Dans une région où des mouvements sociaux de défense du lac d'Ourmia ont émergé et ont été violemment réprimés, ces récentes révélations sont susceptibles d’avoir un impact retentissant. En effet, le rapport publié par Akhbare Rouz synthétise un projet d’extraction de brome (Br2) à partir de l’eau du lac d’Ourmia. Le procédé présenté apparemment en 2008, aurait été autorisé secrètement par d’importantes institutions étatiques comme l'Organisation des ressources naturelles, l'Organisation de protection de l'environnement et l'Organisation de la géologie d’Iran[1].
Or, il implique que l’eau du lac d’Ourmia soit dirigée dans un réservoir situé à 5 km du lac, que plusieurs composés chimiques tels que l’acide sulfurique, le chlore et le dioxyde de soufre lui soient ajoutés afin d’extraire le brome, puis que l’eau restante soit réacheminée jusqu’au lac. Ce même rapport affirme que ces opérations n’auront aucun impact sur l’eau, mais sans étayer scientifiquement cette assertion. La publication de ce document conduit donc à se demander d’une part si ce projet a été réalisé, d’autre part quelles conséquences cela peut avoir sur la vie du lac.
D’après un géologue qui a préféré rester anonyme pour sa sécurité (des centaines de personnes ayant été arrêtées pour avoir protesté contre l’assèchement du lac et l’inaction gouvernementale) : « Il n'est pas possible que l'eau retournée au lac soit saine après tous ces processus et l’ajout de produits chimiques à l'eau. En outre l'eau polluée renvoyée dans le lac entraînera certainement la perte d'algues ou d'artémias [de petits crustacés] dans le lac, alors que nous essayons de préserver ces précieuses créatures vivantes du lac depuis des années. »[2].
Ces révélations d’Akhbare Rouz ont d’autant plus de poids qu’elles paraissent à peine une semaine après la publication d’un article par le site officiel de l'agence de presse de la République islamique d'Iran (IRNA) concernant le projet d'extraction du lithium du lac d'Ourmia. Dans cet article inattendu de la part de cette agence de presse bien peu encline à critiquer le gouvernement, il est affirmé que : « les enquêtes montrent que bien que la sécheresse et la construction de barrages ont asséché les lacs intérieurs, mais sur la base des rapports existant, la présence d'énormes ressources de lithium dans le fond de ces lacs, en particulier le lac d’Ourmia, est peut-être l'une des raisons de l'attention insuffisante accordée au processus d'assèchement de cet important écosystème aquatique et au retard de sa restauration [3]».
En novembre 2016, déjà, le site d’une autre agence de presse officielle, l'agence de presse des étudiants iraniens (ISNA), avait publié les affirmations d’Abdul Hamid Sartipi, l'un des adjoints de l'industrie et des mines concernant l’importance des ressources du lithium dans le lac d'Ourmia, que selon lui « le lithium du lac d'Ourmia est-il une opportunité économique particulière pour la province »[4]. Citant la valeur économique du carbonate de lithium dans les marchés mondiaux, il avait affirmé que « le lithium est un élément stratégique qui peut répondre aux besoins économiques ».
Ces derniers jours, un autre acteur important a corroboré la responsabilité du gouvernement iranien, quoi que sans mentionner l’extractivisme. L'ancien chargé de l'Organisation de protection de l'environnement, Isa Kalantari, a en effet affirmé dans un entretien accordé à l’hebdomadaire politico-social iranien, Payame Ma[5] que la réglementation adoptée en 2013, selon laquelle une partie des eaux de surfaces bloquées derrière les barrages devait être dirigée vers le lac, n’a pas été respectée par le ministère de l’l'Énergie ces dernières années[6].
Il a ajouté qu’« aujourd'hui, le lac d'Ourmia est en train de disparaitre, mais le ministère de l'Énergie envisage de construire des barrages sur le bassin du lac, alors que le gouvernement précédent avait interdit la construction des barrages»[7]. Ses révélations concernant le budget dédié aux projets de la restauration du lac qui était récemment le sujet de plusieurs critiques, sont également importantes. Sans donner d'explication sur le montant du budget alloué au lac depuis 2013, il a souligné « sur 100% du budget que nous avons reçu pour la restauration du lac d'Ourmia, 83% ont été prélevés par le Ministère de l'Energie, 14% par le Ministère du Jihad, de l'Agriculture, 2% par l’organisation de protection de l’environnement et 1% par Ministère de l'Intérieur, de la Météorologie, du Ministère des affaires routières et de l'Université Sharif.
Cela signifie que plus des quatre cinquièmes du budget ont été prélevés par le ministère de l'Énergie ». Pour lui, l'assèchement du lac n'est pas lié aux facteurs climatiques mais est l'œuvre du gouvernement actuel, avec des effets directs sur la vie de 14 millions de personnes.
Si cette implication du gouvernement dans l’assèchement du lac venait à être confirmée, cela constituerait une affaire non seulement nationale mais aussi internationale, puisque le lac d’Ourmia (avec une surface de 5 200 km², soit près de neuf fois le lac Léman) est protégé par l’UNESCO en tant que réserve de biosphère, ainsi que par la Convention de Ramsar sur les zones humides (1971), et est un des écosystèmes d’eau les plus importants au niveau mondial. Le lac d’Ourmia est notamment, ou plutôt était, parsemé de plus d’une centaine de petites îles rocheuses, lesquelles sont un point d’arrêt pour les oiseaux au cours de leur migration et où vivent diverses espèces animales, telles que le renne jaune iranien. Environ 16 zones humides avec une surface variée de 5 000 à 1 200 hectares entourent le lac d’Ourmia, mais certaines d’entre elles ont disparu et d’autres sont menacées de disparition.
Outre ces conséquences écologiques, les tempêtes du sable se sont multipliées dans la région, menant à une augmentation du nombre de maladies respiratoires et de cancer[8].
À terme, si la disparition du lac se poursuit, 6 millions d’habitant.es de la région risquent de connaître une migration forcée. La population locale s’est d’ailleurs nettement mobilisée à ce sujet malgré les risques encourus. Ainsi, si des experts ont alerté à ce sujet dès 2007[9], depuis ce sont des militant.es écologistes qui prennent le relais et cherchent à faire valoir la cause du lac au niveau local, mais en vain : cette crise environnementale majeure a été confrontée au silence médiatique (au niveau national) ainsi qu’à l’inaction politique sous les mandats de Mohamad Khatami et Mahmoud Ahmadinejad (entre les périodes 1998 et 2013), et à la répression des revendications et mobilisations écologiques de la population locale. Or ces mouvements de la fin des années 2000 avaient déjà soulevé l’hypothèse d’un assèchement délibéré du lac d'Ourmia par le gouvernement en raison de la présence d'uranium dans le fond du lac, une hypothèse qui pouvait paraître fantaisiste… jusqu’aux révélations de cette dernière semaine.
La diffusion publique du projet sur l'extraction du lithium, la publication et l’existence du rapport confidentiel sur l’extraction du brome et le fait que ministère de l’Energie n’a pas délivré la part de l’eau du lac d’Ourmia sont autant d’éléments qui tendent à montrer que non seulement il n'y a pas de volonté de faire revivre le lac d'Ourmia chez le gouvernement iranien et les autorités publiques, mais qu’au contraire, ceux-ci sont déterminés à accélérer sa disparition. Ceci confirme l'hypothèse de la négligence intentionnelle dans la restauration et la protection du lac d’Ourmia, dans un contexte de plus de 17 ans des revendications et de mobilisations écologistes continues et réprimées dans la région par les Azerbaïdjanais pour la restauration et la protection de ce lac. Pour conclure, les choix politique et économique du gouvernement iranien d’une part et l’absence d’une gouvernance de l’eau et les politiques environnementales efficaces de l’autre, sont à l’origine de l’assèchement du lac d’Ourmia au cours de Vingt-cinq dernières années.
[1] Akhbare-Rouz, « talol dar ahyaye daryacheye ourmiyehM az nadadane hagabeye daryache ta projehaye lithium var brome », [la négligence dans la réalimentation et la protection du lac d’Ourmia ; du lithium au brome] , 11 septembre 2022, codhttps://bit.ly/3dcIg3Y
[2] Entretien conduit en 2018.
[3] IRNA, « lithium arzeshe khoshk shodan daryacheha ra dard », [L’extraction du lithium au prix du l’assèchement des lacs ?] , cod 84853232, le 5 septembre 2022 https://bit.ly/3xes498
[4] ISNA , « Lithiume mojud dar daryache ourmiyeh forsati vije fabay-e eqtesad-e Azerbaijane gharbi », [ le Lithium du lac d’Ourmia une opportunité économique pour l’Azerbaijan occidental], 26 octobre 2016, https://bit.ly/3RCtCSy
[5] Payame-Ma « Vezarate niru haghabeye darycheye ourmiyeh ra khord », [Le Ministère de l'Energie a bloqué le du lac], cod 2375, le 23 aout 2022, https://payamema.ir/payam/articlerelation/72119
[6] En effet, depuis 1982, selon les lois, le Ministère de l'Energie est à la fois propriétaire de l'eau, exploitant de l'eau et officier de protection des ressources en eau du pays. Ce qui reste contradictoire et l’une des raisons de la crise de l’eau en Iran, d’une part en raison du fait que ce ministère qui accorde aussi l’autorisation de la construction des barrages peut exploiter l’eau comme il le souhaite et d’autre part l’existence de la corruption et le rapport clientéliste et une relation étroite avec CGRI et ses fondations affiliées qui sont impliquées dans tous les projets chargées de mise en place des d’infrastructure (soit des infrastructures routière ou soit en affaire de l’eau). C’est donc, de nombreux experts dans le domaine de l'eau et de l'environnement identifient le ministère de l'Énergie et la "mafia de l'eau" en tant que le partenariat et comme les principaux coupables de la disparition des lacs, des zones humides et de la crise actuelle de l'eau dans le pays. Taghi Farva, Fatemeh Zafarnejad et Mehdi Basiri, ‘la mafia de barrage, plus forte que toutes les autres puissances en Iran », par Habibzadeh, SH., Sharg news, 27 Novembre 2015 & Kaveh Madani, Farhad Yazdan et Alireza Mssah, Séminaire scientifique : La pénurie de l’eau en Iran : les défis et les solutions, Mehr News, 8 mai 2016. https://www.mehrnews.com/news/3655633
[7] En 2014, le ministre de l’Énergie Hamid Chitchian, soulignant la gravité de la pénurie de l’eau, admettait le caractère excessif de la construction de barrages en Iran. Et selon Bijan Koushan, hydrologue et l’écologue « En Iran, Malheureusement, dans le cas de tous les barrages construit en Iran, les technocrates n’ont effectué aucune étude d’impact avant débuter les projets de la construction. […] Il est fort évident que les barrages ont été construit juste pour l’intérêt économique d’un groupe et pas pour l’excuse de réduire le risque d’inondation». Selon les affirmations du ministre de l’Énergie, invité à une émission de télévision en Avril 2014. https://bit.ly/2F8YMhE, L’entretien avec Hydrologue et écologue Bijan Kouchan décembre 2018
[8] Rapport, « daryachey-e Ourmiyeh ellal-e khoshki va tahdidat-e ehtemali », [Lac d ’Ourmia les causes et les conséquences de son assèchement], le raport 2015 de l’ULRNC et l’université de Sharif, p. 28
[9] ISNA, « Le vice-gouverneur de l'Azerbaïdjan oriental a averti qu'avec la poursuite de la situation critique du lac d'Ourmia, celui-ci s'assècherait au cours des 20 prochaines années », cod 15410-8608, octobre 2007. https://bit.ly/3bUvtTm ISNA, « les députés de la ville Ourmiyeh, a demandé l'allocation de fonds suffisants et le transfert de l'eau des rivières frontalières de la province vers le lac d'Ourmia », cod 04597-8804, juin 2009, ahttps://bit.ly/3bOAVXX