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Billet de blog 31 octobre 2025

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Federmann, le psychiatre qui a brisé le silence autour des expertises judiciaires

Pendant longtemps, à Strasbourg, le docteur Henri Brunner a incarné la figure de l’expert psychiatre judiciaire. Ses avis étaient sollicités dans d’innombrables dossiers : affaires pénales, procédures administratives, contentieux du travail.

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Mais en janvier 2025, sa radiation par la chambre disciplinaire du Conseil de l’Ordre des médecins du Grand Est a révélé un malaise plus profond : celui du rôle et du contrôle des experts psychiatres dans le système judiciaire français. Au cœur de cette affaire, un autre nom est apparu, celui du docteur Georges Yoram Federmann, psychiatre strasbourgeois connu pour son indépendance et pour son engagement éthique, qui a choisi de dénoncer publiquement des pratiques qu’il jugeait contraires à la déontologie médicale et au respect des personnes expertisées.

Federmann n’est pas un opposant par vocation, mais un médecin de terrain. Depuis des décennies, il exerce une psychiatrie humaniste et sociale. Dans son cabinet, il reçoit sans distinction des personnes fragilisées, souvent sans ressources ni couverture médicale, et défend une approche fondée sur l’écoute, le respect et la responsabilité du soignant. Il s’est aussi illustré comme figure du devoir de mémoire à Strasbourg, en fondant le cercle Menachem-Taffel, dédié aux victimes juives de la médecine nazie. Chez lui, l’acte de soigner est indissociable d’un engagement moral. C’est cette exigence qui l’a conduit à s’opposer frontalement à un système d’expertise qu’il estime déshumanisé.

Son nom apparaît en 2024 parmi ceux qui ont alerté sur les méthodes du docteur Brunner. De nombreux témoignages faisaient état d’entretiens très brefs, d’un ton jugé parfois humiliant, et de rapports dont la rigueur était contestée. Plusieurs plaintes ont conduit à une procédure disciplinaire, qui s’est soldée par une radiation. Federmann a refusé de taire ce qu’il considérait comme une dérive de l’expertise psychiatrique : la substitution de l’évaluation clinique par le jugement moral, et la perte du lien humain au profit de la production administrative.

Ce geste a eu un effet d’entraînement. Pour la première fois depuis longtemps, l’opinion publique s’est penchée sur un domaine habituellement opaque : celui des expertises psychiatriques judiciaires. Ces évaluations, souvent décisives pour le sort d’un accusé, d’un salarié ou d’un malade, reposent sur un petit nombre d’experts, rarement contrôlés et parfois débordés. Dans certains cas, la tentation est grande de se réfugier derrière un langage psychanalytique ou symbolique, où l’on interprète des “structures de personnalité” ou des “mécanismes inconscients” à partir de rencontres trop rapides. Ce glissement est dangereux : une expertise ne peut se transformer en interprétation psychologique. Elle doit reposer sur la clinique, sur des observations vérifiables, sur un travail rigoureux et transparent.

L’affaire Brunner a mis en lumière la fragilité d’un système où la parole d’un expert peut peser plus qu’une preuve. Elle interroge le rapport entre médecine et justice, mais aussi la place que la société accorde à la parole des plus vulnérables. Derrière chaque expertise, il y a une personne : un justiciable, un patient, un être humain dont la vie peut être bouleversée par quelques lignes dans un rapport. Cette responsabilité engage non seulement la profession médicale, mais l’ensemble de la société. Lorsque la justice se fie à des évaluations expéditives ou à des interprétations invérifiables, c’est la confiance publique qui s’effrite.

Ce que le psychiatre strasbourgeois a déclenché dépasse donc le cas individuel de son confrère. En s’opposant à certaines pratiques, il a mis en lumière un déséquilibre structurel : la délégation de pouvoir de la justice vers la médecine, sans contre-pouvoir ni transparence suffisante. Il a aussi révélé une fracture au sein même du monde psychiatrique, entre ceux qui revendiquent la rigueur clinique et ceux qui s’appuient encore sur des lectures psychanalytiques dans des contextes judiciaires. À travers ce conflit, c’est toute la question de la responsabilité médicale dans la société qui se rejoue.

L’affaire Federmann-Brunner dit quelque chose de notre époque : celle d’une société qui réclame des experts pour trancher, mais qui oublie parfois de questionner leurs méthodes. Elle met à nu le besoin de repenser la place du soin dans la justice, non comme un instrument d’autorité, mais comme un espace de compréhension humaine. En rappelant que l’expert doit rester un observateur, non un juge, Georges Yoram Federmann a ouvert un débat nécessaire. Ce qu’il a déclenché n’est pas seulement une réaction disciplinaire, mais une réflexion collective sur la manière dont la société regarde ses fragilités, et sur la responsabilité morale de ceux qui prétendent les évaluer.

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