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Billet de blog 4 septembre 2020

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2020, jeu, COVID et match : la formation à l’éducation inclusive KO…

Ce texte est un témoignage, une chronique sur ce que vivent les formateurs d'enseignants spécialisés dans mon INSPE. La dégradation de nos métiers ne date pas d'hier. La COVID est un formidable accélérateur pour ses détracteurs. Les vautours sont de sortie. La formation est sous oxygène, celle des enseignants spécialisés est en train d'être enterrée.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Chronique :

Lundi 24 août, la rentrée s’approche et l’équipe des formateurs CAPPEI[1] doit se réunir. Le premier ministre, le ministre de l’éducation nationale s’expriment ces derniers jours sur les ondes. Tous les élèves ont vocation à retourner à l’école. Génial, la rentrée se fera avec tous les étudiants stagiaires.

Mardi 24 août, entrée dans les locaux de l’INSPE[2] : nous poussons la porte. A la loge, l’agent nous indique que nous pouvons entrer. Il n’a pas de masques pour le personnel, pas d’info… Nous montons dans les étages. Les trous dans les dalles amiantées du sol ont été vaguement colmatés par du plâtre durant l’été… Pas tous les trous ! Tellement lamentable, qu’on en rit. On croit s’habituer. L’intoxication des personnels et des étudiants à l’amiante attendra, il y a la Covid. Oui, la Covid… Il faut que l’on soit attentives à nos gestes barrières. Nous ne nous sommes pas embrassées, nous avons mis nos masques perso.

La question sanitaire est omniprésente dans les esprits. Nous allons accueillir des centaines de jeunes. Les mesures d’hygiène vont être draconiennes.  Le site est quasiment fermé depuis le mois de mars. 5 mois de fermeture, plus de 3 mois pour les mettre en place. Nous retrouvons nos bureaux, salles, toilettes… Ca fait longtemps. On reprend nos marques et puis, ensemble, rapidement, on fait le constat que rien, RIEN, n’a été nettoyé. Les lavabos, toilettes sont sales, il y a de la poussière partout, les sols ne sont pas nettoyés. Malgré la nécessité de disposer de matériel informatique pour faire d’éventuels cours à distance, les salles n’ont pas été équipées et nous non plus : aucun ordi fourni pour les profs, pas de caméras pour les visios… aucun nouveau matériel.... Les vieilles tables et chaises sont sales. Les vidéo-projecteurs, les tableaux ont pris la poussière. Les fenêtres sont toujours aussi pourries, nombreuses d’entre elles ne s’ouvrent plus, les stores dégueux pendent… Covid oblige, il faudra penser à aérer les salles…. On croit s’habituer.

Haut les cœurs ! La rentrée s’annonce bien, les étudiants vont pouvoir enfin tous rentrer. On les a vu derrière nos écrans, on va les rencontrer, en vrai… Un vieux protocole du 6 août précise que la distanciation de 1 m est souhaitée mais lorsque ça n’est pas possible, les masques seront obligatoires. Nous avons entre 25 et 30 étudiants dans les salles, nous porterons donc tous des masques.

…Et puis, quand même… pas de ménage, pas de désinfectant pour nettoyer tables, chaises, claviers, tableaux que nous manipulons tous à tour de rôle… sans compter le matériel des labos ou en EPS. Avec des étudiants qui vont rentrer de deux mois de vacances, de fêtes… D’un point de vue sanitaire, c’est franchement surréaliste. Atterrissage !

Un nouveau protocole de rentrée est sûrement paru, on va avoir des infos…

Bah… non. Une grande partie du service en charge de l’hygiène et de la sécurité de l’Université est encore en vacances le 28 août… oui, oui… Nos étudiants sont accueillis le 28 août, puis le 31, puis le 3 septembre… Et ils sont en vacances !

Ils sont en vacances !

Lundi 31 août, 4 masques lavables sont distribués aux formateurs, pour l’année sans doute ?

Mardi 1er septembre, le site n’est toujours pas nettoyé mais le protocole arrive dans nos boîtes mails… du ménage est prévu… oui mais quand ? fait par qui ? gel, produits de désinfection… ? Et puis, on s’étrangle. 15 étudiants maximum par salle ! Quoi ? Mais pourquoi ? POURQUOI  chez nous ? 36 élèves par classe en lycées, 40 ou 50 en classes prépas, dans les écoles supérieures, dans de nombreuses facs… POURQUOI ? Et pour les 15 autres ? Comment on met en place les scénarios de formation prévus, sans moyens ? Pas de salles supplémentaires disponibles, pas d’enseignants supplémentaires, pas d’heures dégagées, pas d’ordinateurs, pas de caméras dans les salles…. En mars, c’était la crise, soudaine, inattendue… comme tout le monde on a bricolé, on a bossé comme des dingues, on a assuré nos formations du mieux que l’on pouvait en sachant que rien ne remplacerait nos travaux collectifs en présentiel. On a aussi bossé sur des scénarios en cas de nouvelles mesures sanitaires à la rentrée, mais à aucun moment, à moyens constants, il n’a été question de les mettre en œuvre sur une année ! Le fonctionnement lié à l’urgence n’est pas un modèle pérenne, ce n'est ni tenable, ni acceptable. Les besoins sont connus depuis plusieurs mois. Des fonds sont débloqués partout tant les mesures à prendre sont exceptionnelles. Et chez nous ?  Qu’ont-ils fait ?

Qu’ont-ils faits ?

Nous sommes des formateurs. C’est un métier. C’est un METIER. L’équipe du CAPPEI défend, en connaissance de cause, un modèle de formation basé sur l’analyse de l’expérience et la posture professionnelle réflexive. Les enseignants sont accompagnés sur le terrain, filment leurs séances avec leurs élèves, rencontrent des professionnels, sont mis en situation dans les cours à la place de leurs élèves et des parents. Ils apprennent en les expérimentant, les processus cognitifs mis en jeu dans les apprentissages et les techniques d’entretien pour aider les élèves à apprendre. Cette analyse réflexive en situation, leur permet de construire ensemble des compétences professionnelles fortement reconnues. 65% des enseignants spécialisés disent que leur formation est satisfaisante[3] et qu’elle correspond bien aux besoins du terrain… Derrière un écran, même si nous maitrisons les techniques numériques de formation, rien de tout ça n’est possible. C’est une mascarade. Le distanciel est un pis-aller en temps de crise, c’est tout, rien d’autre ! Rien d’autre sinon l’illusion que l’on forme des gens sans consacrer du temps et des moyens à la formation !

Ils dirigent une composante d’éducation, mais qu’en savent-ils ? Ou au contraire savent-ils précisément quel destin macabre ils réservent à l’éducation NATIONALE PUBLIQUE, à l’éducation pour tous, inclusive ?

Il savent.

Du temps et des moyens consacrés à la formation… justement, il en est question aussi au ministère… Eté 2020 – décidément le calendrier est chargé -  réécriture de la circulaire organisant la formation du CAPPEI.

Un enseignant spécialisé, c’est celui qui a la lourde tâche de scolariser des élèves en situation de handicap, en grande difficulté, tous les enfants vulnérables de l’école. Il a pour mission aussi, et ce n’est pas la moins experte, d’accompagner les collègues des classes qui scolarisent ces enfants sans aucune formation préalable.  En 2000, lorsque je me suis formée à ce métier, j’ai bénéficié de 800 heures de cours, une année à temps plein. Ensuite, la formation a été amputée de 400h… La moitié.

Depuis 2017, elle est de 300h …mais nous avait-on promis, 100h seraient consacrées à la formation continue… Le total ferait toujours 400 h réparties dans le temps, cqfd.

26 août, un mail, coup fatal !

La circulaire est en cours de réécriture. Exit l’obligation de donner à chaque enseignant 100h de formation continue. Il faut dire que ces formations n’ont jamais commencé faute de moyens. Le texte a été écrit, voté, inscrit dans la loi mais … oups, aucun moyen financier n’a été prévu pour sa mise en œuvre ! Et puis, la VAE… la certification du CAPPEI va désormais être accessible par la voie de la VAE. Finies les 300H de cours, fini le travail réflexif qui permet de construire une vraie posture professionnelle, fini les examens. Désormais, scolariser des enfants en situation de handicap  durant 3 ans, sans formation, permet après un entretien sur dossier, de devenir expert, personne ressource pour tous les collègues… et de conduire ces enfants vers les apprentissages, vers une formation, vers l’autonomie… Mais que font-ils ?

Que leur font-ils ?

Parmi ces enfants, il y a les petits, les ados, les dyslexiques et autres dys…, les autistes, les hyperactifs, les chieurs, les délinquants, les grands timides, les petits compreneurs, les non-verbaux, les mal nés, les ceux qui n’ont pas eu de chance, les voyageurs, les pauvres… les incasables (merci à Rachid Zerrouki !)

Non, vous ne vous ensauvagez pas ! Ce sont eux les sauvages.

J’ai 50 ans, j’ai débuté ce métier il y a 29 ans. Toujours animée par la même passion de contribuer à ce que chaque élève puisse être un INDIVIDU CAPABLE, et perçu comme tel, de penser, d’apprendre, de se former et de devenir adulte, citoyen à part entière. Et accessoirement, c’est aussi la LOI.

Je ne serai pas la nième enseignante à sombrer. Haut les cœurs, c'est terminé. Je vais résister. Je suis enseignante, formatrice, professionnelle, expérimentée.

Je sais que notre travail a du sens, qu’il a une valeur, une grande valeur.

Je sais qu’il est utile et même indispensable.

Je sais que notre travail est efficace et reconnu.

Je sais que les élèves progressent grâce à nos compétences spécifiques.

Je sais que l’école inclusive avance grâce à notre travail, notre engagement, notre sens du service public, nos valeurs, notre éthique !  

Je sais que nous avons raison.

Je sais, je sais !

Et eux, ça, ne le savent pas.

Ils sont les ignorants. Ils sont les hors la loi. Ils pillent nos valeurs. Ils pillent notre école. Ils détruisent l’éducation des enfants, de tous nos enfants. CE SONT EUX LES SAUVAGES !

[1] CAPPEI Certificat d’aptitude professionnelle aux pratiques de l’école inclusive

[2] INSPE Institut National Supérieur du Professorat et de l’Education

[3] Décembre 2017 - Enquête « Enseignants en ASH » auprès de 2000 enseignants spécialisés - SE-UNSA

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