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Billet de blog 20 janvier 2014

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Le contrôle des lieux de privation de liberté : l'âge de raison.

Après cinq années et demi de fonctionnement effectif, l'institution du Contrôleur général des lieux de privation de liberté a réussi le tour de force d'imposer sa légitimité d'exercice. Il ne le doit pas à l'importance de son budget, qui est modeste. Il ne le doit pas davantage à la bienveillance de ceux qui l'ont porté sur les fonds baptismaux, puisqu'il a échappé, il y a trois ans, à une absorption par le Défenseur des droits.

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Après cinq années et demi de fonctionnement effectif, l'institution du Contrôleur général des lieux de privation de liberté a réussi le tour de force d'imposer sa légitimité d'exercice. Il ne le doit pas à l'importance de son budget, qui est modeste. Il ne le doit pas davantage à la bienveillance de ceux qui l'ont porté sur les fonds baptismaux, puisqu'il a échappé, il y a trois ans, à une absorption par le Défenseur des droits. Il le doit à la personnalité incontestée du Contrôleur général choisi pour essuyer les plâtres : Jean-Marie Delarue et à la qualité de son équipe.
Créé par la loi du 30 octobre 2007, le CGLPL, autorité indépendante qui était réclamée depuis de nombreuses années, a été institué pour respecter les engagements internationaux de la France.
Sa compétence ne se limite pour autant pas à prévenir la torture ; elle s'étend au respect de l'ensemble des droits fondamentaux des personnes privées de liberté. Elle ne se cantonne pas aux seuls établissements pénitentiaires mais porte sur l'ensemble des lieux susceptibles d'accueillir des personnes privées de liberté par décision d'une autorité publique : locaux de garde à vue, centres de rétention administrative, hôpitaux psychiatriques accueillant des patients soumis à une obligation de soins, centres éducatifs fermés pour mineurs.
Le travail a été considérable : plus de 800 établissements visités et, dans le silence de la loi, des réponses individuelles aux quelques 4000 courriers annuels reçus, une multiplication des enquêtes sur place, des auto saisines, la publication systématique des avis et des recommandations, au risque de déplaire à des administrations peu habituées à cet éclairage public mais qui ont su comprendre cette démarche et participer aux améliorations sollicitées.
Pourtant, au moment où cette autorité indépendante a atteint l'âge de raison, il ne faudrait pas croire que sa pérennité soit acquise. Certaines forces agissent encore en sous-main, qui voudraient la voir se fondre dans l'institution plus vaste et indifférenciée du Défenseur des droits.
Ce serait une erreur grave tant la privation de liberté doit demeurer un sujet de préoccupation à part, irréductible aux privations de droits commises en champ libre. En effet, alors que les personnes sont déjà, légalement, privées de leur liberté d'aller et venir, toute atteinte supplémentaire à leurs droits fondamentaux les soumet à une double peine, majorant encore leur vulnérabilité.
Aussi, la proposition de loi déposée par Catherine Tasca qui va être débattue par le Sénat le 21 février prochain tombe-t-elle au moment opportun pour consolider l'action du Contrôleur général.
De quoi s'agit-il ? Tout d'abord, de consacrer les pratiques déjà en vigueur, telle la publication systématique des avis et recommandations du Contrôleur général, ensuite, de faciliter son contrôle en levant certains obstacles à la communication d'informations administratives ou même médicales, pour que, par exemple, le secret médical ne soit pas détourné de sa véritable raison d'être : l'intérêt du patient.
Il est de même indispensable que le CGLPL obtienne des réponses diligentes aux questions qu'il pose, même aux ministres.
Le renforcement du secret des correspondances qui lui sont destinées, tout comme la création d'un délit d'entrave à l'action du Contrôleur,général permettront d'éviter les représailles contre ceux qui dénonceraient des faits blâmables.
Enfin, l'extension du contrôle à de nouveaux domaines comme les mesures d'éloignement forcé des personnes étrangères en situation irrégulière, incluant les phases de transfert, y compris le voyage en avion parachèvera la réforme.
Ces mesures constituent un ensemble cohérent visant, dans le souci de l'intérêt général, à donner une plus grande effectivité au contrôle dont l'arme la plus efficace demeure la qualité du rapport que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté entretient avec l'opinion publique.
Mais, pour un magistrat également, qu'il soit juge ou parquetier, l'action du CGLPL est essentielle.
Dans son activité pénale, le juge, cet unique pourvoyeur des prisons ne dispose pas d'informations suffisamment précises et actualisées sur la réalité quotidienne qu'il inflige à ceux qu'il a condamnés à y séjourner.
Il est, certes, parfaitement conscient de la surpopulation carcérale.
Il n'ignore pas que celle-ci, en fragilisant les êtres, favorise les atteintes les plus graves aux droits fondamentaux.
Il sait qu'il y contribue cependant.
Dans son activité civile de contrôle des hospitalisations sous contrainte, il aimerait bien souvent en savoir davantage sur le quotidien des patients.
S'agissant des étrangers en situation irrégulière, c'est pareil : il décide des mesures de rétention et d'éloignement qui lui sont demandées, mais là encore, il ne sait qu'assez vaguement ce qui se passera de l'autre côté de sa décision. Lui, le gardien de la liberté individuelle. Il n'a aucune action sur les conditions de reconduite à la frontière ou d'éloignement, de détention ou d'internement.
Les rapports du Contrôleur général des lieux de privation de liberté offrent donc matière irremplaçable à sa réflexion sur les angles morts de son activité juridictionnelle.
Pour cette simple raison, il ne peut que se réjouir du renforcement de l'action du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, une institution qui honore la démocratie.
Dominique Coujard

magistrat
 

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