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Dr Fanny Bauer-Motti

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Billet de blog 14 avril 2023

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La notion d’emprise au cœur de notre société

La notion d'emprise est de plus en plus discutée, tant sur un plan psychologique que pénal. Une notion qui touche de près à la justice puisqu’elle implique une perte de libre arbitre et donc de la possibilité pour une personne assujettie de donner son accord en son âme et conscience. Consentement, escroquerie : l’emprise expliquerait parfois l’impossibilité de dire « Non ».

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

Qu’est -ce que l’emprise ?

L’emprise est un lien pathologique caractérisé par la négation de l'existence psychique de la personne assujettie au profit de l'autre. Pour que l'emprise soit qualifiée de perverse ou de pathologique, il faut une volonté consciente et travaillée d'assujettir une autre personne tout en lui enlevant sa fonction de sujet. C’est un processus qui s'inscrit dans le temps et qui prend du temps. Le temps de travailler une toile d'araignée qui enferme la victime dans des processus de communication et de relation visant la manipulation et la déshumanisation de l'autre. Comme l’exprime Marie-France Hirigoyen  « La mise sous emprise marque une nouvelle étape.
Contrairement à la manipulation qui peut être ponctuelle, l’emprise s’installe dans le temps au point de créer une
véritable relation pathologique
. »

Il convient de distinguer l'emprise pathologique de l'emprise dite "maturante", qui peut avoir lieu dans une relation parent-enfant, par exemple, mais qui vise l'autonomie de l'enfant.Cette emprise maturante est un lien qui va dans le sens de la croissance de l'enfant, qui le sécurise et le soutient dans sa progression vers l'autonomie. La plupart des théories contemporaines sur l’emprise décrivent une emprise naturelle à l’existence humaine, qu’Alberto Eiguer nomme « emprise fonctionnelle », qu’impliquent les rapports sociaux et la construction identitaire et une emprise pathologique, perverse, destructrice. 

La notion d’emprise dans notre société actuelle

Dans notre société actuelle, la notion d'emprise est souvent évoquée, discutée, parfois instrumentalisée pour expliquer des situations qui ne peuvent trouver sens sans une analyse psychologique. Tout comme l'aliénation parentale, l'emprise est une notion relativement récente qui gagne a être bien comprise pour entendre et comprendre certaines violences psychologique qui enferment dans le silence mais aussi afin d’éviter dérives et dévoiement.

De nombreux cas illustrent mon propos : la difficulté, parfois les dangers d’un mauvais diagnostic. Par exemple, dans l'affaire Nadia Mostefa, la jeune militaire s'est immolée en se donnant la mort devant l'ASE après que la garde de son fils lui ait été retirée au profit de son ex-époux, sous prétexte d'aliénation parentale, décision qui avait été remis en question par une autre juridiction. D’autres problèmes émaillent ce dossier autrement aussi important mais cette affaire souligne un point fondamental pour notre propos : selon les experts, les tribunaux, les juges, un avis, un diagnostic, un éclairage peuvent être différents. Dans l'affaire Pauline Bourgoin, une mère s'est vu retirer la garde de sa fille en raison d'une supposée manipulation parentale évoquée dans le dossier, avant que cette décision ne soit annulée. Ces exemples montrent que les concepts psychologiques peuvent être mal utilisés, ou tout du moins de pas s’étayer sur de l’objectif,  ce qui peut entraîner des tragédies qui, avec de la prudence dans l'utilisation de certaines notions psychologiques, auraient pu être évitée.

 Il est donc essentiel que les professionnels de la santé mentale soient correctement formés pour diagnostiquer et traiter l'emprise, et que les tribunaux fassent appel à des experts neutre, qui étayent leur propos avec prudence et éléments factuel ce qui n’est pas encore assez le cas. Parfois, certaines expertises se basent sur « des analyses sauvages » qui s’apparente presque a de la psychanalyse. Or, la psychanalyse n’a pas sa place dans les tribunaux. C’est une science qui demande des heures et des heures d’écoute que la justice ne peut donner aujourd’hui 

Des gardes fous ?

Que ce soit médiatiquement parlant, ou au cœur de la justice, l’emprise comme d’autres notions jeunes doivent être mieux connues de tous, professionnels comme citoyens. L’ennemi de la science c’est l’ignorance. Cette même ignorance qui amène parfois la pire des dérives. L’emprise est une notion qui répond à un cadre clinique auquel il faut se référer, tout comme l’aliénation parentale, qui n’est pas le subjectif de l’œil des médias, ou dans le manque de prudence de certaines expertises. De la prudence dans l’utilisation de certaines notions psychologiques, une déontologie stricte pour tous professionnels qui doivent diagnostiquer des situations complexes, et surtout de la patience. Les vérités du matin sont les erreurs du soir. Lorsque l’on est trop vite dans une psychiatrisation d’un dossier, on se retrouve parfois plongé dans la subjectivité là où la psychologie et la psychiatrie doivent proposer un éclairage objectif et neutre. 

L’emprise pathologique comme l’alienation parental sont des notions importantes, elles peuvent expliquer de nombreux troubles qui s’originent dans le lien à autrui et comme pour toute notion, elle demande du savoir et non pas de la croyance. Pour avoir vu tant de vies fracturées de victimes qui s’ignoraient victimes, d’hommes et de femmes faussement accusés par une expertise bâclée, il m‘apparait fondamental de prendre le temps de repenser une méthode clinique en situation d’expertise. Nous sommes  au début d’un étayage scientifique afin de cadrer les nouvelles notions clinique et psychologique qui apparaissent dans le champ de la psychologie, comme dans celui du droit pénal, qui compose de plus en plus avec les éclairages que la psychologie permet. Un double enjeu nous attend pour demain, permettre une clinique sans ambiguïté, une clinique neutre et précise, qui ne va pas plus loin que l’objectif de diagnostic de certains états pathologiques à l’œuvre dans une certaine forme de criminalité.

Fanny Bauer-Motti 

Pour en savoir plus : "L’emprise, victimes et auteurs :repérer, diagnostiquer, soigner" aux editions L'Harmattan

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