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Billet de blog 14 décembre 2025

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Chères oubliées: Alice Milliat, la femme olympique

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ALICE MILLIAT 1884 –1957, Française, Pionnière du Sport Féminin

 Chère Alice,

Mais qu’est ce qui t’a pris, Alice ? De t’engager corps et âme dans cette si folle cause ? La création de l’olympisme féminin ? Car tu en conviendras, rien ne te prédestinait à pareil sort, lorsque tu es venue au monde dans la modeste épicerie provinciale de la famille Milliat rue Guépin, à Nantes, le 5 mai 1884… Toi qui, quelques années plus tard, refusait à l’école de participer aux cours de gymnastique, et qui semblait avoir ainsi compris qu’on n’attendait des femmes nulle autre prouesse physique, que celle d’enfanter et de conduire un foyer.

Certes des germes d’indépendance ont pu être semés dans ton adolescence, par tes parents Edouard et Joséphine, qui te poussent à faire des études secondaires, y voyant un passeport vers l’autonomie, ou par le directeur de ton école, M. Maublanc, qui lors du discours de remise de diplôme, à tes 14 ans, s’insurge contre l’interdiction d’exercer faite à Jeanne Chauvin, doctoresse en droit, au motif qu’elle est une femme… Mais quand tu la prendras, ton indépendance, en 1904, partant t’exiler en Angleterre, ce ne sera que pour suivre ton futur mari, Joseph, embauché dans une maison de commerce outre-manche. Et si tu décides d’y exercer une activité rémunérée, ce sera la seule qui sied à une jeune fille : nounou, pour une riche famille turque, les Gulbenkian. Alors certes, c’est aussi là que pour la première fois tu pratiqueras de l’exercice, de l’aviron, mais n’est-ce tout simplement pas pour profiter des abords bucoliques de la Serpentine River ? Non vraiment, rien ne laisse encore présager un avenir d’athlète record, et d’éminence du sport international.

Pourtant en 1914, après cette période trouble qui t’a vu perdre en quelques années, parents et surtout époux, et qui t’a vu emménager, quitter, puis réemménager à Paris, et alors qu’une guerre terrible éclate sur tout le continent européen, c’est bien dans l’activité physique que tu iras te réfugier, en poussant les portes d’une des toutes premières sociétés sportives féminines, Femina Sport. Tu t’y illustreras en tant qu’athlète, établissant des records en canot : la très longue traversée Paris-Montereau, le premier challenge « Audax-Rameur » relevé par une femme (50km en 12h) … même si rien de tout cela ne sera homologué, faute de cadre officiel reconnaissant le concept de sport féminin. Et c’est bien ce qui te motive à entreprendre en parallèle une autre carrière, celle de dirigeante sportive, pour qu’il se développe, ce cadre, pour que les sociétés sportives féminines confidentielles deviennent de vrais clubs populaires, et pour que le sport devienne un outil d’émancipation. Et ton palmarès dans ce domaine sera encore plus fou.

En 1915, un an seulement après avoir rejoint Femina, tu en prends la présidence. En 1917, tu organises porte de Brancion les premiers championnats de France d’athlétisme féminin, après avoir développé des contacts avec les autres sociétés comme Academia et En Avant.. En 1918, tu fédères tout ce beau monde au sein de la première Fédération des Sociétés Féminines Sportive de France (FSFSF) dont tu ne prends modestement que la trésorerie (la présidence viendra bien vite !). En 1919, c’est la création du championnat de football féminin, suivie l’année suivante d’une tournée à succès en Angleterre. Puis en 1921, celle de la Fédération Sportive Féminine internationale (FSFI), dont tu occupes bien sûr la présidence... Tu es dès lors bien armée pour mener ton plus grand combat : la création et la reconnaissance de l’Olympisme Féminin !

Tu espères tout simplement faire intégrer l’athlétisme féminin au programme des Jeux Olympiques de Paris en 1924, mais le Baron Pierre de Coubertin, dans sa grande sagesse, te rappelle que le rôle des femmes est  de « couronner les vainqueurs », et t’alerte des risques de l’activité physique sur la fonction reproductrice féminine. Alors, grâce à la FSFI, tu décides d’organiser les premiers Jeux Olympiques Féminins en 1922, réunissant 5 nations au stade Pershing… à Paris, n’en déplaise au Baron ! Le 20 aout 1922 à 15h18, tu marqueras l’histoire en inaugurant la toute première édition de ces Jeux, devant 20 000 spectateurs et spectatrices en liesse ! Et tu récidives en 1926 à Göteborg, puis à Prague en 1930, toujours plus grand et plus fort. Pourtant, devant les succès des premières éditions des Jeux Olympiques féminins (officiellement « Jeux Mondiaux », copyright oblige) le CIO avait tenté de t’amadouer en autorisant, énorme première, 5 épreuves d’athlétisme féminin au Jeux Olympiques d’Amsterdam de 1928, et en faisant de toi la première femme membre d’un jury Olympique. Mais tu resteras intransigeante, l’égalité ou rien, d’où une 4ème et dernière édition à Londres en 1934, encore plus belle et réussie que les précédentes, avant que cet élan ne semble un temps faiblir.

Car au milieu des années 30, c’est l’enchaînement des mauvaises nouvelles : la montée du fascisme et l’imminence de la guerre qui truste l’attention publique, tes problèmes de santé que tu caches depuis 1925 et qui t’ont conduite trois fois sur une table d’opération, l’annulation des 5ème Jeux Olympiques féminins prévus en Autriche en 1938... Tout cela précipite ta retraite sportive et administrative et on a pu craindre que, privé de sa locomotive, le sport féminin ne cesse de se développer.

Mais au sortir de la 2ème guerre mondiale, alors que tu coules une retraite anonyme et solitaire dans un immeuble du 12èmearrondissement parisien, et alors que personne ne songe à t’en rendre justice, il faut bien constater que tes efforts ont créé un vrai Momentum. Edition après édition les femmes accèdent à de plus en plus d’épreuves dans les programmes des Jeux Olympiques, symbole d’un sport féminin en plein essor international.

Tu meurs le 18 mai 1957, assistant à ce mouvement inexorable, même si ce n’est symboliquement qu’à Paris, en 2024, que la parité absolue sera atteinte (participantes et épreuves). Un hommage (enfin) digne de ton immense contribution à l’histoire du sport te sera d’ailleurs rendu, lors de la cérémonie d’ouverture, 3 ans après l’inauguration de ta statue dans le hall du Comité National Olympique Français, à côté de… celle du Baron !

Pierre de Coubertin ne te reconnaissait pas, chère Alice, mais son fantôme ne t’oubliera pas !

Portrait rédigé par Thomas Lombardet

Référence : « Alice Milliat, la femme olympique » - Sophie Danger ISBN: 979-10-252-0628-7

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