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Billet de blog 15 mai 2020

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COVID-19: tribune sur les discriminations des malades psychiatriques

«Nous sommes face à un double risque, une possible nouvelle double peine pour les patients souffrant de pathologies psychiatriques chroniques. Le système de santé français doit pouvoir à la fois protéger les patients du COVID-19 en leur donnant accès aux mêmes mesures de protection sans discrimination mais également garantir leur liberté et leur autonomie.»

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

À quelques jours de la première étape d’un long déconfinement en France, il est primordial de se pencher sur les modalités de protection des plus vulnérables, ceux qui pourraient être laissés de coté par les mesures barrières, en particulier les patients souffrant de pathologie psychiatrique chronique.

L’histoire du XXème siècle nous a montré qu’en temps de crise, les malades psychiatriques sont les premières victimes de discriminations. Nous avons tous en mémoire les dizaines de milliers de morts de faim, de froid ou par carence de soins au cours de la seconde guerre mondiale.

Au delà de cette époque particulièrement sombre de notre histoire, il ne faut pas oublier la double peine que subissent encore les malades psychiatriques, puisqu’à la maladie s’ajoute trop souvent la précarité sociale. De plus nous savons que la maladie mentale est associée à une diminution de l’espérance de vie, en grande partie expliquée par un défaut d’accès aux soins généraux.

Il s’agit là d’une discrimination intolérable et l’accès aux soins généraux est un enjeu majeur, exacerbé par le contexte de l’épidémie de COVID-19. Pour rappel, l'article L.1110-3 du code de la santé publique prévoit que «aucune personne ne peut faire l’objet de discriminations dans l’accès à la prévention ou aux soins ».

C’est pourquoi, dans les premières semaines où la France a été touchée par cette épidémie, l’APFBN a alerté sur l’accès aux soins de réanimation pour les patients psychiatriques, rappelant que « L’existence d’une pathologie psychiatrique ne peut représenter, à elle seule, un critère de refus d’admission en réanimation, y compris dans le contexte actuel de crise sanitaire susceptible de dépasser les ressources de soins dont nous disposons » .

Il nous semble à présent essentiel d’alerter sur les risques de discrimination des patients psychiatriques sur l’accès aux mesures barrières.

En effet, le consensus scientifique actuel inclus dans les mesures barrières l’utilisation généralisée de masques, permettant de protéger aussi largement que possible la population du COVID-19. Or il semble que des réticences se font entendre sur la capacités des patients à utiliser ces moyens de protections, avec, en fond, la tentation dans ce contexte de pénurie relative, de limiter l’accès aux masques pour les patients psychiatriques. De crainte qu’ils ne sachent pas les utiliser, les patients vivant dans des établissements médico-sociaux où hospitalisés pourraient ne pas se voir proposer de masques. Cette limitation pourrait être également associée à un confinement plus strict des patients pris en charge dans ces structures.

Il est alors primordial d’être particulièrement vigilants à ce que les mesures prises pour protéger les patients psychiatriques au cours de cette crise sanitaire n’entraînent pas de limitation des libertés et de négation de l’autonomie auxquelles les patients psychiatriques ont droit.

Nous sommes ainsi face à un double risque, une possible nouvelle double peine pour les patients souffrant de pathologies psychiatriques chroniques. Le système de santé français doit pouvoir à la fois protéger les patients du COVID-19 en leur donnant accès aux mêmes mesures de protection sans discrimination mais également garantir leur liberté et leur autonomie.

Si l’on juge la grandeur d’une nation à la façon dont elle traite les plus vulnérables, la France sera notamment jugée sur la façon dont elle protégera les malades psychiatriques du coronavirus tout en garantissant leurs droits.

Tribune co-signée par le Pr Eric Fakra et le Dr Aïda Cancel.

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