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Billet de blog 1 avril 2021

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« Mondialité » : un fait qui rend fou… Parce que c’est un mot ?

Derrière le covid, la quasi-unanimité des politiques nationales est la première mondialité liant une espèce entière à "sa" politique. Le sanitaire est un prétexte plus efficace que l'environnement. Mais voit-on que pour ce "nous tous" assujettis à l'universel derrière le "sanitaire", l'identification au monde interdit... de parler ? Le sujet humain n'est-il pas en train de... s'absenter ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

 « Mondialité » : un fait qui rend fou… Parce que c’est un mot ?[1]

Certains mots -comme ceux qui évoquent des aspects essentiels de la métaphore orchestrale, tels le collectif ou le singulier, ou leur interaction dans le sexe, témoignent dans leurs histoires de celle de la parole en tant que destinée. Ils ne prouvent rien, mais ils montrent quelque chose. Ils nous rendent, à tout le moins, perplexes quant à un arbitraire complet des évolutions culturelles.

Nous observons ainsi que ces mots progressent entre un sens particulier, souvent issu d’un domaine de significations hors champ, vers une position à la fois centrale et finalement paradoxale dans le champ de l’être-ensemble tant désiré et tant redouté. Nous voyons par exemple avec l’idée indienne de caste, que son but premier (métaphorique, parce qu’il autorisait le débat comparatif entre des groupes de respect mutuel) s’était peu à peu transformé en légitimation d’un empilement de mesures inégalitaires interdisant tout libre échange des castes comme égales entre elles. Mais nous observons que, sans la ligne de fuite temporelle (proposant l’égalité au terme du cycle des renaissances), le système s’enrayerait plus vite, par explosion de ressentiments mutuels entre contemporains.

Toutefois, nous n’avons pas encore tenté d’expliquer pourquoi, au fond, le ressentiment social deviendrait logiquement un facteur d’instabilité fatale. La raison en est pourtant simple : parce que l’inégalité, la hiérarchie, sont finalement contradictoires (malgré ce qu’en a théorisé Mary Douglas) avec l’idée même de société, laquelle notion a été l’objet d’une inversion, alors qu’elle devenait le « lieu commun » de la plupart des grands groupes humains à la surface de la planète. Inévitablement concernée par l’idée de société, comme tous les Etats-Nations contemporains, l’Inde ne peut désormais que différer la rencontre faciale avec sa conséquence logique : une société -au sens actuel- ne peut pas exister si ses membres ne se trouvent pas dans une capacité de réciprocité suffisante. Ainsi, étrangement, la dérive inégalitaire indienne pointée par Claude Lévi-Strauss[2] se retourne aujourd’hui, comme rattrapée par son propre échec. Pourtant, l’histoire ne s’arrête pas là, car ce qui guette alors la société indienne comme les autres, ce n’est plus seulement l’injustice métonymique (le mot même de caste valant pour «inégalité» en nature), mais le paradoxe -voire la folie- de tout projet de complétude sociétale.

Si nous nous contentions de décrire le mécanisme social et temporel de la parole, voire d’une seule parole, pour ensuite affirmer que c’est elle qui nous entraîne dans des errances historiques aussi massives qu’une guerre mondiale ou qu’une crise économique risquant de déboucher sur l’apocalypse, nous serions en danger de déclencher l’ennui, l’hilarité ou l’irritation (souvent proches). Il faut donc aussi procéder en sens inverse : en partant d’exemples de l’expérience commune actuelle, il s’agit de montrer comment ce que nous vivons comme difficultés ou désorientations, malaises, voire folies ou délires, sont informés par un même arrière-plan : celui du mot « mondialité », saisi comme résultat acquis d’une « mondialisation » supposée réalisée à partir de la transfiguration de l’empire américain[3]. Il nous sera alors loisible, aux yeux d’un lecteur doucement amené à la considération, de lui proposer une explication soutenable des effets étrangement puissants et confondants de ce seul mot sur nos vies personnelles, familières et collectives. Il coulera alors de source… de revenir sur le long processus historique ayant conduit à cet effet, improbable a priori. Et enfin d‘analyser ce processus comme cas typique d’une histoire de parole, pour laquelle la théorie culturelle prévoit  une suite également logique (en l’occurrence : le passage à la pluralité dépassant la fragmentation nationale).

Distinguons pour commencer deux genres de symptômes pointant la mondialité comme leur cause commune :

-la confusion spatiale entre le sujet singulier et le sujet de l’universel.

-la coupure temporelle du sujet de son ascendance symbolique propre.

Les deux aspects aboutissent ensemble à une sorte de dissolution du sujet, qui ne s’y retrouve plus. Il ne sait plus qui il est parce qu’il ne sait plus où et quand il est, la périphérie et le centre, le présent, le futur et le passé se confondant, pour tous et pour chacun.

Un second moment sera dès lors dédié à l’examen des réactivités, voire des désirs de régression entraînés par cet effet, dont le « trumpisme » aura été  probablement un exemple flagrant.

Dans l’histoire culturelle, les mots du collectif virent à l’autoréférence

Si la théorie est juste, les constellations de paroles désignant l’être ensemble doivent, parmi les premières, subir l’impact de la difficulté croissante à les métaphoriser -à les comparer à des références extérieures-. Rappelons que cette difficulté croissante est un effet incontournable sur le long terme d’une conversation sociétale non interrompue par des faits historiques de même échelle. Elle réalise simplement la tendance d’une métaphore à être englobée dans une métonymie, et celle-ci à se lexicaliser, devenant catachrèse, à savoir une formulation dans laquelle le sens originel est enfoui, cristallisé, devenu méconnaissable, ce qui entraîne à son tour une tendance à l’autoréférence et, du même coup, au paradoxe -indécidable- qui le suivra comme son ombre.

Cette difficulté peut se traduire de plusieurs façons :

-soit les mots de plus en plus fréquemment choisis pour dire cela « passent devant » d’autres (par métonymie), de moins en moins employés, et représentent un aspect conceptuel autodéfini, et moins -ou plus du tout- une métaphore.

-soit ces mots font disparaître en eux-mêmes (par catachrèse) les sens différents qu’ils contenaient auparavant.

Dans les deux cas, on approche un effet Novlangue (comme dans le roman d’Orwell, 1984)[4], qui est un « trou d’air » langagier, lequel nous « ôte les mots de la bouche », mais aussi du cerveau. A ceci près que ce n’est pas un pouvoir bureaucratique incarné dans un méchant moustachu (Staline), imposant aux gens sa conception du langage qui en serait la source et l’opérateur, mais tout un chacun dans une évolution d’autant plus autoréférente… qu’elle proviendrait de partout et de nulle part, de chacun et de tous. C’est donc au voisinage de ces manques de mots que se formeraient bientôt les premiers symptômes du champ de crise : les réactivités les plus manifestes à l’autoréférence mondialitaire.

Voyons ce que cela donne sur quelques mots importants (indépendamment de la langue).

De la République à la Démocratie : une danse verbale orientée vers la suppression d’un opposé

Dans le registre du rapport de forces entre les mots déjà courants, on observe des mouvements de mise en place de notions-phare dont la particularité est de rendre difficile, voire impossible l’expression de situations ou de statuts différents.

Le mot démocratie, par exemple, qui tend à s’imposer devant des expressions comme république ou pays, ne contient plus la référence à un contraire ou une altérité acceptable. Pays renvoie par définition à l’un seulement des quelque 300 pays –officiels ou revendiqués- du monde (voire à des domaines locaux, ou à des entités imaginaires de même type), tandis que démocratie confond cette acception[5] avec l’idée générale d’un régime politique obligatoirement universalisable.

 République (la chose ou l’affaire publique) s’oppose à la chose privée, mais la reconnaît comme ce qui la conditionne : elle demeure normalement licite, bien que contestée, tandis que démocratie -le pouvoir souverain d’un nombre décompté d’individus localisés supposés égaux-, ne peut strictement s’opposer qu’à autocratie[6] mais en l’interdisant complètement. De sorte, d’ailleurs, que la souveraineté du monarque se transfert absolument au peuple comme bloc pris en totalité[7].

Ce caractère absolu rend impensable la légitimité de minorités face au poids de la majorité (comme dans le cas de la population de Nantes l’emportant numériquement massivement sur celle des habitants de Notre Dame des Landes). Paradoxalement, l’abus de cette référence autocentrée du plus grand groupe sur lui-même sert abondamment le pouvoir d’instances et de puissances qui se situent à son échelle afin d’écraser (sens strict du mot cratos) toute solidarité réputée particulière[8].

En même temps, le fait que la totalité en vient à limiter le droit de minorités au nom du seul nombre dévoile la configuration des droits humains du futur : il suffira que des Humains, même en petit nombre, revendiquent leur existence comme liée à des modes de production et de consommation légitimes, pour que la territorialité associée à ce droit irréfragable devienne sacrée pour l’humanité mondiale. Voila donc un indice expérimentable de façon concrète, de l’inévitable pluralisation de l’avenir post-national et post-impérial.

Le «Tous» rend invisible le «totalitarisme»

Passons à un autre mot-symptôme : le mot « tous », suffisamment dédouané des acceptions qui le retenaient au « totalitarisme » de sinistre mémoire, connaît un succès incroyable, notamment dans le « pour tous ». Du « mariage pour tous »[9] à la « manif pour tous », une constante : l’effacement de la possibilité de symboliser des éléments séparant des individualités abstraites, préjugées toutes  identiques du point de vue du droit. Que cette évolution soit parfaitement légitime n’empêche pas qu’elle exclue en même temps du domaine public des possibilités de parler, cela au nom de conformités nouvelles, plus « globales », et concernant chacun… sans exception possible !

Répété dans les formules de salut -à la façon du « citoyens » ou du « camarades » des périodes révolutionnaires … révolues-, le « tous » modifie donc considérablement, par soustraction, notre perception de la relation entre la personne et l’ensemble sociétal.

Ainsi, grâce au « bonjour à tous » de nos radios et de nos télévisions (le pouvoir publicitaire dans tous les sens du terme, y compris celui de la publicité pour les pouvoirs), on évite d’avoir à tenir compte des différences, des distinctions, des particularités et même des singularités (on pourrait dire « bonjour à chacun »). Il n’est plus question de dire « bonjour madame, bonjour monsieur », et encore moins « mademoiselle ». Tel invité lui-même se trouve absorbé par le « Tous », et difficilement retrouvable sur le podcast.

Là encore, la légitimité de l’évolution de la norme sociale d’usage n’est pas ici en cause. En revanche, il serait gênant qu’elle interdise à l’observateur objectif de constater que le rapport entre individu et groupe global se trouve ainsi déplacé et fixé, en dévaluant ou en abolissant toute médiation à reconnaître, qui ferait d’emblée obstacle à la souveraineté du groupe global sur tous ses membres, sommés d’y participer pleinement et sans la moindre réticence avouable.

L’effet le plus patent d’une telle évolution (singulièrement abrupte en France sous ses atours « civils »), est de contraindre mentalement chacun à se vivre non comme sujet souverain de sa parole, mais comme « partie » d’un « tout » (social, moral, etc.) qui serait le seul sujet réel, c’est-à-dire libre. Cette catharsis culturelle est largement liée au rôle classique de l’Etat rousseauiste incarnant pleinement le « peuple souverain », mais elle est encore plus flagrante -et déflagrante- dans la conception de l’universalité planétaire, laquelle sert de « mètre étalon » (et de maître étalon par la même occasion) pour la réduction de chaque Un à un huit-milliardième du Sujet global.

Encore une fois, il ne s’agit aucunement ici de regretter ou de dénoncer, voire de proposer des retours en arrière (ce qui, en général, participe de réactivités accélérant le processus en cours), mais simplement de conserver le droit à la posture et à la méthode scientifiques, lesquelles, dans ces domaines, sont toujours menacées d’être prises à partie, et, par exemple, d’être caractérisées comme des réactivités parmi d’autres[10].

-Dans le registre, maintenant, de l’absorption de mots dans d’autres ou par d’autres, nous retiendrons quelques cas flagrants. Le mot « masse », par exemple, tend paradoxalement à disparaître parce qu’il est révélateur d’une disparité désagréable -mais de plus en plus évidente- entre les gens pris en grand groupe, comme un bloc, et les formes plus nuancées ou intimes de la communauté. On ne dit plus mass media, mais « médias», comme s’il n’existait plus que la médiation de masse[11]. On ne dit plus non plus « les masses » (comme aux temps de Rousseau, de Hegel ou de Marx), qui impliquaient la conjonction ou l’opposition de groupes différents, mais on évite « la masse », objet un peu immonde, qui dévoile ce que nous sommes devenus « à huit milliards » dont cinq, possesseurs de smartphones.

L’expression « le monde », qui, en français comme en grec ancien et moderne (O Cosmos) signifie à la fois le monde comme parure, beauté et le groupe des Humains tend à ne plus représenter que la totalité indifférenciée de ces deux composantes pourtant opposées.

Société : de la séparation à la complétude

Rappelons brièvement l’histoire du mot société. Il provient, semble-t-il, de civis, le citoyen, auquel on a ajouté le préfixe sym (ou cum en latin). Celui qui, par contraction, était nommé socius, était l’allié du citoyen. Et si l’on se souvient que l’origine indo-européenne de civis engageait souvent le sens du pater familias (hiwo, le mari, en vieil haut-allemand[12]), le socius n’est donc pas un membre de la famille, mais plutôt un «ami», un « compagnon de route ». En tout cas, il désigna longtemps quelqu’un qui ne disposait pas de la qualité de citoyen, ce qui fut le cas, par exemple, des membres de nombreuses tribus gauloises, sauf ceux dotés de privilèges leur accordant ce droit ouvrant à toutes sortes de magistratures sur l’ensemble du territoire de l’Empire. Auparavant, même les Latins (habitants du Latium entourant Rome) n’avaient pas été reconnus citoyens romains pendant une longue période.

Autrement dit, la societas se rapportait à un monde périphérique, «désarmé» (sauf dans l’auxiliariat), subalterne, distinct de l’entité centrale, l’Urbs « autochtone ». Or ce sens a complètement été éliminé aujourd’hui, et probablement seulement depuis le XIXe siècle, pour faire place, peu à peu, à l’idée inverse -en partie juridique- de groupe de personnes se dotant de règles communes et relevant du même statut de membres. Tout d’abord, ce groupe a pu être de taille variable, s’établissant dès que deux ou trois individus s’y reconnaissaient (« faire société », « to socialize », « socialite », etc.). Parallèlement, la notion a entrepris de désigner des multitudes, coextensives à la civilité : le socius, comme membre d’une société est devenu le civis. Il s’y juxtapose et au besoin, le remplace, ce qui est une catachrèse, c’est-à-dire une opération d’ablation et de prothèse linguistique[13] .

Et enfin, nous assistons à une poussée pour employer l’expression « la société », pour n’importe quel état d’intégration massive ou universelle. Dans plusieurs discours de Barack Obama, par exemple, il était utilisé avec exactement la même extension que « genre humain », ou « humanité »[14]. D’autres sens, plus restreints, sont certes, préservés, mais tout porte à croire que sur le long terme, « la société » restera surtout employée pour désigner « tout le monde », mais en un sens indiqué par les « réseaux sociaux ». A savoir : une entité confuse et fusionnelle où la fréquentation, l’empathie mutuelle et la solidarité semblent pouvoir simultanément et sans changement de sens, s’étendre à la planète entière. On obtient bien, dans cette histoire, une évolution de la comparaison (extérieur / intérieur) vers la hiérarchie (droit/non droit), puis un phénomène d’englobement progressif dissolvant ces critères, dans l’ordre inverse. Le sens terminal de « société » devient celui d’une totalité homogène[15], d’une masse molle et indifférenciable ni du dehors, ni du dedans.

On observe certes quelques tentatives de s’opposer à cette conclusion qui rendrait, pour ainsi dire, le terme inutilisable, ou bien le mettrait en redondance avec d’autres, plus spécifiques.

Par exemple, de Ferdinand Tönnies à John Rawls (voire Theodor Mommsen, compatriote de Tönnies dans une province danoise engloutie par Bismark), on note l’effort pour distinguer communauté et société (Gemeinschaft und Gesellschaft). Ces labeurs se révèlent caducs : soit que, en dépit de Tönnies, et notamment avec l’épisode nazi, la communauté soit transposée telle quelle au plan de la société (dans l’imagerie racialiste faisant miroir à l’idée qu’on se fait « en tant qu’Allemands » de la communauté juive), soit que, en dépit de Rawls, la société s’impose comme référence pour le fonctionnement de toutes les communautés.

On parvient alors -et cela parfois depuis plusieurs décennies- aux abords du paradoxe.

Ainsi, lorsque René Cassin, l’un des auteurs de la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 définit l’humanité comme « la grande famille humaine », il prépare sans s’en douter une rencontre faciale et bientôt paradoxale entre société et familier.

Car, ou bien la société est ce qui se situe au-delà, autour, voire au dessus de la famille, et dans ce cas, elle ne peut pas être elle-même une famille, ou bien elle est une famille, et du même coup l’unique famille correspondant à l’humanité, et dans ce cas, elle fait disparaître d’un seul coup de baguette magique toutes ses homologues ne réunissant que de petites portions d’humanité, elles-mêmes confrontées au fait qu’elles doivent exclure ce qui n’est pas « elles » pour subsister comme telles.

 En effet, si nous définissons « la grande famille humaine » comme l’entité familière portant les qualités de la famille au summum, nous devons constater que c’est parce qu’elle ne s’oppose plus à rien et n’exclut personne : tous les membres du genre humain lui appartiennent. Dès lors, le concept de famille, piégé par celui de société, y prend un sens opposé à celui des familles qui n’existent encore que parce qu’elles se démarquent de celles qui ne leur sont pas apparentées. Autrement dit, René Cassin, probablement sans en être conscient, nous a proposé une conception de la famille qui efface la parenté comme repère séparant le familial du non-familial : ce qui nous impose un concept déclassant les familles concrètes dans leur droit à disposer du terme les désignant par opposition à d’autres et à ce qui n’est pas de ce ordre !

Une fois entrés dans cette alternative, nous connaissons donc bien les affres du paradoxe de Russel à propos de l’ensemble de tous les ensembles. Si maintenant, nous associons dans un discours public les termes de société, et de famille, nous rencontrons des traces des anciennes oppositions, et nous pouvons encore, par exemple, réaffirmer que « la famille est la base de la société » (ou un autre cliché du même tabac), mais nous nous heurterons aussi, de plus en plus violemment, au fait que la société prétendant organiser complètement les solidarités humaines de toutes échelles, elle est aussi quelque chose qui « remplace » en partie la famille, et cela d’autant mieux qu’avec René Cassin nous savons désormais que la société est la seule famille au sens plein et parfait. La fusion entre famille et société paraît alors en cours, rendant l’emploi de tel ou tel terme indifférent, puisqu’il n’y a, de toute façon, plus rien à distinguer.

Le problème, on le sent, est alors que cet empêchement radical de penser une différence- sous prétexte d’attribution universelle- va produire des réactions d’autant plus hostiles qu’elles ne disposeront plus de la parole… voire de la pensée.

Nous affirmons ici qu’une grande partie des réactions se portant au terrorisme de masse a pour cause directe ou indirecte le paradoxe induit par l’autoréférence imposée à certains mots importants, laquelle conduit à nier son sens opposé, qui resurgit alors dans une antinomie absolue, comme si ceux qui s’y référaient encore étaient devenus des ennemis de l’humanité !

Cet affolement de l’animal parlant, à qui est soustraite -innocemment et même «éthiquement»- une parole ancestrale, peut être soutenu et alimenté par des « pulsions » naturelles (comme les «instincts» de reproduction et d’élevage), mais il est essentiellement induit par le paradoxe comme piège incapacitant. Ainsi, lorsque nous construisons le syllogisme le plus proche de cette expérience, nous aboutissons à l’impasse logique suivante :

-la société doit devenir «l’unique famille  humaine» en bannissant tout principe d’exclusion.

-or toute famille n’existe qu’en excluant ce qui ne lui appartient pas, ne serait-ce que pour pouvoir ensuite s’allier avec l’étranger. (principe de prohibition de l’inceste).

-donc, la famille doit être exclue de la société.

-Mais si la société exclut, elle n’a pas banni le principe d’exclusion.

-Elle ne peut donc devenir l’unique famille humaine.

-Or la société est unique (au plan mondial de son existence),

-elle ne peut donc être une famille parmi d’autres.

-Mais si elle doit devenir ce qu’elle peut seulement être (« l’unique famille humaine »), elle doit bannir tout principe d’exclusion…. Etc.

Seuls ceux qui ne sont pas placés dans les situations politiques, administratives, stratégiques, etc. qui font apparaître incontournables des moments de ce paradoxe, peuvent s’en moquer comme une affaire superficielle, une « simple bataille de mots ».

Car nous sommes immergés dans les mots, et ce sont eux qui commandent nos destinées depuis au moins 80 000 ans ! Certains ne l’ont pas encore remarqué ! Ah, la puissance du refoulement !

Ses effets peuvent pourtant être tragiques : l’ignorance qui s’ensuit par exemple dans le rapport des «Modernes» aux «Traditionnels» s’imposant dans un très grand nombre de pays «périphériques» et qui entraînent de si nombreuses et terribles erreurs économiques, a pour cœur un effet direct du paradoxe inhérent à l’expression «famille humaine» portée par l’humanisme universaliste avec les meilleurs intentions du monde[16]. Celle-ci est en effet susceptible de contrarier très concrètement la légitimation de droits de propriété et d’usage, d’alliance, de repérages ethniques, d’intérêts nationaux, etc. Et ce ne sera pas en proposant un débat utile sur la légitimité des coutumes, mais, là encore, en ôtant de la bouche et de l’esprit les mots mêmes qui permettraient la discussion sur des logiques.

Pour résumer, le mot « société », qui désignait sous Rome les socii, et donc les non-citoyens, renvoie maintenant à la totalité d’un ensemble d’Humains, encore que celui-ci ait pu être petit ou partiel (société savante, société anonyme, etc.) ou déclinable au pluriel (les sociétés traditionnelles, etc.) Mais aujourd’hui, notamment depuis l’extinction du soviétisme comme empire concurrent, la notion de société tend à devenir LA société, et donc synonyme d’humanité, tandis que ce dernier mot renvoie de moins en moins au sentiment humain, et toujours davantage à l’espèce humaine représentée par les contemporains vivants sur toute la planète[17].

Nous assistons dès lors à trois opérations en cascade de métonymisation et de catachrétisation de métaphores orchestrales importantes : la société vaut pour l’humanité, celle-ci vaut comme masse pour le caractère humain de chacun, et enfin elle vaut comme collège des contemporains pour toute l’histoire de l’espèce ! Formidable réduction par emboîtement des possibilités de nos langues à différencier, à comparer et à penser des phénomènes très largement distincts !

De la distinction des sujets à leur confusion

Il en vient assez semblablement de la destinée d’une nébuleuse de mots concernant la singularité humaine. Ne serait-ce que parce qu’elle s’oppose fonctionnellement à l’idée de collectif : nous  y observons le même type de dérive depuis certaines oppositions et arrangements, vers des englobements, puis des contradictions tranchantes et insolubles.

Nous suivrons dans cette aventure un triplet de mots : individu, Sujet, personne.

-L’individu est la traduction exacte du mot « atome » en grec (ce qui est indivis ou indivisible). Mais il devient difficile de ne pas admettre que pour le respecter comme tel, il faudrait en considérer l’intériorité, et donc une certaine division subjective.

-Le sujet (subjectum) est d’abord ce qui est soumis (mis ou jeté dessous), mais il tend inéluctablement à signifier du même coup la source, l’auteur « souverain » d’un acte. A savoir son opposé logique ![18]

-La personne (persona) désigne d’abord plutôt le corps propre et sa présence, typée ou délimitée, voire singularisée par son « allure »[19]. Et pourtant, nous ne pouvons empêcher la tendance à lui substituer le personnage, qui, lui, n’a plus rien de singulier tant il est stéréotypé.

Ce qui est frappant dans ces divers sens, c’est qu’ils ne parviennent qu’à tourner autour de quelque chose ou de quelqu’un sans pouvoir lui mettre la main dessus. En gros, ils ne savent pas très bien de quoi ils parlent, et qui est bien mieux défini par des fonctions (« defunctus » voulant déjà bien dire ce que cela veut dire : à la fois hors fonction et … mort). Et finalement, ce carrousel d’incertitudes, d’incomplétudes, semblera se stabiliser autour de ce qu’il faut bien appeler un paradoxe, ou plus précisément une antinomie.

Certes, nous devons justifier toutes ces étiquettes logiciennes. Elles sont des choix à discuter, tout comme pudding ne peut pas satisfaire tout le monde dans la même catégorie reçue de dessert. Mais nous tentons d’argumenter le plus rigoureusement possible pour chacune des nominations, notamment pour cet élément crucial, proprement humain et aventureux, que nous nommons le Paradoxe. Nous aurions pu inaugurer ce terme par son déclencheur, son détonateur : autoréférence, mais aussi par autocratie, ou pouvoir absolu. Jacques Lacan aurait recouru au terme « discours du Maître ». Mais le choix de l’étiquette « Paradoxe » relève de la cohérence avec tout notre périple à partir de la «destinée de la métaphore » (formule d’ailleurs empruntée à Claude Lévi-Strauss).

L’élimination de toute compétition avec un terme de comparaison fonde l’autoréférence, mais celle-ci est désorientée par le paradoxe qui lui est constitutif. C’est donc bien ce terme qu’il faut utiliser, car il décrit adéquatement l’effet immédiat et constant de l’autoréférence. Autrement dit : il n’y a pas vraiment de discours du maître, car celui-ci s’autodétruit à mesure qu’il s’énonce.

 Bien sûr, cela n’empêche pas les dictateurs, les gourous ni les PDG mégalomanes d’imposer un temps leur discours comme s’il était cohérent. Jusqu’à un certain point : celui où l’énoncé ne peut se conclure que par le suicide, ou par la fusion dans un pouvoir plus grand encore, et cette fois vraiment autoréférent et absolument fou : celui du « Tous »[20].

L’approche de la zone d’autoréférence, puis d’antinomie et de paradoxe est caractérisée assez nettement dans toute histoire conversationnelle :

-les critères de comparaison avec « autre chose » permettant un jugement sur soi se raréfient et deviennent insuffisants.

-la pensée de soi et d’autrui est rabattue sur des critères universels (comme le « tous ») qui ne permettent plus aucune distinction, et donc aucune origine assignable aux décisions, aucun sens à leurs effets. Ils permettent en outre la procédure d’alignement d’immenses majorités sur un cas rare voire unique, sous prétexte de refus « de principe » de sa victimisation.

-Le Sujet tendant à se prendre pour lui-même dans son Moi, il tend à délirer en s’appropriant des organes ou des actions comme si elles étaient des actes signalant la maîtrise par celui-ci[21].

-Les effets d’apories logiques, les paradoxes, les antinomies, les cercles vicieux se multiplient concrètement dans tous les secteurs importants de la vie, conduisant nombre de participants à des comportements aberrants, à des abandons dépressifs, à des dérives collectives vers des impasses évidentes.

-la pensée critique « s’auto-bâillonne » parce qu’elle manque d’air pour se réaliser et s’exprimer. L’intellectualité se résorbe, par effondrement de tous les points de repères de la différence. Le discours persistant se mécanise dans la formalité. L’ennui l’emporte formidablement sur le « gai savoir », et se met à caractériser toute expression culturelle.

-A mesure que diminue la menace extérieure, les justifications en termes d’alignement, de norma-lisation, de diminution des écarts, de répression des révoltes en termes policiers, prennent le pas sur les justifications défensives. Le militaire se change en policier, tandis que le policier obtient les moyens et les missions du militaire. (Ceci s’observe bien dans la confusion de critères militaro / juridiques qui ont règné depuis l’intervention au Moyen-Orient : qu’est-ce qu’un « terroriste combattant » ?).

-La politically correctness, déployée dans les discours autorisés, fonctionne comme une machine à cliquet : elle s’étend et s’approfondit toujours davantage en produisant du répréhensible puis de l’illégal, là où régnait plutôt la tolérance. Inversement, ce qui relève du « pour tous » indifférencié est encouragé jusqu’à l’extrême limite. En fin de course, le moindre écart des Sujets est inhibé comme restriction inadmissible du « Tous » (encore davantage que dans une religion moraliste).

- L’ennemi, le divergent le plus insignifiant produit une terreur innommable, liée à une fascination parfaitement incongrue, révélant la fragilité de l’autoaffirmation.

-etc.

Il existe quelques exemples flagrants de ces processus d’approche du moment paradoxal de l’autoréférence comme « fin » (dans les deux sens) de toute histoire de parole. Ainsi, le mot « Je », le déictique qui semble désigner a priori un « soi-même » distinct du nombre, commence-t-il de manière inattendue à représenter la totalité normalisante. Ainsi quand un autobus vous « dit » : « je voyage, donc je valide », ce « je » désigne directement un individu obéissant comme un robot à la norme sociale en vigueur[22]. Ou mieux : il entre en chacun pour se mettre à la place, devenue impensable, d’un « je » qui pourrait ne pas s’y plier.

 Autre tendance jointe : un objet se présente lui-même dans ses qualités utiles (un texte publicitaire collé à sa surface). Autrement dit, il devient un «objet parlant», une sorte de robot à la fois primitif dans sa complexité technique (ce n’est souvent qu’une machine simple ou une chose passive), et sophistiqué par la magie qui lui accorde la parole. Il devient ce petit gâteau sur lequel, dans Alice au pays des merveilles, est écrit : «mangez-moi». Nous sommes bien dans le monde de l’autiste qu’était, dit-on, Lewis Carroll.

Plus généralement, la généralisation de ce « je-joiement », contribue à éliminer la relation duelle de la parole (plus de tu ou de vous), ce qui est une contribution majeure à la tendance à l’autoréférence sans possibilité de distinguer les interlocuteurs, ni ceux-ci du groupe en général. C’est un bel exemple de mouvement public vers la confusion, probablement en provenance des réseaux d’internet, en passant par les pratiques publicitaires.

On trouvera enfin quelques cas de mots dont le sens usuel -désignant plutôt des situations ou des objets quotidiens sans rapport avec la vie politique- a été remplacé (et pas seulement encrypté) par une valeur morale ou politique.

Ainsi de « transparence » : ce mot désignant un état physique propre à des matériaux gazeux, cristallins ou liquides, a été transféré au langage politique pour s’opposer aux pouvoirs indus ou à la corruption des élites. Mais, rêvée par un Rousseau et un Bentham (chacun obsidional à sa façon, libérale ou « démocrate», afin d’assurer à l’Etat le contrôle pour tous de la maximisation du bonheur individuel), puis utilisée par les Soviétiques en fin de parcours (avec la glasnost chère à Gorbatchev) la transparence est devenue un concept-clé de la gestion post-moderne des populations[23]. Cette notion est loin d’être elle-même dénuée d’opacité : désignant en apparence la rigueur morale à laquelle chacun -et surtout dans les classes politiques- doit adhérer pour ne pas léser autrui,- elle finit par légitimer les gigantesques systèmes de surveillance des personnes que permet -et permettra toujours d’avantage- la numérisation des données.

Ou encore le mot sécurité : désormais déclinable en « sécurisé », son extension implique que nous vivions dans l’urgence permanente de trouver refuge, abri, et surtout d’accepter que les services de police, mais aussi n’importe quelle « entreprise citoyenne » se transforment en protecteurs perma-nents de victimes potentielles, au risque –pourtant peu perçu et encore moins avoué- de multiplier lesdites victimes sous prétexte de les sauver[24]. La vie entière devient ainsi lieu de menace et de crainte, spécialement les lieux publics urbains brassant des multitudes, et constamment balayés de messages inquiétants nous appelant au regard obsidional, à la « vigilance » et à la délation, mais aussi à la passivité en tant que sujets de libres interactions avec autrui.  L’omniprésence de la puissance Bobo-Cool transcendante et surveillante est affirmée à travers ces mots, et bien d’autres, par un bombardement de messages utilisant tous les supports disponibles -publics et intimes-, de sorte qu’il devient impossible à quiconque d’échapper plus de quelques heures à l’impression d’un encadrement gentil mais complet.

Le temps : le sujet humain peut-il être ramené à un point sans épaisseur d’une descendance à la surface du globe ?

Nous avons situé la source personnelle du «régime d’historicité» présent dans les trois registres du sujet, de l’historien et du peuple, dans une fiction étrange : celle de la visée symbolique d’une suppression progressive de la différence, et précisément de la différence sexuelle, puisque celle-ci oblige le sujet à considérer la nécessité de sortir de la Matrix via le statut masculin, nécessaire pour «faire père», à savoir : pour devenir autre chose qu’une larve à jamais contenue dans le bain amniotique maternel ou terrestre.

Un autre aspect de la même question éthique est soulevé dans la pure contemporanéité par l’application absolue d’un principe universel. Notons à ce propos que ledit principe étant consistant avec la définition même d’une société-monde (désormais nommée « LA société »), il est devient impossible d’y renoncer, même si les luttes pour imposer le changement de mentalité nécessaire sont pénibles, suscitant maintes réactivités.

Ledit principe va ainsi « se pousser » tout seul (par une grande diversité de voies, comme la jurisprudence, les lois, les habitus, les propagandes médiatiques, séries télé et porno inclus, les discussions idéologiques et « culturelles, etc.) simplement pour se mettre en conformité avec le cadre logique de la métaphore orchestrale en vigueur. Celle-ci devient également impossible à contredire[25] : comment ne pas reconnaître que la mondialité rend concrète la notion d’humanité ?

Ce faisant, ce principe va, tôt ou tard, rencontrer l’incapacité logique propre à toute autoréférence butant sur son indécidabilité[26].

C’est le cas, par exemple, de la publicité du « fantasme sexuel » (notamment exprimée par la pornographie licite sur Internet).Cette publicité, devenue universelle par ce biais, revient à distinguer un monde de fantasmes libres, recensant tout ce qui est imaginable dans les situations de « relations » sexuelles, et un monde de l’autorisation et de l’interdit dans le réel. Ces deux mondes sont désormais caractérisés par l’universalité de leurs normes. Tout ce qui n’est pas interdit devient non seulement autorisé pour tous, mais pour ainsi dire obligatoirement reconnu comme licite, donc innocent et non susceptible de diffamation. Dans le domaine du réel, la limite entre réel et interdit passe par trois critères :

-l’autorisation ou l’interdiction par chaque partenaire d’actes portant sur sa personne, et cela à chaque moment de l’interaction sexuelle.

-l’interdiction de tout acte portant sur des personnes dont le consentement ou le refus ne peuvent être considérés par la loi (personnes mineures ou handicapées mentalement).

-l’interdiction de tout acte entraînant un dol ou une blessure, voire la mort, bref de toute atteinte à l’intégrité physique et morale d’une personne.

Dans le domaine du fantasme, au contraire, presque tout est licite et sans limite, sauf à ce que les moyens dudit fantasme empiètent sur le domaine réel (par exemple par des collections de photos prises sur des mineurs ou des personnes non consentantes). Le « remplissage » de ce cadre par la jurisprudence, les mœurs, les idéologies, etc. ne peut pas être enrayé, parce qu’il est difficile de résister à la longue à une logique apparemment sans faille. Ce qui signifie qu’il sera interdit d’interdire la liberté de publicité des fantasmes les plus variés, tant qu’il n’est pas suspecté raisonnablement ou prouvé qu’elle entraîne des effets illégaux dans le réel, ce qui est rarement probant.

En conséquence de quoi, que ce soit par intérêt mercantile ou pour motif idéologique, voire par incitation ou inhibition d’origine policière, l’ensemble des pratiques sexuelles de la population mondiale tend à s’aligner sur ce cadre, quand bien même des fractions, elles-mêmes encadrées par des systèmes d’interdits et d’obligations religieux, y résisteraient longtemps. Dans ce cas, la population « civile » tend simplement à représenter un bloc homogène de comportements par rapport à ceux qui sont en vigueur dans des communautés nettement délimitées. Or le résultat de cette évolution normalisée est d’approcher de très près la zone du paradoxe. Voici comment :

-Si tous les fantasmes sont licites, la notion même de fantasme en tant que catégorie et généralité est mise sur la sellette, ce qui n’était pas le cas, tant que des interdits la traversaient en séparant fantasmes licites et fantasmes illicites.

-Si tous les fantasmes ne sont que des cas particuliers de la catégorie universelle de fantasme, cette dernière demande à être définie en elle-même.

-Quelle peut être une définition autoréférentielle du fantasme comme acte purement licite, et, en quelque sorte, absolument innocent ? Ce ne peut-être que celle de gestes privés de dangerosité ou de malignité au sens de la loi. Et comme tous les fantasmes sont autorisés comme tels, cela implique que tous sont dépourvus de dangerosité et de malignité. Dès lors, les fantasmes «avancés » (impliquant tortures, décapitations, démembrements, empalements, évis-cérations, etc.), de même que ceux qui impliquent des situations de possession ou de contrôle, de dissymétrie accrue des rôles (sodomisation, fellation, et encore les fantasmes qui jouent sur la destruction des barrières d’inceste entre apparentés ou générations différentes, voire la zoophilie) deviennent tous également « innocents ».

On peut alors entendre cette « innocence » dans deux acceptions différentes : soit on « nettoie » le fantasme pour qu’il apparaisse « propre » et acceptable, soit on considère le fantasme lui-même, sous sa forme la plus extrême, comme propre et acceptable. Il se peut que la société-monde déploie ses efforts dans les deux sens simultanément avec l’effet terminal d’un fantasme à la fois extrême et « nettoyé », propret (ce qui, pour ceux qui résistent, peut apparaître le comble de l’immonde, comme dans le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley.

Quoi qu’il en soit, le paradoxe sera atteint, du seul fait que le fantasme devient plus que jamais ce qui réalise dans l’Imaginaire ce qui n’est pas licite dans le Réel. Il ne peut d’ailleurs être rien d’autre puisqu’il ne pourrait sans cela se distinguer de ce qui se fait dans le Réel. Autrement dit, quand la publicité des fantasmes sexuels devient universelle, cela implique que tout imaginaire de ce qui était illicite devient licite et donc insignifiant. En conséquence de quoi, tout fantasme, qui était justement l’imaginaire de l’illicite, devient un non-fantasme. Assez rapidement émerge alors la réalité ce qu’il est : la figuration de gestes comparables à ceux d’un rituel, d’une gymnastique ou d’une thérapie, ou pire d’une technique de digestion, voire d’une analyse « objective » des fèces, des urines, ou de n’importe quel fluide ou amas moléculaire.

Mais quand le fantasme devient un non-fantasme, que devient le fantasme puisque celui-ci se contredit lui-même par sa propre existence publique géné-ralisée ? Eh bien, force est de constater qu’il ne devient rien d’autre qu’un terme de ce cercle… vicieux, ce qui, certes, n’est pas un hasard !

Car dès lors, le vice (dont on sait qu’il est le contraire de la vertu) se déplace de la gestuelle rendue inodore et sans saveur, mais « sanitaire » vers la transgression absolue : celle qui consiste pour un système sociétal à rendre proprement inimaginable ce qui est son envers ou son extérieur. Le crime devient, désormais, ce qui échappe à l’autorisation universelle, c’est-à-dire au seul décret d’universalisation et du même coup, de « réalité ».

A noter que tout ce que nous énonçons ici relève de la pure théorie sadienne, puisque le but du divin marquis était, explicitement, d’explorer toutes les perversions possibles, de les collectionner dans un musée complet, et de les désamorcer par leur répétition systématique, de telle façon que l’universalité « démocratique » puisse être enfin atteinte « pour tous », et avec elle la « liberté » consécutive d’une dépassionalisation complète.

C’est donc bien le programme de Sade qui se trouve déployé, de façon logique, dans le projet démocratique universel en cours de déferlement,. Ceci à l’aide des « marcheurs blancs » dont Maïa Mazaurette, la « sexologue du Monde » est l’une des plus froides, des plus « innocentes ».

Observons encore quelques facettes du même paradoxe : la sexualité affichée comme naturelle et licite dans les limites du droit devient aussi objet d’une fantasmatique générale où chaque nuance peut devenir objet d’une « orientation » définissant la personne à un moment donné. Toutes les orientations étant affichées comme pleinement licites et innocentes, elles ne désignent plus que des attributs superficiels de l’individu, celui-ci se trouvant, par contraste, défini comme un pur Sujet souverain, indépendamment de toutes ses orientations possibles, et finalement de toute sexualité vivable. Bientôt définitivement épargné par l’orgasme non simulé, ce témoin gênant d’une sexuation naturelle et de sa préhistoire oscille tout en peaufinant la spécificité principale de chaque sexe[27]

De sorte qu’au bout du compte, l’individu abstrait devient la seule référence possible, hors de toute orientation sexuelle, voire hors de tout sexe. On peut alors passer, dans le «livret de famille », à la formule « parents n° 1 et 2 » sans mention du sexe, puisque seul un individu hors sexe peut choisir librement sa propre  panoplie de genders[28], de godes-ceinture et de plugs. En quelque sorte, tout individu étant théoriquement désexualisé, il peut se vêtir d’un sexe qui n’est alors guère différent d’un sex toy industriel. C’est ce qui explique que les femmes peuvent aujourd’hui se vêtir de pénis artificiels de toutes tailles, couleurs, matières et performances mécaniques, en compétition gagnante avec les hommes supposés  moins privilégiés par la nature.

Le résultat est donc encore paradoxal, puisqu’à vouloir libérer la variété des genres, on obtient surtout la réduction à un seul sexe, ou plutôt à un porteur éthéré de n’importe quel sexe  artificiel !

La formule du paradoxe s’impose alors d’elle-même dans sa pureté insupportable : « Pour être reconnu sexué, tout individu doit renoncer à son sexe. » Une variante absolutiste et totalisante s‘il en est… de la castration symbolique qui n’en demandait pas tant !

Nous ne rappellerons pas à ce propos, que de tout temps, la parole humaine a obtenu un effet castrateur afin de créer un Sujet social, un peu décalé de l’individu naturel qui lui sert de support. Mais ce que met à jour la psychanalyse comme une réalité psychique transtemporelle ne doit pas nous faire oublier qu’il s’agit aussi, dans l’histoire, d’une castration heureusement ratée. Sans quoi, nous nous retrouvons dans le cas des « réductions » jésuites du Paraguay, où, selon Hegel, les Révérends Pères devaient sonner la cloche à minuit pour rappeler à leurs Indiens christianisés qu’il fallait faire l’amour. Ce dont ils n’avaient plus du tout envie[29].

Sans parler du fait que, si la castration symbolique n’était pas subrepticement mâtinée de perversion, cela ferait longtemps que notre espèce se serait éteinte. D’ailleurs on peut se demander si le succès de la publicité pornographique universelle des fantasmes n’est pas pour quelque chose dans la baisse énigmatique de la fertilité des hommes contemporains, aux côtés des inhibiteurs endo-criniens[30]. La masturbation pourrait avoir pour effet secondaire (en dehors même d’un salutaire vidage des burettes du Genium) d’accompagner, en tant que gymnastique, un ennui de plus en plus mortel ![31]

Le changement de sens des métaphores orchestrales indique... la direction de cette Histoire

Avec la mondialité, le Je, le Tous, le toi et moi sexuel ou relationnel, mais encore la société, la politique, la démocratie, sont en train de souligner par leur rapide variation continue de signification le sens de l’Histoire que jalonnent leurs acceptions successives : l’individuation pure comme seule entité acceptable de la totalité, nécessairement homogène[32]. Dans ces cas (et de nombreux autres), une accélération élimine les disparités de sens qui permettaient des comparaisons métaphoriques, et donc des choix consistants possibles. Lorsqu’on appuie « liberté, égalité, fraternité », par « sécurité, transparence, vigilance », la diversité des interprétations s’est amenuisée. Que la contribution du « terrorisme » à ce rétrécissement de la parole possible soit considérable change peu à l’évolution ainsi précipitée au nom du maintien de la liberté.

Le sociologue Michalis Lianos a lié cette évolution vers des sociétés « de peur » et « de contrôle » à l’extension des libertés (de jouir) se dégageant du carcan des communautés du familier, jadis si prégnantes sur chacun. Ce n’est sans doute pas faux, mais on peut soutenir l’inverse avec plus de vraisemblance : à mesure que les individus sont dépouillés de leurs solidarités spontanées soutenues par leur ancienne culture par l’action combinée des pouvoirs civils, de la puissance financière et de la force technologique hyperénergique et universalisée, ils deviennent plus dépendants d’une totalité qui pense et parle à leur place, tout en vérifiant l’effet de cette « gouvernance » (encore un mot significatif autorisant bien des dérives) sur ceux qui deviennent leurs purs assujettis. Cette dépendance de plus en plus forte de chaque Un vis-à-vis du Tout[33] n’a pas d’incidence que sur les mots : ceux-ci ne font que signaler avec une véhémence accrue une confusion collective en progrès, une agitation chaotique de sujets en mal de situer leur « assignation à liberté ».

Cette dernière ne pouvant plus s’effectuer dans la parole, elle est désormais recherchée dans un individualisme d’autant plus collé sur le « Tous » imaginaire et son discours, dans une exagération des Moi ramenés à eux-mêmes en miroirs du Moi global. Déjà, beaucoup de citadins « du futur » font vibrer sans regard pour autrui cette tristesse sociétale quotidienne, pauvres bipèdes esseulés dans un tragique conformisme. Mais s’affirmer en auto-entrepreneurs couverts de tatou-ages ramifiés, et arpentant la ville végétalisée, coiffés d’oreillettes de surdité branchée, ne va pas sans que chemine en beaucoup une révolte mise en commun : un sens-pour-tous qui se dessine enfin, hélas pas pour le seul « Bien » ! Il n’y a plus qu’un pas séparant ces normopathes des terroristes financiers, voire des tueurs réels, militarisés ou non. D’où l’émergence simultanée d’une expertise pycho-policière du « pervers narcissique » ou du « psychopathe »[34], charlatanisme proche du psychiatrisme soviétique ayant catalogué la divergence politique comme maladie mentale.

La métaphore orchestrale soutenant la société-monde comme communauté morale est en train de s’extraire des adhérences à l’Empire-monde dont elle est pourtant issue. Avec le progrès d’une justification de plus en plus autoréférente, c’est au conflit avec cette représentation (et non plus principalement les habituelles désignations de la puissance nationale abusive, orgueilleuse ou dangereuse) que nous devons les événements significatifs de l’avenir envisageable. De ce point de vue, il ne faudrait pas que le vieil arbuste Trump cache la forêt en marche du libéralisme sans frontières et de ses plateformes numériques agglutinant la planète humaine.

Entendons-nous bien. Je ne souhaite pas ici affirmer comme notre excellente collègue Marie-José Mondzain, que la société actuelle «confisque les mots», au sens où cette ablation serait supposée possible : simplement parce que la parole, consubstantielle de notre humanité, se dérobe à toute tentative de ce genre. En revanche, il faut noter (après Michel Foucault ou Jean Baudrillard, qu’il ne faut surtout pas oublier) l’évolution d’une conversation, d’un procès sélectionnant obliga-toirement les acceptions licites et reçues, ne serait-ce que pour comprendre comment et quand le «passage à l’acte» libérant la naissance d’une nouvelle Histoire, va pouvoir se produire.

Car elle se produira nécessairement : il est impossible qu’une immense majorité d’Humains acceptent définitivement de se voir interdire de symboliser leur sexe, leur droit de dissidence, leurs solidarités irréductibles au Tous, leur « propriété » au sens d’une limite de la totalisation, leur différence de statuts et de positionnements, leurs singularités, etc[35]. Cette reconnaissance a ceci d’intéressant qu’elle substitue à une résistance finalement passive, (ou vouée à une sorte de quérulence négative et plaintive entrecoupée de « pétages de plombs » zombiques), une possibilité d’acte de parole à chaque étape de ladite conversation.

En début de procès, il lui suffit de faire réapparaître des personnages réfractaires encore respectés par l’adversaire. En cours de route, il est toujours possible de ralentir le processus de métonymisation (au nom d’un légitime refus de la domination).

Et en fin de parcours, au stade ultime d’une confusion autoréférentielle, il devient encore loisible et désirable d’en sortir le plus vite possible par la voie d’une nouvelle métaphore : ainsi, celle dont le deuxième terme s’impose de lui-même à partir du «monde» : la pluralité, cet objectif encore occulté derrière la « multipolarité ».

[1] Ce texte reprend le chapitre 6 de mon livre : L’avenir des humains est-il prédictible ? (Pourquoi la pluralisation de la mondialité est-elle inéluctable)  Ed. Translatador, 2021.

[2] Lévi-Strauss résume sa position à ce propos dans Tristes Tropiques, mais on trouve un peu partout dans son œuvre une fascination pour la transformation historique de sociétés qu’il théorise par ailleurs comme la fuyant et y résistant coûte que coûte.

[3] L’Empire romain se réclamait déjà d’une mondialité, mais les contours, au-delà du « limes » en restaient ouverts et flous.

[4] Précisons que la « novlangue » n’est jamais parfaite, car ce serait supposer que le contrôle de la parole par le discours peut être absolu, ce qui est un fantasme de maîtrise (sadique).

[5] Dans l‘expression « notre démocratie », par exemple, utilisée par des Américains.

[6] Même si l’autocrate est Dieu, dans la formule « théocratique ».

[7] Le découpage formel entre démocratie (tous), aristocratie (quelques-uns : les « Beaux et les Bons »), et autocratie (Un) n’est pas retenu ici. L’aristocratie (le pouvoir des « meilleurs ») est en effet une « intruse » logique puisque, contrairement aux deux autres termes, elle ne porte pas sur une absoluité (celle aussi bien du « tous » que du « un »). Elle ne peut donc donner lieu à des basculements complets en un sens ou un autre. Il est d’ailleurs patent, dans l’histoire antique et moderne que le « tous » démocratique et le tyran unique entretiennent souvent des relations de connivence. Le dernier utilise le premier pour détruire l’aristocratie qui le menace par sa proximité. De Staline à Duvalier, en passant par Franco, Mao, ou Kadhafi, cette « loi » ne se dément pas. Cette remarque ne doit pas être interprétée comme une coupable sympathie envers l’aristocratie, en général de plus en plus exécrable avant d’être décapitée par l’alliance Tyran-Démos. Mais il est de fait que ces deux là se ressemblent aussi dans un populisme de caserne, sensible dans l’urbanisme et la construction. C’est encore frappant en Espagne, cette société mentalement militarisée par Franco.

[8] La distinction entre « Républicains » et « Démocrates », réglant la vie institutionnelle nord-américaine, utilise cette distinction entre la désignation d’un espace privé possible, et son englobement par un principe d’égalité sans exception. On voit que le capitalisme mondial s’accommode autant de l’un et de l’autre, dans un cas pour réaffirmer ses privilèges au nom de la liberté économique, et dans l’autre pour discipliner les « masses laborieuses » et « consuméristes ». La nouvelle prévalence de « démocratie » dans les discours républicains indique que la métaphore permettant la comparaison est en train de s’estomper, parce que tout peut se faire sous le même chapeau, le plus large de préférence. Cela dit, critiquons « dictature du prolétariat », mais souvenons-nous que « démocratie »  n’est rien d’autre, dans les mots, que « dictature du peuple citoyen ».

[9] Dans la conception allemande de l’union civile universelle -qui correspond à un contenu pratique identique- il existe moins de déconstruction sémantique que dans la transformation française du sens du mot « mariage » (une femme prend un étalon, un mari). Dans la tradition espagnole, mariage et ménage sont confondus dans le « casar » référant à la maisonnée. L’impact sémantique du changement est donc également moins sensible.

[10] La science est un comportement humain attaché à la production de savoirs. Le scientisme est la religion associée à ce comportement. Ne pas s’adonner au second n’implique pas que l’on renonce à la première, ni, qu’au contraire on la change en culte de l’objet.

[11]  Son orthographe française avec accent et pluriel en s sépare davantage ce mot de son origine latine, et du même coup, de son sens universel de « moyen », comme si « le » média était une réalité absolument spécifique ou singulière.

[12] D’après le dictionnaire étymologique de A. Ernout et A. Meillet. Observons aussi que l’insistance sur la simple factualité de «l’habitant» prépare une séparation -qui sera longue à s’instituer- entre le soldat-décideur (le strados) et l’électeur civil.

[13] Reconnue telle par le grammairien Pierre Fontanier qui ne lui accordait pas le droit d’être nommée «figure» ou «trope».

[14] Mais le président Trump en a rajouté dans cette signification lorsqu’il traita de «bête» un Bachar El Assad auquel il imputait d’avoir gazé «de beaux bébés».

[15] Comme la caste indienne, selon C. Lévi Strauss.

[16] C’est en ce sens que la devise de Google : « soyez bienveillants », ne suffit peut-être pas à une humanité planétisée en tant que société.

[17] De sorte que l’invention du concept juridique de « crime contre l’humanité » a complètement basculé entre sa référence aux « crimes de guerre inhumains » du premier conflit mondial, et l’idée actuelle implicite d’une insulte au genre humain comme nombre. Sans que personne ne semble avoir noté l’incongruité d’une telle catachrèse ! Car si l’humanité n’est plus qu’une masse vivante à la surface de la planète et non un sentiment réciproquement imputé par des sujets, en quoi peut-elle se porter en instance juridique et morale à l’encontre de certains de ses membres ? Et inversement, si elle est un sentiment, en qui est-il concerné par le fait qu’il soit partagé ou non par le grand nombre ?

[18] C’est pour marquer cette opposition que nous réservons la majuscule à Sujet au sens désignant une personne dans sa fonction, et non pas un « objet de débat », par exemple.

[19] Comme dans les prénoms donnés par les Sioux, cherchant à marquer le trait le plus « personnel » qui fût : « Danse avec les Loups », par exemple.

[20] Ce pouvoir supérieur à celui des plus géants des marchands de tapis mondiaux est en train d’apparaître à propos de l’urgence sanitaire du covid. Une erreur serait de l’attribuer par habitude  aux faiseurs d’argent n’utilisant la bienveillance que comme un argument supplémentaire de vente. Cette erreur  consiste à ne pas admettre que le pouvoir tout-court –la métonymie- est infiniment plus puissant (parce que  réellement massif ») que celui qui trône sur une simple accumulation d’argent.

[21] Giorgio Agamben fait une excellente démonstration de cette confusion dans son livre Profanations, et lui oppose le Dieu Genius, divinité des anniversaires de la personne, où se cristallise ce qui lui fait rejoindre ce qui est plus petit et plus grand qu’elle. Il faudrait ajouter à ce décryptage, celui de l’hallucination masculine de diriger le « tir » du pénis, et de l’hallucination féminine concomitante y « croyant » aussi, induisant la jalousie du penis nied, bien qu’elle puisse toujours y comparer la maîtrise par le corps « récepteur » du fruit d’avenir depuis sa  conception même.

[22] Phénomène du « jejoiement » étudié par Marilia Amorim.

[23] Qui désigne aussi la liste des postes disponibles dans le monde pour la rotation des agents des Affaires étrangères, et dont le mode de nomination est, comme il se doit, parfaitement opaque !

[24] Cette absurdité est patente avec la gestion générale de la Covid 19 : alors que la seule résorption définitive du virus (comme de chaque rhume ou grippe) ne peut être que l’effet de l’immunisation collective « naturelle », aucun pays de la  « statosphère » mondiale ne l’a laissée s’accomplir (pour ne pas choquer par des charniers apparents) et lui a préféré la répétition autoritaire de confinements et d’isolations, alors que par ailleurs très peu a été fait pour construire des hôpitaux de campagne spéciaux et recruter en les formant rapidement des personnels soignants « de base » sous contrôle médical. Sauf peut-être la Chine, qui avait probablement laissé l’épidémie se déployer au Hubei en 2019 sans le faire savoir à quiconque.

[25] Cet aspect absolutiste du droit de l’Homme (Human Right) avait déjà été observé par Ulrich Beck dans son travail sur le cosmopolitisme. Mais en le prenant comme un inconvénient inévitable et, au mieux, supportable.

[26] Qui suis-je ? Le moi qui pose la question ou le moi qui est l’objet de la question ? Les deux s’incluant réciproquement, c’est l’indécidable qui s’installe comme torpeur et stupéfaction.

La vraie phrase prononcée par le Crétois assumant qu’il est menteur, c’est : « je mens donc je dis vrai donc je mens donc je dis vrai donc je mens donc je dis vrai, etc. » (à l’infini…)

[27] Dont Freud rend compte, par exemple, à propos de la masturbation infantile comme «autosatisfaction par stimulation des propres organes génitaux, en réalité celle de leur partie masculine » (donc, chez les garçons et les filles) Œuvres complètes, XVIII, p.41.)

[28] Un peu comme l’âme, pour Platon, va choisir sa façon d’agir son corps.

[29] La révérende mère Mazaurette semble vaguement s’apercevoir qu’elle est bientôt dans cette position avec les lecteurs boboïfiés du Monde.

[30] On peut observer l’innocence réellement à l’œuvre dans les générations élevées dans la familiarité du « porno » : loin d’inciter au « vice », ce dernier devient le thème principal de la plaisanterie entre adolescents, un sujet de vaste rigolade sans fin. Il est littéralement désamorcé par son insistance universelle. Cela n’est pas plus mal pour ce qui est de la pudibonderie qui fleurissait sur le silence, et de la perversion qui a toujours fait montre d’un hypermoralisme. Pour le reste, l’effet est difficilement appréciable, mais probablement pas nul sur une libido déjà encline à diminuer depuis des années. Peut-être s’agit-il d’une accélération de cette tendance, associée à la baisse de la fertilité masculine liée à la pollution chimique générale ?

[31] C’est bien l’occasion de rappeler que le père du Président Schreber (le fameux juriste « psychotique »), inventa la gymnastique disciplinaire en Allemagne, laquelle connut un succès foudroyant partout dans le monde « civilisé ». Ce que sachant, on peut se demander comment la folie du fils ne devint pas le cas général pour toute une génération de gymnastes européens. Nous sommes vraiment des animaux résilients !

[32]S’agissant d’entités sociales, si les parties de la totalité sont différentes, elles sont aussi plus difficiles à gérer dans une logique globale et sont plus proches d’une séparation détruisant cette totalité.

[33] Que le « revenu universel » ne ferait que conforter pour la masse des « stupéfiés ».

[34] Alors que des forces du Sociétal, via des psy à la botte, inventent des faux concepts comme « pervers narcissiques », « sociopathes » ou « psychopathes », etc., étiquettes très à la mode chez les ado, il est juste que d’autres psy, soucieux de vérité, créent « normopathie » : maladie de la normalité. Cette dernière catégorie renvoie à la tendance réelle de nombreux Sujets à s’aligner sur la norme, au point où la moindre différence leur paraît une intolérable infraction et mérite « signalement », le nouveau nom de la dénonciation. La normopathie est un élément important du virage de la société-monde à la Matrix (ou au parc Astérix, qui en est l’antichambre.)

[35] Ce qu’Ernesto Laclau et Chantal Mouffe ont assez bien vu… sans saisir que cette exigence ferait aussi exploser la notion ancienne de « peuple », sauf à la reconstruire hors des entités nationales, en tant que séparations logiques des pôles de la mondialité.

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