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Billet de blog 12 juin 2014

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Penser l’Humain, pour détruire l’Homme.

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Il est monnaie courante aujourd’hui d’attribuer à l’humanisme les vertus les plus hautes qu’un Homme peut espérer revendiquer. Ce terme n’est d’ailleurs pas réinterrogé quand à sa définition conventionnelle. Aujourd’hui plusieurs de nos contemporains se déclarent volontiers humanistes, en mettant en avant leur préoccupation pour l’individu humain comme le principe premier de leurs actions. Mais derrière cet apparente philosophie salutaire, ne sommes nous pas en face d’une pensée qui gangrène l’ensemble du système du vivant à cause de cette centralité humaine, cet anthropocentrisme? L’Humanisme n’est-il pas, du moins indirectement, comme mythe justificatif, l’essence même de la dégradation des espaces naturels ainsi que des individus co-existant avec l’humain, que nous connaissons aujourd’hui?

Nous nous souvenons tous évidemment d’avoir un jour appris, derrière nos pupitres d’écoliers attentifs, cette grande période de l’Histoire qui permit de sortir l’Homme de "l’obscurantisme médiéval". Notre imaginaire collectif s’est construit autour de l’image d’un Moyen Age sombre, mystique et violent, que vint éclairer une période de Renaissance dans laquelle l’homme (européen) prenait une nouvelle place au sein du cosmos. Il est d’ailleurs significatif que les mandarins qui contribuèrent à façonner cette imagerie collective se soient déterminés comme Lumières. Lumières dans un monde assombri par l’arbitraire, étincelantes comme le feu prométhéen venant libérer l’homme de son essence animale. Mais la Lumière des uns est l’aveuglante obscurité des autres et l’humanisme européen pourrait bien devoir comparaître aujourd’hui pour répondre de la destruction d’éléments primordiaux de ce monde. Cet article va essayer d’interroger l’Humanisme, non plus comme l’élément de langage mélioratif qui qualifie un individu ayant une haute empathie pour ces frères humains, mais davantage comme une idée-force qui transforma durablement le rapport des européens au Monde et des Humains aux vivants.

Lorsqu’on interrogeait le Grand Monsieur Levi-Strauss sur ce qu’il souhaitait que les archéologues de l’an 3000 découvrent de notre humanité, ce dernier répondait avec malice:

« Je mettrai dans votre coffre des documents relatifs aux dernières sociétés primitives en voie de disparition, des exemplaires d’espèces végétales et animales proches d’être anéanties par l’homme, des échantillons d’air et d’eau non encore pollués par les déchets industriels, des notices et illustrations sur des sites saccagés par des installations civiles et militaires. Mieux vaut laisser quelques témoignages sur tant de choses que, par notre malfaisance et celle de nos continuateurs, ils n’auront pas le droit de connaître : la pureté des éléments, la diversité des êtres, la grâce de la nature, la décence des hommes. »

Derrière cette citation, nous pouvons nous apercevoir que cette façon de penser l’Humain au centre de toutes choses et ayant vocation à maîtriser la Nature par sa technique, progressant toujours à la recherche de son propre dépassement, marqua durablement ces bipèdes doués de parole et l’ensemble de ce que ces fieffés égocentriques appellent aujourd’hui encore "leurs ressources naturelles".

L’Humanisme est pernicieux pour deux faits. Le premier est qu’il se définit comme universel et tend à nier les différences contingentes entre les individus humains. Pire, cette universalité a déterminé une vision évolutionniste de l’Homme, scindant les sociétés suivant les degrés de technicité et les formes de productions économiques, prenant comme modèle d’analyse les sociétés européennes; cette grille de lecture était évidemment non-universelle, car elle était pratiquée par des "chercheurs" issus de sociétés euro-américaines industrieuses qui envisageaient l’altérité comme image d’un stade passé de l’évolution de leur propre société. L’ethnologue tentait alors une histoire ethnocentriste qui dénaturait les valeurs intrinsèques des sociétés observées. Cette approche eurocentrique n’émergea évidemment pas à la fin du XIXe siècle et fut même contemporaine aux profondes transformations qui s’écoulèrent lors de l’époque moderne (d’ailleurs dans leurs études, les ethnologues appelaient "traditionnelles" les sociétés dites "primitives" en opposition aux sociétés modernes, qui naquirent lors de l’époque moderne en Europe.) Il est intéressant de noter que dès 1492, date du début de l’invasion européenne du continent américain (qu’il est cyniquement coutume d’appeler découvertes!!), les sociétés européennes tendaient à s’affirmer en tant que civilisation chrétienne et blanche. Cette ouverture vers l’extérieur se fit conjointement à l’expulsion ou l’intégration forcée des individus ne correspondant pas à cette représentation pré-racialiste. En effet, le 2 janvier 1492 les rois catholiques d’Espagne mettaient fin à la reconquista avec la chute du dernier Nasride (dernière dynastie de l’Espagne Musulmane), émir de Grenade (bien que la promesse fut faite dès lors de la libre pratique du culte musulman, en 1502 tous les musulmans non convertis furent expulsés a leur tour). 1492 marqua également l’expulsion des juifs d’Espagne et la construction de l’idée de pureté du sang dans les royaumes d’Espagne dont Charles Quint deviendra bientôt le roi et l’empereur du saint empire romain germanique (donc de l’autorité réclamant l’allégeance des territoires européens).

Ce détour historique succinct nous renseigne sur ce double mouvement d’expansion et de définition qui marqua durablement la vision européenne de l’altérité. Lorsque les pensées évolutionnistes rejoignirent cette définition, l’autre, l’étranger au-delà des mers, devint la représentation d’un stade antérieur de l’évolution des sociétés européennes. En envisageant l’Humanité comme une entité globale, l’homme blanc pensait que son devoir était alors d’accompagner les sociétés dites "primitives" en important les éléments qui marquèrent la modernité européenne. Cette vision d’une trajectoire commune mena progressivement à la disparition quasi généralisée des sociétés dites "primitives". Cette Universalité fit que l’être Humain devint l’avatar d’une fraction de son ensemble, qui diffusa son modèle//pattern en important les structures élémentaires de sa société et de sa représentation du vivant. Cet Humanisme nia à travers sa prétendue universalité la richesse de la diversité des sociétés humaines.

Le second fait est que cet humanisme fut plus largement la négation de l’Homme et de son appartenance harmonieuse à un ensemble, celui du vivant. Cet ostracisme génocidaire, perçu comme progrès et qui détourna l’Homme de son équilibre primordial, mit à mal les autres individus non-humains, peuplant également l’espace monde. Nous connaissons aujourd’hui les conséquences terriblement néfastes de cette façon de penser l’Homme. L’Homme a toujours essayé de se détourner de son animalité. Il a d’abord utilisé des mythes fondateurs dans lesquels une société se constitue en sortant de sa condition animale (Le fameux exemple de la louve romaine est hautement symbolique pour cela). L’Humanisme dépassa cette simple sortie du sauvage, il va caractériser l’Humain comme le centre de toutes choses et pour lequel la nature doit être un espace à dominer. Cette domination passe nécessairement par la maitrise technique et le rejet de toute égalité entre individu humain et non humain. D’ailleurs aujourd’hui, il n’est pas habituel d’entendre parler d’égalité entre individus vivants, tant est ancré dans nos attitudes un ensemble de schèmes anthropocentriques. L’écologie elle-même ne se pratique pas comme le rééquilibrage des formes élémentaires de la vie dans notre écosystème, mais comme la préservation des ressources naturelles, comme garantie de l’exploitation future de celles-ci par nos descendants.

L’Humanisme a donc une double responsabilité qui est interdépendante en certains points. En détruisant les autres modèles de sociétés placés sous l’infamie de la sous-évolution, les rapports de l’homme avec son écosystème ne furent pas réinterrogés, ni comparés aux autres pratiques présentes dans des sociétés lointaines. Pourtant nombre de ces modèles pensaient l’homme comme interdépendant au système du vivant, devant mettre en place une série d’actions positives et symboliques afin d’affirmer ce postulat. Car au-delà de toutes pensées de l’Universel, la concurrence de la pensée sur l’Homme et son écologie a été traitée dans de nombreuses civilisations non-occidentales, bien souvent de manière totalement différenciée. Penser l’Homme et son milieu dans certains groupes sociaux extra-européens différait de la vision prométhéenne qui naquit pendant la renaissance en Europe. Ainsi, comme Claude Lévi-Strauss nous le rappela, les tabous et les rituels qui se développaient dans ces groupes sociaux dès que le besoin entraînait le prélèvement d’une espèce animale ou végétale. Il fallait à ces sociétés des incantations, comme diverses marques de respect, de culpabilité et de crainte face à des maîtres surnaturels protecteurs des espèces les plus faibles dans la Nature. La peur de la punition était donc structurante et évita des justifications raccourcies légitimant ces prélèvements par la supériorité manifeste de l’individu humain. Par exemple, lorsqu’une affliction entraînait la mort de jeunes ou de femmes dans ces groupes, les chasseurs devenaient les coupables présumés d’un prélèvement excessif sur les espèces animales ou végétales. Cet façon non-européenne de penser l’Homme en connexion avec son écologie est une tentative d’équilibre artificiel, qui tend à réduire la supériorité supposée de l’individu humain face à un individu végétal ou animal. Cet équilibre, même s’il s’appuie sur une appréhension méta-social trouvait pourtant sa cause dans un pragmatisme primaire, l’équilibre des trois individus est la condition première de la survie de l’individu humain. Finalement ce pragmatisme est identique dans une certaine mesure au mythe prométhéen, mais les rituels sociaux engrangés sont eux issus de postulats bien différenciés : celui de la domination pour la survie et celui de l’équilibre. L’un est parasitaire, l’autre est complémentaire. Aujourd’hui nous avons universalisé cette question en l’accolant à la vision unilinéaire developpementiste de la fin des années 1940. Grâce au développement durable nous imposons un modèle unique à notre égarement écologique, tout en valorisant sa démarche. Je sais malgré moi, surtout malgré le plaisir que nos sociétés accordent aujourd’hui à la consommation de viande, que nous devons revoir notre relation avec notre environnement. Et je ne parle pas seulement de trier ou encore de "préserver nos ressources pour nos générations futurs", mais bien de déconstruire notre rapport aux autres individus vivants, sensibles ou non, afin de ne pas aggraver le déséquilibre qui a été créé par nos chers ancêtres (que je ne remercie pas au passage, vu le bordel qu’ils ont laissé un peu partout. Surtout pour se retrouver aujourd’hui dans des crises successives et généralisée, Merci les gens!!!). Bien sûr je ne vais pas prêcher pour l’application universelle du Véganisme, que je ne pratique pas moi-même (par faiblesse je dois bien l’avouer), mais je souhaitais juste râler sur la marchandisation des êtres vivants non-humains et notamment de leur dépouille. Et quel plaisir de le faire de manière grâce à notre chère anthropologie.

JL

Article à retrouver sur les carnets anthropologiques.

http://carnetsanthropologiques.wordpress.com/2014/06/11/penser-lhumain-pour-detruire-lhomme/

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