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Billet de blog 13 août 2022

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Alcyon ou l’émerveillement

Je viens du Havre et pourtant, je ne connais quasiment rien de la mer. Peut-être est-ce l’une des raisons qui m’a poussée à embarquer à bord d’Alcyon. Ce voilier des années 1980 de 15 tonnes pour 12,08m est à la disposition de l’association écolo Participe futur, grâce à laquelle je suis partie une semaine en quête de cétacés et autres habitants de la Méditerranée, aux abords de Toulon.

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Pour tenter de vous figurer la vie à bord d’Alcyon, si, comme moi, vous n’avez jamais eu le pied marin jusqu’à présent, imaginez une caravane à l’intérieur en bois, avec tous ses placards et cachettes secrètes, son espace de vie restreint, ses petits lits (bannettes) où vous dormirez si bien le soir après une riche journée.

Dans ces cachettes, on y range les vêtements, victuailles, nécessaires de toilette et de cuisine – nécessaire étant la clef– du matériel scientifique d’observation, de collecte de données et de navigation. Les objets peuplent notre quotidien. Basil le (pot de) basilic, Nestor le régulateur de cap en bouts, Taylor/Primus la cuisinière récalcitrante au pétrole, jusqu’à Flafla Flavien, notre bouée flamand rose sauvée des eaux quelque part dans la plaine abyssale.

L’équipage complète cette sympathique assemblée. À sa tête, Anne, cheffe de bord, notre skipper hors pair aux innombrables histoires de navigation ; Victor, son jeune second multifonction (et aussi président de l’association) qui a pratiquement grandi sur Alcyon. Ce duo de musiciens a parfaitement orchestré notre route selon les requêtes de notre géniale et patiente écoguide Marie. Comme nous sommes malheureusement passés de 4 à 3 écovolontaires en cours de route pour raison de santé, ce sont presque des cours particuliers dont Marianne, Stan et moi, avons pu bénéficier lors de cette semaine d’émerveillement, de nouveauté et de poésie.

Illustration 1
Alcyon sur la panne S du port de Toulon © C. Dony

À bord, c’est presque une deuxième langue qu’on emploie. Affaler les voiles, se rapprocher du vent, artimon, pare-battages, génois…. Cela dit, elle s’apprend vite pour peu qu’on s’y intéresse, surtout lorsque tout ce vocabulaire pourra bientôt servir dans mes futures grilles de mots fléchés (Spi, foc, foil, écoute… sortez vos nombres de lettres, je suis parée !). J’apprends au passage que « souquez les artimuses » ne veut rien dire du tout, j’avais semble-t-il zappé la fin du dialogue (pour le plus grand bonheur de mon entourage) ! Il y a aussi des choses qu’on ne dit pas sur un bateau, car les marins sont superstitieux. Ne vous aventurez pas à parler de « corde » (la seule « corde » connue est celle du pendu) ou de « lapin » (l’animal aux grandes oreilles, comme on préfère l’appeler, se régalait de bois, de corde et autre nourriture sur les bateaux d’antan).

Par ailleurs, d’autres mots prennent sens, comme « larguer », « tenir la barre » (je vous mets au défi de ne pas vous mettre à chanter, et je ne parle pas de hisser la grand voile!). « Faire face au vent ». Les « abysses ». Les couleurs aussi se révèlent, surtout le bleu marine, un bleu sombre, profond et salé qui regorge de mystères et de vie. La « mer d’huile » pourrait aussi s’appeler la « mer crème dessert » tellement sa texture y ressemble avant qu’on y plonge les pieds. Une mer aux apparences douce et onctueuse.

C’est parmi ce bleu que les écovolontaires scrutent l’horizon à la recherche d’un souffle de cétacés, d’un reflet coloré, d’un dos, d’un saut, d’une tâche d’huile indiquant qu’un rorqual aurait sondé sur la zone. Bientôt, plus rien d’autre ne compte. La terre et tout ce qu’elle contient est si loin qu’il arrive qu’on ne la voit plus. Et d’ailleurs on n’y pense plus depuis déjà plusieurs miles, aidés par une déconnexion téléphonique quasi complète. Le moment tant espéré arrive. Alors la fébrilité traverse tout l’équipage, qu’il s’agisse d’un dauphin bleu et blanc, d’une tortue Caouane, d’un rorqual commun au loin, de puffins et libellules, globicéphales, sauts de raie, de thon, de poissons volants au petit jour. Nous laissons venir les animaux à nous s’ils le souhaitent ou nous manœuvrons habilement pour nous en rapprocher sans les déranger, pouvoir les photographier pour apporter les éléments d’authentification nécessaires à notre recensement scientifique.

Illustration 2
Une caudale de cachalot, vue à bord d'Alcyon © Marianne

Avouons tout de même une mention spéciale dans ces souvenirs à nos rencontres avec des cachalots. Expérience rare et fantastique, double dans notre cas. Le 3e jour, nous en voyons deux, mais nous ne l’avons su que dans les dernières secondes. En voir était tellement improbable que nous étions d’abord certains d’avoir affaire à des rorquals. Dans la même direction que le soleil, nous distinguions mal la couleur de ces géants. Mais quand un rorqual sonde (plonge), c’est son dos que nous aurions dû voir, et point sa caudale ! Alors, au moment décisif, quelle surprise ! Mais oui, sa dorsale était petite, sa couleur indistincte et le jet d’eau de son souffle était bien de biais et à l’avant de son corps. Nous avons appelé ce coquin Bob le " rorqualot ". Je ne vous cache pas que nous avons mis un peu de temps à nous remettre, surtout Marie, pour qui la surprise était encore plus belle.

Deux jours plus tard, nous rencontrons à nouveau des cachalots, nous les reconnaissons beaucoup plus vite puisque nous savons désormais qu’il est possible d’en admirer. Nous profitions donc pleinement de la joie de voir pas moins de 4 d’entre eux. Trois adultes et un « petit » qui se tenait près de ce que nous pensons être sa mère. Les deux autres adultes étaient peut-être des femelles qui accompagnaient ce petit couple, ou une femelle et le mâle derrière, car le cachalot vit avec son harem. Ils sont restés longtemps en surface et nous avons tressailli à chaque souffle, à chaque mouvement qui nous faisait penser à une sonde, à chaque caudale. Observation magique perturbée par le son et les vibrations de déflagrations sous marine que nous comprenons plus tard être les indices d’essais militaires quelque part autour de nous.

L’émerveillement n’aura jamais si bien porté son nom.

Cette phrase s’accorde bien également avec un moment particulièrement poétique : la nuit à la cape. 

Illustration 3
Lever de soleil après une nuit à la cape" Autrice : Marianne

Comprenez une nuit à la dérive contrôlée, quelque part au-dessus de la plaine abyssale, entre 2500m et 3000m de profondeur. Après une baignade peu sereine pour ma part au-dessus de toute cette eau (et de ce qu’elle contient), nous mangeons au coucher du soleil avant de prendre nos quarts pour la nuit. Nous nous organisons pour surveiller les ferries, paquebots, bateaux de pêche et voiliers au loin (en espérant qu’ils ne viennent pas trop près). Alors nous profitons de ces quelques heures pour admirer la voie lactée qui est notre plafond infini pour la nuit. Nous entendons la mer. Ses clapotis, les souffles invisibles des globicéphales et les sauts de dauphins que nous ne parvenons pas à distinguer malgré les rayons de la lune, avant que cette dernière ne se range derrière un nuage jusqu’au petit matin. Seul le soleil, vers 7h, révèlera des globicéphales sur cette mer rosée par un jour sans vague, puis des sauts de poissons divers.

Nous avons malheureusement trouvé de nombreux déchets sur notre route, en particulier des ballons gonflés à l’hélium. Deux se sont échappés de fêtes d’anniversaire (et pas que d’enfants, au moins une personne venait d’avoir 40 ans), deux autres célébraient l’univers Disney-Pixar en mettant des paillettes pas très biodégradables dans l’eau et sur notre bateau. Le fameux Flafla, bouée flamand rose qui a servi de zone de repos à quelques puffins a aussi été découvert si loin que nous ne voyions alors pas les côtes, ainsi qu’un coussin carré blanc, qui a hébergé quelque temps une tortue Caouane fatiguée, également venu agrémenter notre collection. Nous ajoutons un immense smiley jaune gonflable pêché lors de la mission précédente. Si vous ressentez une envie de percer tous les ballons que vous croiserez à terre pour les mettre directement à la poubelle avant qu’ils ne nuisent d’avantage, c’est normal !

Illustration 4
Marianne, Stan, Anne, Cécile et Marie et nos trouvailles de bouée, ballons et coussin en Méditerranée

Nous avons également été témoins du transport maritime décomplexé. Nombre de ferries ralliant la côte à la Corse ou à la Sardaigne. Les sapin de Noël, comme les appelle Anne, mais pas dans le bon sens du terme. Et aussi des cargos, de gros porte-conteneurs ou pétroliers, des RoRo, tous plus gros les uns que les autres, amenant des biens ou des énergies fossiles d’un bout à l’autre du monde de nos sociétés de surconsommation, où tout doit aller le plus vite possible. Et nous, au milieu de tout ça, sur notre gros pépère de voilier à la réactivité un peu lente, venus pour la magie de ce que la nature recèle, prenant le temps de la dérive et du détour, de la méditation, de l’attente sans objectif précis, avec quelque espoir d’émerveillement accru. Comme le dit Marianne, tant que nous voyons quelque chose, nous ne sommes pas déçus.

Nous avons bien ri et discuté lors des moments de cette semaine qui n’appartient qu’à nous et Alcyon (même si notre journal de bord est à lire ici : https://www.participefutur.org/2022-m4). Nous étions littéralement dans le même bateau, avec nos bains et nos vaisselles à l’eau de mer, nos apéros et repas dans le cockpit (avec ou sans primus) les apprentissages de nœuds, manœuvres, nos vérifications d’hydratation et de crème solaire. Les parcours bien différents de chacun·e nous ont très enrichis. Notamment en écoutant les histoires d’Anne, qui parcourt les océans depuis quelques années maintenant, en particulier vers les glaces, c’est un roman qui s’écrit sous mes yeux. Un roman plein d’images bien sûr. Bientôt elle pourra nous raconter le voyage d’Alcyon vers le Groenland lors de l’expédition Fata Morgana, prévue pour 2023 et qui devrait durer 8 mois.

En quittant le bateau pour de bon et en laissant Marie à la grille de la panne (le quai) S, je n’ai aucune envie de repartir vers la gare et de retourner vers un univers qui me semble désormais parallèle, irréel. Plutôt regrimper à l’échelle, larguer les amarres et hurler « parer à virer » jusqu’à la disparition de la côte.

Illustration 5
"Premiers dauphins bleu et blanc vu lors de la 4e mission de 2022 à bord d'Alcyon" Autrice : Cécile

Je ne m’attendais pas à être si émue et à devenir « addicte » si vite au roulis du bateau, aux changements de la mer, à la beauté de l’attente et au plaisir d’une observation éphémère, à la joie de la découverte et de l’apprentissage, au plaisir de barrer et de rester des heures à la proue (couverte d’une couche de crème solaire bien sûr). La mer, la veille, l’émerveillement. Le mal de terre du retour n’est pas que physiologique. Une semaine plus tard, je me surprend maintenant à sourire bêtement en pensant à un cachalot. Il me faut désormais ma dose !

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