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Billet de blog 29 décembre 2025

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Des juges sanctionnés, des commissaires indignés : l’hypocrisie européenne

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Quand l’Europe feint de découvrir l’humiliation

Il faut arrêter de faire semblant de ne pas comprendre.

Les sanctions américaines contre des responsables européens ne sont pas un accident diplomatique, ni un dérapage isolé. Elles s’inscrivent dans une continuité. Et cette continuité révèle une hypocrisie européenne aussi profonde que dangereuse.

Avant que Washington ne s’en prenne à des commissaires européens, les États-Unis ont sanctionné des magistrats de la Cour pénale internationale : des juges et des juristes.

Des femmes et des hommes dont la seule faute a été d’appliquer le droit international.

Parmi eux, Nicolas Guillou, juge français à la CPI, directement visé par des mesures de rétorsion après l’émission de mandats d’arrêt contre des responsables israéliens soupçonnés de crimes de guerre.

Ces sanctions ne visaient ni une opinion politique, ni une posture militante, mais l’exercice même de la justice internationale.

Auparavant, le procureur de la CPI, Karim A. A. Khan, a lui aussi été la cible de pressions directes, de menaces visant sa personne et sa famille, dans un climat d’intimidation inédit pour une juridiction censée être protégée par les États signataires du Statut de Rome.

Ces pressions, largement documentées, ont contribué à son retrait temporaire de certains dossiers sensibles.

Là encore, silence quasi total des capitales européennes.

À cela s’ajoute un fait encore plus grave :

Francesca Albanese, rapporteure spéciale des Nations unies sur les territoires palestiniens occupés, juriste italienne, a elle aussi fait l’objet de sanctions et de mesures de rétorsion américaines, pour avoir fait ce que son mandat exige : documenter, qualifier juridiquement les faits, alerter.

Elle n’a fait qu’exercer son rôle au sein des Nations unies.

Elle a été laissée seule.

Aucune protestation sérieuse.

Aucune contre-mesure.

Aucun front diplomatique européen.

Puis viennent les sanctions visant des commissaires européens, et soudain, l’Europe découvre l’ingérence, l’humiliation, l’atteinte à sa souveraineté.

Ce deux poids deux mesures indécent est devenue notre posture idéologique. 

Une indignation sélective

Ce qui est frappant, ce n’est pas la brutalité américaine — elle est constante — mais la sélectivité de l’indignation européenne.

Lorsque des magistrats internationaux sont sanctionnés pour avoir osé enquêter sur des crimes de guerre israéliens, l’Europe détourne le regard.

Lorsque des responsables politiques européens sont visés, l’indignation devient officielle, médiatisée, urgente.

Ce décalage révèle une vérité simple :

le droit international n’est défendu que lorsqu’il est inoffensif. Dès qu’il menace des alliances stratégiques, il devient négociable.

Une légitimité déjà fracturée

Il serait par ailleurs utile de rappeler une évidence trop souvent évacuée :

les dirigeants européens qui crient aujourd’hui à l’atteinte à la souveraineté ne représentent plus politiquement les peuples européens depuis longtemps.

Le peuple français a rejeté par référendum le projet de Constitution européenne. Il a pourtant été imposé par voie parlementaire.

Depuis, les grandes orientations stratégiques — sanctions contre la Russie, alignement militaire, dépendance énergétique, soutien inconditionnel à Israël — ont été prises sans consultation populaire, souvent contre l’intérêt direct des populations européennes.

Les mêmes élites qui s’indignent aujourd’hui ont :

- soutenu des sanctions économiques ayant contribué à l’appauvrissement de l’Europe,

- accepté la vassalisation stratégique vis-à-vis des États-Unis,

- fermé les yeux sur la destruction du droit international en Palestine,

- sanctionné ou marginalisé leurs propres dissidents, chercheurs, militaires, intellectuels — y compris hors UE, comme l'ex colonel Suisse Jacques BAUD, sanctionné pour avoir tenu un discours à la.large de la propagande russophobe.

Ces dirigeants sont davantage des arroseurs arrosés que des victimes à plaindre.

Ce que révèle réellement cette séquence

Il ne s’agit pas ici de soutenir les sanctions américaines.

Elles sont inacceptables, brutales, et contraires au principe même de souveraineté.

Mais s’étonner aujourd’hui d’être traité en subalterne par un allié que l’on a accepté de servir comme tel relève de l’aveuglement politique.

La souveraineté ne se proclame pas quand on est humilié. Elle se construit avant.

Elle se construit quand on défend ses magistrats, ses juristes, ses institutions internationales — même quand leurs décisions dérangent.

Elle se construit quand on respecte le droit international sans géométrie variable.

Elle se construit quand on gouverne avec les peuples, et non contre eux.

À défaut, il ne reste que des indignations tardives.

Et une Europe qui découvre trop tard qu’elle n’est plus respectée, parce qu’elle a cessé depuis longtemps de se respecter elle-même.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.