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Billet de blog 30 novembre 2015

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Arnaud Leparmentier chante les louanges du traité transatlantique sur France Inter

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Republié depuis mon blog (passages surlignés par moi) Arnaud Leparmentier chante les louanges du traité transatlantique sur France Inter


Dans son « Édito » du 6 octobre dernier à l’antenne de France Inter, Arnaud Leparmentier s’est livré à un vibrant plaidoyer pour le libre-échange et les accords de commerce transpacifique et transatlantique. Cela ne surprendra personne : le directeur adjoint des rédactions duMonde inflige régulièrement aux auditeurs d’Inter ses partis-pris grandiloquents à la gloire du marché. C’est bien le droit d’Arnaud Leparmentier que d’exprimer son opinion ; ses éditos à sens unique révèlent cependant, par contraste, la faiblesse de l’information et du débat sur les accords de libre-échange à l’antenne de France Inter.

« TOUT EST PARFAIT »

Arnaud Leparmentier n’est pas seulement éditorialiste et directeur adjoint des rédactions du Monde. Il est également un « homme de radio » : co-animateur du « grand rendez-vous » hebdomadaire de Jean-Pierre Elkabach sur Europe 1, et chroniqueur deux à trois soirs par semaine sur France Inter, dans l’émission de Nicolas Demorand « un jour dans le monde ».

Il s’était déjà illustré en appelant, à l’antenne en juin dernier, au renversement du gouvernement d’Alexis Tsipras, coupable d’insoumission vis-à-vis de ses créanciers. Mais c’est sur un tout autre sujet que le chroniqueur avait choisi de sévir au mois d’octobre dernier : celui des traités de libre-échange transpacifique et transatlantique [1].

Nous ne pouvons pas développer ici in extenso les raisons pour lesquelles ces projets d’accord de libre-échange et d’investissement, d’une ampleur inégalée, ont suscité d’importantes controverses et mobilisations sociales en Asie, aux États-Unis comme en Europe [2]. Force est de constater que ce n’est pas non plus en écoutant l’« édito » d’Arnaud Leparmentier du 6 octobre dernier, dédié à l’accord transpacifique, que les auditeurs en sauront plus sur les critiques de ces traités.

Inspiré, le chroniqueur y établit une liste à la Prévert des bienfaits du traité de libre-échange : pour les producteurs de lait, les constructeurs d’automobile, le droit du travail voire l’« internet ouvert, y compris au Vietnam communiste »… Et de conclure d’un laconique « tout est parfait » - en oubliant de préciser « dans le meilleur des mondes ».

Peu importent les inquiétudes des agriculteurs japonais oucanadiens ; les conséquences de la hausse de la durée des brevets sur les programmes de santé ; les manifestations contre l’opacité des négociations à Sydney ou à Washington ; et plus généralement les mobilisations citoyennes, y comprisaprès la signature du traité (qui doit encore être ratifié). Non, décidément, « tout est parfait » !

Arnaud Leparmentier n’ignore pas tout à fait les critiques à l’égard les accords transpacifique et transatlantique ; mais il se contente de les balayer d’un revers de main. L’accord de libre-échange nord-américain (ALENA), conclu en 1994, aurait-il conduit à des délocalisations massives au Mexique ? « À titre personnel nous voilà ravi : le libre-échange profite aux plus pauvres, et c’est très bien pour les mexicains. Les américains raisonnables le savent : ils ne peuvent pas avoir 120 millions de pauvres au Sud du Rio Grande, la richesse du Mexique est la leur » catéchise Leparmentier. C’est oublier un peu vite que les délocalisations n’ont pas bénéficié aux Mexicains les plus pauvres, loin de là [3].Un détail, sans doute, pour notre chroniqueur empressé de vanter les mérites du libre-échange.

« Je connais tous les arguments sur les prétendus standards américains qui seraient laxistes » ajoute le chroniqueur, « en fait l’affaire Volkswagen nous l’a prouvé : les règles sont plus strictes aux États-Unis et il n’est pas question de nous forcer à manger des OGM ». Rien à redire donc, fermez le ban puisque Leparmentier connaît « tous les arguments »… et que l’affaire Volkswagen aurait prouvé qu’ils étaient faux ! Qui plus est, nous n’avons ni le choix, ni le temps de questionner les accords de libre-échange puisque« si on ne bouge pas, ce seront les États-Unis et l’Asie qui fixeront les règles économiques du 21ème siècle et nous n’aurons qu’à nous aligner. » Et de conclure dans une tirade militante, prenant Nicolas Demorand (ainsi que les auditeurs) à partie : « ne signez pas les pétitions qu’on vous présente contre le traité transatlantique européen […] Il reste 15 mois avant la fin du mandat d’Obama, profitons du temps qu’il nous reste pour avancer vers le libre-échange. »

L’activisme d’Arnaud Leparmentier ne s’arrête pas là : dans sa chronique du 19 octobre, il se mobilise à nouveau pour cette « cause perdue » que serait le traité transatlantique, et se désole du succès des mobilisations citoyennes à son encontre (voir annexe). Si l’enthousiasme sans nuance du directeur adjoint du Monde à l’égard des traités de libre-échange ne surprend personne, une question demeure : s’informer de manière équilibrée sur les accords de libre-échange est-il possible ailleurs sur l’antenne de France Inter ?

DES « DÉBATS » SUPERFICIELS

Un examen rapide des émissions de France Inter, hors journaux d’information, semble indiquer que les auditeurs trouveront difficilement de quoi contrebalancer les partis pris d’Arnaud Leparmentier. En tout en 2015, deux émissions du « Téléphone sonne », d’une quarantaine de minutes, ont été dédiées au traité de libre-échange entre l’Union européenne et les Etats-Unis (TAFTA) en octobre et en mai. Si l’on considère l’antenne de France Inter dans son ensemble, le traité transatlantique a fait l’objet de deux émissions en plus des « Téléphone sonne » : un mini-débat de 8 minutes en septembre dans la matinale de Patrick Cohen (« La Commission sauvera-t-elle le Tafta ? ») et un débat d’environ 35 minutes en août, (« Le TAFTA est-il le grand méchant loup ? »). Soit deux heures d’antenne en tout en 2015.

À ces considérations quantitatives s’ajoutent des doutes sur la qualité de l’information apportée aux auditeurs sur les accords de libre-échange. Les différentes émissions citées adoptent toutes le même format : celle du débat entre « anti » et « pro » TAFTA.

L’émission du « Téléphonne sonne » du 29 octobre, animée par Nicolas Demorand, opposait ainsi Elvire Fabry, chercheuse à l’institut Jacques Delors (pro) à Yannick Jadot, député européen Europe-Ecologie-Les Verts (anti). Celle du mois de mai, animée par Stéphane Leneuf, opposait déjà les « anti » (Yannick Jadot et Emmanuel Morel, du Parti socialiste) aux « pro » : Cristian Preda, un eurodéputé roumain conservateur et Cécilia Malmström, commissaire européenne au commerce, directement chargée de négocier le traité.

Idem dans la matinale de Patrick Cohen, on assiste à un débat de 8 minutes entre Benjamin Coriat, professeur d’économie à Paris 13 et membre des économistes atterrés (anti), et Laurent Guez, directeur délégué de la rédaction des Echos Week-End et des Echos Business (pro). Quant au « Débat de midi » du mois d’août, il rassemblait deux intervenants « pro », Vincent Champain présenté comme « président de l’Observatoire du long terme » et l’universitaire Patrick Messerlin ; et deux invités « anti », Amélie Canonne de l’association AITEC et Thomas Porcher, universitaire.

La forme « débat contradictoire » peut avoir un intérêt pour confronter des arguments. Elle a aussi ses limites ; et compte tenu des conditions imposées, on peut douter que ces débats apportent réellement une compréhension des enjeux aux auditeurs qui ne connaissent pas déjà le sujet. Les prises de paroles sont courtes (jamais plus de 2 minutes, et environ 45 secondes en moyenne), parfois coupées par l’animateur ou par un ou une autre invitée ; avec le passage rapide d’un aspect à l’autre des accords de libre-échange elles imposent une approche superficielle ; et certains sujets ne seront évidemment pas abordés dans des laps de temps aussi brefs.

Les auditeurs retiendront donc qu’il y a des « anti » et des « pro », une des préoccupations de Nicolas Demorand si l’on en croit cet échange avec Yannick Jadot :

« Mais votre position, c’est quoi Yanick Jadot ? Vous êtes contre le TAFTA ou... »
« Oui »
« Dans son ensemble ? »

Et lorsque l’eurodéputé tente de développer sa position au-delà de la simple opposition binaire pro / anti, il est à nouveau coupé :

« Donc vous êtes contre le TAFTA. » 
« Je suis contre le TAFTA parce que, encore une fois, il ne s’agit pas de négocier avec les américains la lutte contre les paradis fiscaux, l’amélioration des droits sociaux, la protection des données personnelles, la lutte contre le dérèglement climatique ; il s’agit de donner plus de pouvoir à des firmes au détriment de nos choix démocratiques. »
« Mais vous êtes pour le libre-échange quand même ? »

Notons qu’Elvire Fabry, opposée à Yannick Jadot dans ce débat, ne fera pas l’objet d’un tel interrogatoire ; elle pourra tenir la position « pro-TAFTA » sous une apparence de technicité et de neutralité.

Pourtant, les experts ne sont pas toujours ceux qu’on croit… Ainsi, l’expert « pro-TAFTA » joint par téléphone en août dans le « Débat de midi » est présenté comme « président de l’Observatoire du long terme ». L’animateur oublie de préciser une autre fonction occupée par Vincent Champain qui aurait pu intéresser les auditeurs… Celle de directeur des opérations France chez General Electric ! Ce qui est loin d’être anecdotique compte tenu des intérêts de General Electric dans les négociations de l’accord commercial transatlantique…

***

La couverture du TAFTA à l’antenne de France Inter a consisté en l’organisation de débats entre « pro » et « anti », pour un total de deux heures environ, complété par deux « Éditos » caricaturaux d’Arnaud Leparmentier. Un peu léger pour le plus grand accord de libre-échange jamais réalisé, dont les conséquences seront multiples et profondes pour les sociétés européennes…

Et pourtant, ce n’est pas faute d’intérêt de la part des auditeurs ! Dans les deux « Téléphone sonne » et dans le « Débat de midi », sur 29 interventions des auditeurs [4], nous avons compté 27 interventions critiques vis-à-vis du TAFTA, les deux restantes étant neutres. On retiendra notamment ce tweet lu par Quentin Dickinson lors du « téléphone sonne » du mois de mai : « Pourquoi cette question n’est-elle pas davantage relayée par les médias ? ». Une question intéressante,superbement ignorée dans la suite de l’émission.

Nicolas Demorand conclut le « Téléphone sonne » du 29 octobre par ces mots : « Je peux vous garantir qu’on va en refaire des « Téléphone sonne » sur le sujet ! ». Augmenter le temps d’antenne famélique consacré cette année à un sujet aussi important est en effet indispensable. Encore faut-il voir la façon dont ce temps d’antenne est utilisé, car ni les « Éditos » biaisés ni les débats forcément incomplets ne peuvent prétendre éclairer les auditeurs.

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