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Billet de blog 29 décembre 2022

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II. Iran : une entreprise de terreur qui recourt à l’exécution, à la torture et au viol

Trois mois s’est écoulé depuis le début de mouvement révolutionnaire iranien qui semble entrer dans une phase de déclin relatif. Pourtant, les manifestations se poursuivent dans les autres espaces publics comme les cimetières où les familles des victimes lisent leurs propres manifestes, et désignent les leurs comme des martyres de la révolution Femme Vie Liberté.

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Par son acte protestataire Mohamad Moradi a voulu alerter l’opinion publique internationale et attirer l’attention des autorités occidentales. On se demande alors, si l’objectif a été atteint ? Qu’a-t-il changé depuis le 11 novembre, date de réception des militantes iraniennes du président Emmanuel Macron" ? Quel est le fruit de cette rencontre ? Mohamad cherchait à alerter l’opinion publique sur la situation critique en Iran et dénoncer la répression que subit le peuple iranien depuis le meurtre de Mahsa Jina Amini par la police des mœurs, où l’Iran est devenu le théâtre de manifestations de colère et d’indignation.  Dans un contexte de répression accrue depuis le printemps 2022, ce crime et cette violence policière ne sont pas une nouveauté pour les Iraniens.

Cependant, l’assassinat de Mahsa Amini a déclenché un élan de colère, tout particulièrement chez les femmes iraniennes. Elles protestent contre les mesures répressives du régime iranien et contre l’apartheid de genre imposé au lendemain de la Révolution de 1979, mais aussi contre l’intensification de la violence policière depuis l’arrivée au pouvoir d’Ebrahim Raïssie, Président ultraconservateur, il fut l’un des responsables des exécutions massives d'opposants, de milliers de prisonniers politiques (estimé entre 6000 et 8000 selon les estimations) dans les années 1980. Depuis le 13 septembre, nous assistons ainsi à l’éruption d’un ressentiment profonde d’indignation, qui s’est progressivement accumulé au cours des dernières années. Ceci a donné lieu à une situation insurrectionnelle qui s’est transformé en un mouvement révolutionnaire appelé Femme Vie Liberté. Ce mouvement trouve ses origines dans l’acte protestataire, progressiste et courageux de Vida Movahed en 2017 contre l’obligation du port du voile. C'est elle, Narge Hosseini, Azam Djangevari et des dizaines de femmes qui ont marqué cet acte révolutionnaire historique.

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Le mouvement de protestation ainsi initié le 17 septembre par des iraniens issus de toutes les générations continue de s’amplifier dans les rues. Il se poursuit particulièrement dans les cimetières, lors des célébrations du quarantième jour de décès de chaque victime du régime. Chacune de ces cérémonies se transforme en une scène de révolte où les familles des victimes lisent leurs propres manifestes, et désignent les leurs comme des martyres de la révolution Femme Vie Liberté. En effet, les revendications des femmes et des hommes iraniens se cristallisent autour de ce slogan, et ont beaucoup évolué au cours des cents derniers jours. Le slogan que les opposants utilisent synthétise bien l’ensemble de leurs revendications, à la fois politiques, féministes, économiques, environnementales et liées aux droits de l’Homme, et des minorités ethniques et religieux. Le peuple iranien ne veut plus de ce régime dictatorial qui n’a aucun respect des droits de l’Homme, comme l’illustrent les slogans marqués sur les murs dans les rues et scandés dans les universités, lors des funérailles et surtout tous les vendredis à Zahedân[1].

Pendant les cent jours des protestations, plus de cinq cent personnes ont été tuées, des dizaines de millier ont été arrêtées, et presque cinquante personnes ont été condamnées à mort. Plusieurs jeunes manifestants, particulièrement les femmes ont été torturés et violés par les forces de sécurité iraniennes[2]. Un rapport publié par CNN issu des témoignages secrets qui révèlent des agressions sexuelles sur des militants et militantes, montre comment les forces de sécurité utilisent entre autres le viol comme une méthode pour réprimer les protestations. En effet, c’est une méthode courante de torture utilisés dans les prisons, particulièrement dans les années 1980[3]. De même le rapport du NewYork Times sur une jeune fille de 14, identifiée comme Masoomeh, aurait été violée et tuée pour avoir retiré son hijab à l’école. Ou encore Niloufar, une jeune femme de 21 ans, dans son interview avec Independent Persan, qui annonce qu’après son arrestation par les forces de sécurité, avoir été conduite dans une prison secrète à la périphérie de la ville de Shahroud où elle a été violée par plus de 10 personnes pendant une semaine[4]. La campagne des militants baloutches annonce également dans un rapport publié vendredi 23 décembre, que sept mineurs détenus dans l’un des centres de détention de Zahedân ont été victime de viol et d’agression sexuel[5].

Trois mois s’est écoulé depuis le début de la révolution, elle semble entrer dans une phase d’arrêt relatif avec la diminution du nombre de manifestations dans les rues. A noter que les manifestations se poursuivent dans des espaces publics tels que les cimetières, les universités, ou dans certains quartiers et petites cités ou sur les réseaux sociaux. Le doute quant à la survie du mouvement risque de conduire au désengagement de certains manifestants. Un autre frein à la mobilisation est la mise en marche d’une entreprise de terreur, par le recours à la mise à mort des opposants.

Une longue liste de condamnés à la peine de mort a été publiée et circule sur les réseaux sociaux.  Le 8 décembre, les Iraniens se sont réveillés et ont été bouleversés en apprenant  les premières exécutions de manifestants : Mohsen Shekari à Téhéran et trois frères Joma, Naser et Anoushirvan Omarzehi au Balûchistân. Les exécutions continuent comme celles de Madjid-Reza Rahnavard à Mashhad et Yousef Mirzavand. Il s’agit surtout d’un recourt systémique contre les baloutches à Zahedân, où chaque jour au moins une exécution a lieu (exactions peux médiatisées et passées sous silence à cause notamment de la faiblesse de la société civile au Balûchistân) en dépit de l’appel sur les réseaux sociaux à cesser les mises à mort

La campagne d’abolition de la peine de mort a pu mobiliser les responsables politiques de nombreux pays occidentaux, grâce aux efforts des iraniens exilés à l’étranger. Elle cherche à trouver une solution en sensibilisant l’opinion internationale sur les crimes commis en Iran. Plusieurs députés européens ont accepté de parrainer politiquement les manifestants condamnés à la peine de mort en Iran. En Autriche 183 parlementaires ont accepté le parrainage politique de 183 prisonniers politiques, ainsi que 110 responsables politiques allemands et plusieurs centaines des responsable politiques dans différent pays occidentaux (France, Suède, Nouvelle-Zélande, Finlande, Belgique, Suisse, Pays-Bas, Australie, Canada etc). Cependant, malgré la mobilisation de ces responsables politiques, deux manifestants, Elyas Raïsee (Zahedān) et Yusef Mirzavand (Dezful) ont été exécutés ces derniers jours.  Ce qui donne lieu au questionnement sur le fonctionnement et l’efficacité à la fois politique et juridique du système de parrainage politique comme stratégie de prévention des mises à mort politique. Il en est de même quant à l’efficacité des pressions politiques internationales sur le recours à la torture ou aux peines longues d’enfermement. On se demande donc dans quelle mesure cette alternative est vraiment efficace contre un régime dictatorial ? D’autant plus que lorsque l’on parle d’un régime qui a pu continuer à survivre malgré nombreuses sanctions politiques mise en place depuis la crise diplomatique des années 1980, dont le peuple iranien a d’ailleurs été la seule victime. Peut-être s’agit-il d’une indifférence et d’une résilience à l’égard du régime iranien, à l’image de celle du régime afghan en dépit de la politique répressive qu’il mène à l’encontre des Afghanes ? Quels gouvernements occidentaux ont refusé d’avoir des échanges politiques, commerciaux et culturels avec ces dictatures ?

Cette vague d’exécutions a réveillé les souvenirs et le traumatisme des Iraniens. Elle rappelle tristement l’exécution des prisonniers politiques à l’ère de Khomeini à la fin des années 1980 ou encore celle des membres et des militants du gouvernement autonome d’Azerbaïdjan en 1946 réalisée par Mohamad Reza Pahlavi (estimés entre 10 et 25 milles victimes)[6]. Cela pèse sur la vie de chaque iranien, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Même si les protestations se poursuivent plus au moins dans certaines villes ou certains quartiers, et plus ou moins à l’étranger chez une diaspora ni homogène ni uni composée entre autres d’opposants politiques, un sentiment de désespoir semble gagner les esprits.  Cet état se ressent tout particulièrement dans l’acte protestataire désespéré de Mohamad Moradi, en dépit du message optimiste qu’il a laissé pour la victoire du peuple iranien avant se suicider lundi 26 décembre à Lyon.

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Ce qui est évident à ce stade, est que ce mouvement révolutionnaire, qui n’a d’ailleurs pas de revendication unique, ne possède ni leadership ou chef charismatique, ni organisation horizontale (car la société civile est faible, peu organisée et contrairement aux syndicats tunisiens, les syndicats ne sont pas puissants en Iran), ni une idéologie claire et unifiée et n’offre, in fine, pas une alternative politique ou un courant politique fort et organisé (même s’il existe une autre forme d’auto-organisation particulière et des réseaux horizontaux de militants à l’intérieurs du pays, propres à chaque région, chaque ville voire même chaque quartier).

Il est clair qu’aujourd’hui, les Iraniens ne sont plus dupes des diverses stratégies du régime, surtout quand il s’agit de la tentative d’apporter une réponse ou quand il s’agit des aveux forcés des familles de victimes, tués par la force de sécurité. C’est donc, les Iraniens se méfient de l’annonce de la suppression de la police des mœurs – le 2 décembre par le procureur général Mohammad Jafar Montazeri – considéré comme une mascarade, qui visait à déresponsabiliser le pouvoir des violences commises. De même ils se moquent de la proposition de Mohseni Ejei (le chef du système judiciaire) qui se disait prêt à dialoguer avec les opposants le 10 octobre. Certes, ce n’est qu’une parole en l’air, qui n’a jamais été suivie d’effets (le pouvoir n’a jamais su écouter les protestations, les grèves, les revendications et la situation misérable du peuple).

De ce fait, ils cherchent des solutions, mettant en place des différentes campagnes, se rassemblant et manifestants dans différents pays du monde et en organisant des espaces de discussion (sur les réseaux sociaux, comme Tweeter ou Clubhouse) sur leurs stratégies d’action ou sur la possibilité de former une organisation. Les militants et les différentes forces d’opposition proposent plusieurs solutions pour que ce mouvement révolutionnaire débouche sur un changement radical, c’est-à-dire le renversement du régime. Sont évoqués 1) la grève générale, 2) la coalition de différentes forces politiques iraniennes exilées afin de créer une organisation unifiée  3) la rupture totale des relations diplomatiques des pays occidentaux avec le régime iranien.

La réalisation des deux derniers points semble difficile et même utopique. Dans les faits, la coalition des forces politiques de l’opposition (de droite à gauche, des royalistes conservatistes attachés à la famille Pahlavi, de certains partis politiques opposants kurdes), est quasiment impossibles car leur seul point commun est la volonté de renverser le régime en place. Pour la gauche, la crainte est notamment d’être chassée du pouvoir et évincée du champ politique une fois le régime vaincu comme au lendemain de la révolution de 1979. De même, compte tenu des intérêts politiques et économiques des pays occidentaux, la rupture totale des relations diplomatiques des pays occidentaux avec le régime iranien est impossible. En revanche, la grève générale et la poursuite d’une diversité de modes de protestation à l’intérieur du pays constituent des solutions efficaces pour le renversement du régime, du moins la déstabilisation de ce dernier, avec le soutien politique, logistique et financier des grévistes depuis l’étranger.

[1] Depuis le vendredi sanglant du 30 septembre (la répression la plus meurtrière de l'année en Iran selon Human Rights Watch) à Zahedân (ville et la capitale de la province du Sistan et Balûchistân) jusqu'à aujourd'hui, cette ville a été le théâtre des manifestations.  https://bit.ly/3voX4lD

[2] Opinion | Iran Uses Rape to Enforce Women’s Modesty - The New York Times (nytimes.com)

[3]  Iran protests: Covert testimonies reveal sexual assaults on male and female activists as a women-led uprising spreads (cnn.com)

[4] https://bit.ly/3G4ho0H

[5] https://bit.ly/3YOgdLg

[6] L’Iran se trouve parmi les rares pays où la peine de mort constitue le châtiment suprême du pays. Même si en 2021 selon l’Amnesty International le nombre d’exécutions en Iran a augmenté de 28 % par rapport à 2020 (passant de 246 à 314), mais elle estime qu’en réalité ce nombre soit certainement plus élevé, en raisonne de ne pas avoir accès aux données fiables, car les autorités iraniennes ne fournissent pas de statistiques sur les exécutions https://www.amnistiepdm.org/en-iran.html

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