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Billet de blog 29 octobre 2018

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L’indépendance des parquets, un remède qui pourrait être pire que le mal

Indépendance des parquets, un remède qui pourrait être pire que le mal.

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Après le bruit et la fureur déclenchés par les perquisitions au siège de La France Insoumise et au domicile de M. Mélenchon, voilà que l’on nous rejoue la petite musique de l’indépendance du parquet. Chacun y va de sa partition, mais en réalité, Pinocchio mène le bal. 

Pinocchio mène le bal.

L’Exécutif d’abord qui n’en veut pas. Mais comme il est harcelé par ceux qui réclament cette indépendance et qui le soupçonnent d’exercer une pression politique sur certains dossiers, il concède de-ci de-là, quelques avancées pour mieux convaincre les soupçonneux qu’il souhaite, lui aussi, une justice indépendante. Après Pierre Méhaignerie et Michèle Alliot-Marie, c’est Christiane Taubira qui a fait adopter la dernière loi en date du 25 juillet 2013 « sur l’indépendance » et non « d’indépendance » des parquets, intitulé qui sonne comme un aveu qu’il ne saurait réellement en être question.

Certains professionnels ensuite, parmi lesquels une partie des magistrats du parquet qui souffrent de la comparaison avec leurs collègues juges statutairement indépendants et verraient dans leur propre indépendance - comment le leur reprocher ? - une mise à niveau de bon aloi.

Une bonne partie de la presse, enfin, qui croit que la justice serait plus indépendante si les parquets l’étaient aussi, ce qui a l’apparence de la logique. 

Deux conceptions bien connues s’opposent  : d’une part, la conception anglo-saxonne d’indépendance des procureurs, fondée sur le principe dégagé par Montesquieu d’indépendance des trois pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Mais cette indépendance est ici assortie d’une séparation radicale entre le siège et le parquet. C’est même une véritable « Muraille de Chine mentale » qui est érigée entre les deux fonctions. D’autre part, la conception du parquet « à la française », hiérarchisé, avec à sa tête la ministre de la justice et regroupé avec les juges dans un même corps, la magistrature.

Cette conception jacobine vient d’être réaffirmée par le président de la République, constitutionnellement garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire (art 64 de la Constitution) et qui conteste que les magistrats du parquet puissent être des électrons libres et hors sol. L’épisode de la nomination par Emmanuel Macron du procureur de Paris, choisi hors de la liste présentée par le Gouvernement, pourtant supervisée par le premier ministre qui avait - fait sans précédent – personnellement reçu les candidats, est significative. On a nettement reculé sur le sujet puisque les parquets sont désormais sous le contrôle de l’Exécutif dans son entier et non plus du seul garde des sceaux.

La controverse désormais classique n’intéresserait que des théoriciens tatillons si elle était sans conséquence sur l’équilibre de nos institutions. Mais tel n’est pas le cas.

En effet, bien que l’Europe refuse de choisir entre les deux systèmes : faites donc comme vous voulez nous dit-elle, cela n’est pas notre affaire, elle surveille cependant nos mauvais penchants : n’allez quand même pas confondre les attributions des juges avec celles des procureurs car ces derniers, mêmes s’ils devaient être indépendants un jour, ne sauraient être impartiaux, prévient-elle expressément (CEDH jurisprudences Medvedyev et Moulin). Cette mise en garde solennelle et réitérée n’empêche pourtant pas l’Exécutif et le législateur français de proclamer le contraire, comme si juges et procureurs étaient interchangeables. On va voir pourquoi.

Un remède qui peut être pire que le mal

Comment ne pas voir, s’agissant des perquisitions au siège d’un parti d’opposition et de son dirigeant, que l’ouverture d’une information confiée à un juge indépendant aurait été préférable à l’intrusion à laquelle nous avons assisté sous les ordres d’un procureur que le premier ministre veut voir être en ligne avec lui ? Cette cécité en dit long sur les mauvaises habitudes qui prévalent aujourd’hui. Ces habitudes posent de nombreux problèmes.

Le premier problème réside dans ce regroupement des juges indépendants et les parquetiers hiérarchisés dans un même corps. Ce choix n’est pas innocent : il permet d’entretenir la confusion en faisant prendre la partie pour le tout et d’affirmer sans ciller que la justice tout entière est indépendante. Circulez, il n’y a rien à voir !

Il est vrai que dans la très grande majorité des cas, les magistrats du parquet œuvrent en toute liberté pour la défense de l’intérêt général. On peut cependant s’interroger sur les raisons pour lesquelles le premier ministre a récemment déclaré vouloir être en ligne (sic) avec le procureur de Paris. Pourquoi être en ligne si ce n’est pour se dire quelque chose, et quoi ? Et pourquoi en particulier avec le procureur de Paris ?

Le deuxième problème est que si les débats devant un juge sont caractérisés par le principe du contradictoire comprenant une défense ayant accès au dossier, ce principe fondamental est absent au cours de l’enquête préliminaire conduite sous l’autorité du procureur dans le secret le plus absolu, sous réserve des fuites intéressées et orientées, distillées à la presse qui s’en fait l ‘écho.

Le troisième problème, enfin est que depuis nombre d’années, au fur et à mesure des réformes législatives, on constate une irrésistible montée en puissance des attributions des parquets ainsi que de leurs pouvoirs de coercition. 1- Attributions : après l’introduction du plaider coupable qui les voit, en fait, prononcer des peines, la quasi disparition des juges d’instruction place l’enquête préliminaire au cœur de la procédure pénale. La perquisition évoquée en début de propos en est une parfaite illustration. 2- Pouvoirs de coercition : le projet de loi sur la justice en est l’illustration la plus récente. Celui-ci prévoit en effet, notamment, en vue de renforcer l’efficacité des enquêtes préliminaires et sous prétexte d’harmonisation (sic), d’étendre à l’ensemble des crimes certaines mesures jusqu’ici applicables à la seule criminalité organisée, comme les enquêtes sous pseudonyme (internet), l’acquisition ou la transmission de produits ou de contenus illicites, la sonorisation de certains lieux, les écoutes téléphoniques et la géolocalisation.

Il est clair que la différence de statut des procureurs avec les juges n’a pas vraiment empêché l’évolution à laquelle nous assistons. Mais si un jour, ceux-là devaient devenir indépendants, nul doute que, vu la confusion entretenue en France entre juges et procureurs, le rapprochement des statuts entraînerait une accélération de la dérive actuelle. Car les parquets, c’est bien pratique, comparés aux juges qui doivent organiser des débats contradictoires si contraignants !

L’Enfer est pavé de bonnes intentions et ceux qui croient en toute bonne foi que l’indépendance des parquets améliorerait celle de la justice ne se rendent pas compte à quel point l’égalité statutaire juges/procureurs instaurée sans garde-fous, à la différence des pays anglo-saxons, serait préjudiciable aux droits de la défense.

On oublie trop souvent que si Montesquieu a inventé l’indépendance des trois pouvoirs, législatif, exécutif et judiciaire, il en a aussi prévu l’articulation et surtout, l’équilibre. On peut se demander comment un pouvoir aussi déséquilibré que le nôtre pourrait participer lui-même à l’équilibre d’ensemble.

Si nous n’y prenons garde, nous continuerons à remplacer toujours davantage les juges par des procureurs. Pour le moment, notre seul garde-fou, c’est l’Europe. Elle veille encore, tant bien que mal, à cette tentation française contre laquelle elle nous a plusieurs fois mis en garde.

Mais que sera l’Europe demain ?

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