À la suite de nos mobilisations citoyennes et des recours judiciaires collectifs que nous avons entrepris, le gouvernement français a finalement consenti à recouvrir de draps noirs les stands de certaines entreprises israéliennes exposantes au Salon du Bourget de juin dernier.
Cette décision, bien que notable, demeure très en deçà des exigences de justice et de droit international. Elle ne saurait mettre un terme à notre engagement qui ira jusqu'àux plus hautes Cour de Justice.
En ce jour, nous rendons publiques les recherches approfondies que nous avons conduites pour l'action en justice sur les liens contractuels unissant les entreprises présentes au Salon du Bourget à l’État d’Israël, mais également à la Russie et aux Forces de soutien rapide (RSF) au Soudan.
Car savoir, c’est déjà pouvoir. C’est se doter des moyens d’agir. Il est impératif de dévoiler les imbrications entre les multinationales de l’armement, l’organisateur du salon et les crimes internationaux les plus graves actuellement perpétrés (crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocide).
Première victoire chargée d'espoir: Eurosatory 2024
Un premier recours judiciaire collectif, déjà coordonné par l'espace collaboratif Droit et Mouvements Sociaux, avait conduit la justice française à interdire la participation d’entreprises, de délégations et d’intermédiaires israéliens au salon Eurosatory en juin 2024.
Les motivations de ce premier jugement n'ont pas été remises en cause par la Cour d'Appel qui n'a statué que sur l'étendue des pouvoirs du Juge des référés. Afin de contourner ce jugement, des entreprises israéliennes avaient saisi le tribunal de commerce dans le but d'obtenir une décision les autorisant à exposer, alléguant un prétendu caractère discriminatoire de cette interdiction, et ce, à l’encontre de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme dans les affaires de boycott.
Cette décision du tribunal de Bobigny constitue une avancée juridique majeure et une victoire partielle : durant plusieurs jours, les entreprises israéliennes n’ont pu exposer leurs armements, et les délégations israéliennes n’ont pas été en mesure de procéder à de nouveaux achats destinés aux offensives en cours à Gaza.
Persévérance de notre coalition pour faire cesser l'alimentation en armes des crimes internationaux, dont le génocide à Gaza:
Forts de cette première expérience, nous avons introduit deux nouveaux recours visant à empêcher toute promotion, visite ou exposition au Salon du Bourget d’entités impliquées dans des livraisons d’armes à Israël, ou contournant indirectement les sanctions imposées à la Russie et au Soudan.
Cette démarche judiciaire a été accompagnée d'une mobilisation historique dans la rue aux abords du salon rassemblant près de 4000 personnes, à l’appel de la coalition Guerre à la guerre qui rassemble une vingtaine d’organisations du mouvement social contre le militarisme. Cette dynamique populaire se poursuivra !
Cependant, cette fois, la pression exercée sur l’institution judiciaire a dû être trop grande : les juges de Bobigny, tout comme la Cour d’appel, ne nous ont pas donné raison. Nous portons désormais l’affaire devant la Cour de cassation, car toutes les complicités et responsabilités dans les plus graves crimes internationaux en cours et notamment le génocide à Gaza doivent être examinées (1).
Les crimes internationaux ne sont pas le fruit des seuls ordres des gouvernements : ils s’appuient sur des structures logistiques, industrielles et commerciales. Sans la complicité active des vendeurs d’armes israéliens et occidentaux, de leurs relais et intermédiaires – tel que les salons d’armement – et des États qui les soutiennent, ces crimes ne sauraient avoir une telle intensité ni une telle persistance.
Grâce à des recherches minutieuses, rassemblant plusieurs centaines de pages et coordonnées par Droit et Mouvements Sociaux avec l’appui des associations plaignantes (Survie, Al Haq, UJFP, Amis de la Terre France, Stop Fuelling War) et de la coalition Guerre à la Guerre, nous disposons désormais d’un panorama précis des entreprises présentes au Bourget qui continuent d’armer Israël ou de contourner indirectement les sanctions visant la Russie ou le Soudan. Nous mettons aujourd’hui en ligne un résumé de ces travaux.
De l’avis de nombreux spécialistes, nos actions judiciaires ont contribué à la décision du gouvernement Macron d’ordonner la dissimulation de certains stands israéliens sous des draps noirs mais ces gestes symboliques sont loin de constituer une réponse à la hauteur de la gravité des faits.
Zoom sur l'implication des salons de l'armement dans les crimes:
Nous avons établi un rapport d’observation sur place, dont voici les principales conclusions.
1. Les stands des entreprises israéliennes Ashot et Odysight sont demeurés visibles et ont continué à diffuser des contenus promotionnels, en dépit de leur implication directe dans les crimes perpétrés par Israël.
2. Plus encore, le stand du SIBAT – représentant officiel du ministère israélien de la Défense – était pleinement opérationnel. Des échanges commerciaux s’y sont tenus; des cartes de visite y ont été collectées.
3. Les autres stands, recouverts de draps noirs sur instruction gouvernementale (Rafael, Elbit Systems, UVision Air, Aeronautics, Israel Aerospace Industries) laissaient apparaître des armes ou des enseignes, contribuant ainsi à la promotion implicite de leurs produits.
4. Ces entreprises ont par ailleurs pu se présenter en tant que visiteurs professionnels et maintenir leurs activités commerciales, notamment via le stand du SIBAT ou d’autres partenaires.
5. Enfin, les entreprises comme Lockheed Martin, BAE Systems, Leonardo SPA, Thyssenkrupp, Turkish Aerospace Industries (TUSAŞ), Nammo– identifiées dans nos recherches comme continuant de fournir Israël – disposaient de chalets professionnels, facilitant les négociations contractuelles, y compris avec des délégations israéliennes.
Ces mesures ne peuvent dès lors occulter la responsabilité du Salon du Bourget (et des salons d'armement en général) dans des crimes internationaux tels que ceux perpétrés par Israël.
Au vu de la jurisprudence de la Cour de Cassation sur la complicité de crimes contre l'humanité en Syrie de Lafarge, la tenue du Salon constituait un trouble manifestement illicite que les tribunaux auraient dû faire cesser, en ce que l’organisateur du Salon, la Société des Industries Aéronautiques et de l’Espace (SIAE), pourrait être reconnue complice à plusieurs titres.
1. Depuis des mois, la SIAE orchestre une vaste campagne de promotion de ces entreprises d’armement, de leurs produits et de leurs filières, contribuant significativement à leur renforcement économique.
2. Elle met à disposition des espaces de négociation commerciale (chalets privés, salons fermés) dans lesquels sont conclus des contrats de plusieurs milliards d’euros – en 2023, l’édition précédente avait ainsi permis la signature de 150 milliards de contrats.
3. Elle accueille officiellement de nombreuses délégations étrangères, y compris issues d’États engagés dans des conflits ou violations graves du droit international, facilitant ainsi leur approvisionnement en armes, allant jusqu'à accueillir un stand d'exposition du SIBAT.
Savoir c'est pouvoir : appel au relai des informations publiées aujourd'hui:
Au nom de la dignité humaine, nous pouvons toutes et tous agir pour stopper le soutien économique et les livraisons d’armes aux auteurs de crimes internationaux, et refuser que nos impôts alimentent les profits des multinationales de l’armement.
Le gouvernement agite un prétendu "état de guerre" pour justifier la casse des services publics et l’aggravation des inégalités, pendant que les vendeurs d’armes voient leur chiffre d'affaires augmenter comme jamais ces dernières années grâce à la multiplication des conflits.
La SIAE, entité bénéficiaire de millions d’euros, exige pourtant de nos petites associations, parfois en déficit et affaiblies par la répression, une somme de 9 000 euros. Nous ne nous laisserons pas intimider par cette tentative d’asphyxie financière. Il n’y aura pas de paix durable sans justice. Nous poursuivrons notre action jusqu’au bout, pour établir toutes les responsabilités dans ces crimes.
Les entreprises visées dans nos enquêtes étaient présentes au Bourget. Elles seront, sauf revirement, au salon Milipol en novembre, à nouveau sur le sol français, et dans les prochains salons du commerce de la mort.
Nous appelons à relayer ces recherches et à rejoindre la mobilisation pour contraindre les marchands d’armes et leurs facilitateurs à cesser toute complicité dans les crimes internationaux. (https://ferme.yeswiki.net/salons-armement-crimes-internationaux)
Collectifs signataires :
Droit & Mouvements Sociaux (DMS) – Survie – Al Haq – UJFP (Union Juive Française pour la Paix)– Les Amis de la Terre France – Stop Fuelling War – Guerre à la Guerre (Galag) - AJPO (Avocats pour la Justice au Proche Orient)
(1) Tribune de 230 juristes qualifiant le génocide à Gaza: https://bit.ly/article-mediapart