duff1205

Abonné·e de Mediapart

3 Billets

0 Édition

Billet de blog 8 décembre 2025

duff1205

Abonné·e de Mediapart

Chères oubliées: Ada Lovelace, la mère des algorithmes

duff1205

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 2

Ada Lovelace, 1815-1852, britannique, pionnière de l’informatique

Chère Ada,

Je dois commencer par te faire une confidence, l’informatique, ce n’est pas trop mon truc. Je te rassure, je me débrouille avec internet et le pack Office, mais les langages de programmation me sont bien plus étrangers que l’espagnol, l’anglais ou l’allemand. J’ai connu de grands moments de solitude lors de mes années d’étudiant quand, assis face à l’ordinateur, je me demandais comment diable j’allais pouvoir entrer en communication avec cette impassible machine. Mais quand j’ai découvert que le premier programme informatique de l’histoire avait été écrit par une femme, 100 ans avant le premier ordinateur, je me suis dit qu’il était temps de laisser de côté mes traumatismes estudiantins pour raconter ton histoire.

Tu es née le 10 décembre 1815 à Londres, unique fille légitime du grand poète romantique anglais Lord Byron. Acculé par ses mœurs guère en adéquation avec la morale victorienne de l’époque (relation incestueuse avec sa sœur Augusta, innombrables relations bisexuelles...), Byron cherche une épouse pour se racheter une vertu. Il jette finalement son dévolu sur Annabella Milbanke, une jeune et riche baronne très pieuse. Elle est aussi passionnée de mathématiques, Byron aime l’appeler “la princesse des parallélogrammes”. Le mariage a lieu en janvier 1815, mais pas de miracle dans cette chronique d’un désastre annoncé, Annabella quitte Byron en janvier 1816 pour retourner vivre chez ses parents avec toi, chère Ada, qui a donc à peine un an. Petite anecdote, ton premier prénom est en fait Augusta, comme cette tante avec qui ton père avait eu une relation incestueuse. On comprend que ta mère ait préféré utiliser ton deuxième prénom, ce sera donc Ada.

Tu grandis avec l’absence de ce père que l’on te présentera toujours comme un monstre et un génie du vice, mais dont le nom aura le mérite de t’ouvrir des cercles scientifiques normalement rigoureusement interdits aux femmes. Ta mère n'est pas très présente non plus, confiant ton éducation à des précepteurs qui auront pour mission de te transmettre le goût des mathématiques. Elle voyait en effet leur étude comme le meilleur remède contre la passion romantique qui avait consumé ton père. Mais on n’échappe jamais complètement à son héritage, tu en feras la démonstration en fuguant avec ton professeur de mathématiques à l’âge de 16 ans.

Tu as la santé fragile, chère Ada. Il faut dire que les préconisations des médecins anglais de l’époque pour les enfants font froid dans le dos : pas d’eau (ni pour boire ni pour se laver), pas de fruits, pas de légumes, pas de viande et pas d’activité physique. Avec ce régime-là, c’est déjà un petit miracle que tu aies atteint l’âge adulte.

Tu as 17 ans quand, le 5 juin 1833, tu es invitée à une soirée organisée par Charles Babbage, un mathématicien un peu fou au caractère exécrable, professeur à Cambridge et concepteur de machines. Ce soir-là, il montre les plans de sa machine à différence, une machine à calculer à manivelle qui a pour objectif d’effectuer les calculs alors réalisés à la main, et donc naturellement truffés d’erreurs. Avec plus de 25 000 pièces, elle est bien trop complexe pour être construite à l’époque, et ne passionne guère les foules. Mais toi, chère Ada, tu en perçois tout de suite l’immense potentiel. Débute alors une relation scientifique d’une grande intensité, et qui durera plus de 10 ans.

Mais on n’échappe pas à ses obligations de femme, alors tu te maries en 1835 avec William King, comte de Lovelace. Vous aurez trois enfants, Byron en 1836, Annabella en 1837 et Ralph Gordon en 1839. Tout cela bien sûr ne laisse pas beaucoup de temps aux mathématiques, mais tu y retournes avec brio en 1839, réalisant des études remarquables sur les équations différentielles, avant de te consacrer entièrement à la machine de Babbage à partir de 1842.

En octobre de cette année, le mathématicien italien Louis-Frédéric Ménabréa publie un article en français sur la machine à différence. Charles Babbage t’en confie la traduction, et t’encourage à rédiger ta propre description de la machine et de ses possibilités. Et là chère Ada, c’est l’étincelle. Tu rédiges 7 notes, labellisées de A à G, deux fois plus longues que l’article original.

La note G s’appuie sur un algorithme détaillé pour calculer les nombres de Bernouilli, un concept mathématique aussi passionnant que beaucoup trop compliqué à expliquer ici. Cet algorithme contient la première boucle conditionnelle (ou boucle while) de l’histoire. En gros, c’est la possibilité de programmer la machine pour répéter un calcul autant de fois que souhaité, et revenir au début quand elle a terminé. Ça paraît simple comme ça mais c’est le fondement de tous les programmes informatiques actuels.

Après ce premier algorithme, tu en rédiges beaucoup d’autres, pour permettre à la machine de créer des langages, de la musique et même de mettre en équation le fonctionnement du cerveau humain, c’est chatGPT bien avant l’heure. Je rappelle quand même au passage que tu n’as pas encore 30 ans.
En plus de ta géniale intuition, tu as une vision très poétique des mathématiques, presque mystique, on pourrait même dire romantique comme ton père, encore et toujours ce satané héritage.

Malheureusement, quand ton mari décide d’aller s’exiler à la campagne, loin de Londres et de son bouillonnement intellectuel, il n’est pas question de protester. Tu continues à rédiger des notes dans des articles publiés par ton mari, mais le cœur n’y est plus vraiment. Ta dernière tentative de modélisation mathématique : essayer de prédire le résultat des courses hippiques pour y faire fortune. Evidemment cela ne marche pas, et cela te vaudra de finir ruinée. Le 27 novembre 1852, tu es emportée par un cancer du col de l’utérus foudroyant, après une longue et terrible agonie.

Jamais complètement oubliée dans le petit monde de l’informatique, tes notes seront une contribution importante pour la conception de la machine de Turing en 1936, et de Mark 1, le tout premier ordinateur, en 1944. Le ministère de la défense américain a même donné ton prénom, chère Ada, à un langage de programmation développé au début des année 80.

Malgré cet honneur bien tardif, tu restes un exemple de cet effet Matilda qui décrit le phénomène d’effacement des femmes scientifiques, voire la spoliation de leur découverte par leurs collègues masculins. Qui sait que la structure en hélice de l’ADN a été découverte par Rosalind Franklin? La trisomie 21 par Marthe Gauthier? La fission nucléaire par Lise Meitner? Double punition puisque les misogynes d’aujourd’hui utilisent cette absence pour expliquer que le génie scientifique se conjugue très essentiellement au masculin. Ils devraient tous aller faire quelques boucles de calcul à la main tiens, ça leur remettrait les idées en place.

Je connaissais Alan Turing mais je ne te connaissais pas, Ada Lovelace. Maintenant si, et je ne t’oublierai pas.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.