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Billet de blog 2 juillet 2025

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Pourquoi Israël rend fou…et silencieux .

C'est un fait Israël rend fou. Fous tous les protagonistes, qu' ils soient victimes, bourreaux ou complices actifs ou passifs. Peut-être parce que l'existence de ce pays est basée sur deux causes pathogènes : la culpabilité et le déni. Mais le réel se venge toujours cruellement : Israël comme réparation se révèle être une catastrophe.

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Pourquoi Israël rend fou…et silencieux .

C'est un fait Israël rend fou. Fous tous les protagonistes, qu' ils soient victimes, bourreaux ou complices actifs ou passifs.  Peut-être parce que l'existence de ce pays est basée sur deux causes pathogènes : la culpabilité et le déni.

Rappelons que de 1933 à 1945 les juifs, allemand d'abord puis autrichiens puis l'ensemble des juifs européens ont été  discriminés puis persécutés puis éliminés physiquement. Infiltrées par un antisémitisme pluri séculaire, les chancelleries occidentales aussi bien que soviétique ont laissé faire ; et cela est bien documenté maintenant, quand les gouvernants aussi bien américains que britanniques ont été précisément au courant des camps d'extermination, de leur fonctionnement et de leurs localisations ils n'ont rien fait pour enrayer la machine d'extermination. Premier déni : ils savaient bien mais ne voulaient rien en savoir, la réalité leur était connue mais ils déniaient les conséquences qu'elle aurait dû avoir au niveau de l'action. De ce déni est née une immense culpabilité et le sentiment qu'il fallait réparer l'Holocauste. 

Le problème c'est que cette réparation, le paiement de la dette liée à la culpabilité s’est faite sur la base d'un nouveau déni:

les puissants de ce monde, qu'ils soient de l'Est ou de l'Ouest, savaient bien que sur les terres revendiquées pour créer Israël habitaient depuis des siècles un peuple composé de plusieurs millions de personnes :les Palestiniens. Ils savaient mais n'ont rien voulu en savoir, ils ont fait comme si la réalité qu'ils connaissaient ils ne la connaissaient pas. C'est le mécanisme même du déni : « je sais bien, mais quand même ». De ce deuxième déni et de l'immunité accordée aux sionistes du fait de la culpabilité d'avoir fermé les yeux sur l'Holocauste est né ce qu'il faut bien appeler une colonisation avec tout ce qui accompagne toujours ce phénomène, avec sa logique :

Faire comme si on était de droit sur des territoires à conquérir, chasser sa population autochtone, la réduire à un statut d'indigènes et en arriver à considérer qu'ils sont inférieurs, nuisibles et qu'on peut les chasser voire les éliminer la conscience tranquille. Des Amériques à l'Algérie, de Madagascar à l'Indochine, le schéma a toujours été le même. Le génocide qui se passe à Gaza à l'heure actuelle n'est jamais que la continuation logique du même phénomène. Aggravé toutefois par le fait du changement de mentalité dans la population juive israélienne: l'utopie progressiste, voir socialiste, l'idée largement répandue qu'il était possible de trouver une solution, une cohabitation entre deux peuples sur le même territoire, ont peu à peu été remplacés par la mentalité coloniale et raciste la plus classique faisant de l'autre un gêneur à éliminer.

Rien de nouveau sous le soleil : les communards déportés en Nouvelle-Calédonie ou en Algérie se sont, en une génération, mués en de féroces colons.

 Mais le réel se venge toujours cruellement : Israël se révèle être une catastrophe pour les Palestiniens, pour l'ensemble des peuples de la région, pour le droit international, pour la paix mondiale, et pour les  juifs qu'il était censé protéger.

 Catastrophe pour les Palestiniens chassés de leur terre aussi bien à Gaza qu'en Cisjordanie, privés du droit de se déplacer et même tout simplement de la vie. Enfermés dans une prison à ciel ouvert depuis des décennies, réprimés et emprisonnés à tour de bras, victimes de meurtres ciblés faisant de multiples victimes collatérales, ils ont été jetés par les gouvernements israéliens successifs dans les bras du Hamas. Et cela par une politique de longue haleine, non seulement les exactions décrites ci-dessus mais aussi en mettant systématiquement l'OLP et l'Autorité Palestinienne en porte-à-faux: à chaque fois qu'elles faisaient un pas vers la paix, une concession il y avait alors un Sharon ou un Netanyahou pour provoquer et réduire toute avancée à néant, ridiculiser la partie palestinienne qui avait fait l'effort et justifier par rebond les jusqu'au boutistes. Le Hamas est la créature des gouvernants israéliens, leur Frankenstein et le mouvement de résistance qu'ils ont voulu : islamiste et terroriste. Loin de l'éliminer, ils font tout ce qu'il faut pour le renforcer :massacres, meurtres d'enfants, terrorisme d'État, discours suprémacistes et racistes… ils ont aussi laissé se faire tranquillement son financement pendant des années et on peut même s'interroger sur le fait que le 7 octobre ait été possible : les services de renseignement israéliens sont les meilleurs au monde, capables de savoir dans quelle maison voire dans quelle pièce se trouve tel responsable du Hezbollah ou du Hamas dans des pays éloignés ( Liban, Qatar, Iran) mais concernant une action où était impliquée des milliers de personnes ils n'auraient rien vu rien entendu…Après avoir nourri et fait grandir Frankenstein ils lui ont ouvert la porte ayant enfin le prétexte pour se lancer dans le remodelage de la région. Mais là aussi, déni : Ronan Bergmann et Adam Goldman dans le New York Times du 2 décembre 2023 ont publié un document qui circulait dans les sphères du renseignement israélien sous le nom de code ”Jericho wall” et qui décrivait le scénario du 7 octobre. Il faut être quand même déjà être bien cinglés pour laisser massacrer des concitoyens afin de réaliser ses visées expansionnistes. Tout le monde le sait mais tout le monde fait comme si cela n'avait jamais été publié: encore une fois le déni comme mécanisme de défense. 

Catastrophe pour la région: les bombardements au Liban, en Iran, en Syrie déstabilisent un peu plus cette poudrière et n’offrent sûrement pas un avenir démocratique à leurs habitants. Là aussi nous voyons les soutiens d'Israël faire “comme si”: comme si les précédents irakiens ou libyens n’avaient pas existés, comme si dans le premier cas ce n’était pas Daesh qui avait tiré les marrons du feu et ,dans le second cas, des factions militaires qui plongeaient le pays dans une guerre sans fin. La folie qui frappe les gouvernants israéliens sous la forme d’un hubris sans limite les rend sourds et aveugles à cette évidence: de même qu’en massacrant les palestiniens ils fabriquent les “terroristes” de demain ,de même en rendant fous les peuples de la région ils fabriquent les guerres de demain.

Mais aussi catastrophe pour les israéliens qui, outre cet enfermement dans une citadelle assiégée et honnie, dérivent vers une exclusion interne (les bons juifs contre les traîtres, les  israéliens juifs contre les israéliens arabes), le culte d’une juste violence qui provoque la prolifération des armes et toujours la culpabilité et le déni : comme aux Etats-Unis, les ferments d’une guerre civile ou a minima d’actes violents auto agressifs ( au sens d’un peuple contre lui même, cf. le précédent cambodgien) sont réunis. Loin d’être l’asile promis, Israël se révèle un piège terrible. 

Et tout autant pour les juifs du monde entier: ceux  qui épousent sans aucun sens critique les éléments de langage du gouvernement israélien se retrouvent à se compromettre avec les antisémites historiques et à rejeter les juifs critiques de ces folies! Comme d’ailleurs, ils reprennent, avec nombre de commentateurs politiques ou des médias,

les assimilations basées sur un néolangage orwellien:  juifs= sionistes, antisionistes ou critiques de la politique israélienne ou défenseur du droit international=antisémites, attaque préventive= droit de se défendre, hôpital ou école= centre de commandement du Hamas etc. Ils se retrouvent piégés dans et par ce langage stigmatisant et viennent ainsi conforter l’imaginaire débile d’un antisémitisme toujours latent.

Et enfin, last but Don't least, le totem d’immunité, le deux poids deux mesures , le silence complice quand ce n’est pas une aide très active dont bénéficie Israël, finissent d’achever un droit international mal en point et par menacer la paix mondiale. Comment être crédibles pour combattre l'expansionnisme russe en Ukraine et mobiliser l'ensemble de la communauté mondiale en fermant les yeux sur celui d'Israël ? La folie gouverne le monde et la pulsion de mort a lâché ses chevaux. 

 Jean-Pierre Drapier 

 Psychiatre, psychanalyste 

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