela veut dire quoi, la prolifération nucléaire ? Cela voulait dire que l’Iran puisse accéder à l’arme nucléaire. Si l’Iran accédait à l’arme nucléaire, l’Arabie saoudite, Israël, d’autres pays voudraient également accéder à l’arme nucléaire. Ce serait un risque pour la planète tout entière. » Comment pouvait-il avoir oublié qu’Israël dispose depuis près de 50 ans – en partie grâce à la France – de l’arme nucléaire, au point de détenir aujourd’hui au moins 80 ogives, qui peuvent équiper des bombes, des missiles air-sol, des missiles balistiques sol-sol ou des missiles mer-sol, embarqués à bord de ses sous-marins ?Le tropisme pro-israélien si mal maîtrisé de François Hollande va parfois jusqu’à provoquer des accrochages avec le Quai d’Orsay. Ce fut le cas en juillet 2014, lors du déclenchement de l’opération militaire israélienne contre la bande de Gaza, lorsque le président de la République a affirmé qu’il appartenait à Israël de « prendre toutes les mesures pour protéger sa population face aux menaces », et que « la France était solidaire [d’Israël] face aux tirs de roquettes ». Il fallut 48 heures de bombardements israéliens et de nombreuses victimes palestiniennes pour que François Hollande accepte, sous la pression de Laurent Fabius et de plusieurs dirigeants du PS, d’appeler le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas pour lui dire « son inquiétude sur la situation à Gaza » et déplorer que « les opérations militaires en cours aient déjà fait de nombreuses victimes palestiniennes ».