Agrandissement : Illustration 2
Amna Al-Mufti, 2014-2025, Palestinienne
Chère Amna,
Chez moi à 11 ans, on ne risque pas sa vie pour aller chercher de l'eau potable.
Chez moi à 11 ans, on entre au collège, on se dispute avec ses parents pour avoir un smartphone.
Chez moi à 11 ans, on tombe amoureux pour la première fois, de ces amours dont les adultes se moquent souvent mais qui peuvent être aussi puissants que ceux des grands.
Chez moi à 11 ans, on entame cette transition si difficile de l'enfance vers l'adolescence.
Mais toi chère Amna, tu n'auras rien connu de tout cela.
La barbarie humaine t'a propulsée bien avant l'heure dans le monde des adultes.
Tu étais une survivante, et une vie en sursis.
Je regarde cette photo de ton petit frère Baraa et toi, faisant le V de la victoire. Il est mort lui aussi, tué par une autre frappe israélienne en compagnie de votre mère, à l'âge de 8 ans, le 17 mai 2025. A quelle victoire croyais-tu, chère Amna ? Celle de la vie sur la mort ? Celle de l'amour sur la cruauté ?
Je ne sais pas, et ni moi ni personne ne pourra plus te poser la question.
Tuée par un drone israélien le 21 décembre 2024 en début d'après-midi, ton nom aurait pu rester caché dans l'anonymat de ces 18 500 enfants tués à Gaza depuis bientôt deux ans, et dont le Washington Post a publié la liste. Près de 1000 d'entre eux sont morts avant leur premier anniversaire. Trop jeunes pour marcher, mais pas pour mourir.
Amro al-Attar, 3 ans
Kinda Wahdan, 2 ans
Hadeel Matar, 10 ans
Yahya al-Nahhal, 16 ans
Ahmed al-Zaazou, 4 ans
Yamen Haman,15 ans
Ayloul Qaud, 7 ans
Tahani Hafiz Barbakh, 3 ans
Yaqeen al-Turk, tué avant son premier anniversaire
Rawaa Qasim al-Astal, 5 ans
Mutaz Abu Naim, 14 ans
Izzedin Zino, 8 ans
Omar al-Dahdouh, 11 ans
Rama Abu Eida, 13 ans
Hala Abu Steita, 7 ans
Hamza Abu Zuhair, 1 an
Mahmoud Abu Salmiya, 6 ans
Ibrahim al-Maqousi, 12 ans
Mohammed Salah, 5 ans
Mohammed Atiya, 17 ans
Malik Abu Nasira, 9 ans
Ahmed al-Sweisi, 12 ans
Iman Shaheen, 2 ans
Yousef Hamdan, 6 ans
Muath Abu al-Jedian, 3 ans
Mahmoud Abdel Ghafour, 14 ans
Zaid Abu Shakyan, 12 ans
al-Baraa Aqel, 4 ans
Walid Abu Thuraya, 10 ans
Malak Abu Sahloul, 15 ans
Aseel Ghabain, 2 ans
Sara Qandil, 3 ans
Samir Tamraz, tué avant son premier anniversaire
Mohammed al-Muqayyed, 15 ans
Joud Duhair, 8 ans
Sujoud Taha, 17 ans
Batoul Abd al-Nath, 9 ans
Qatar Abu Mousa, 13 ans
Ahmed Abdel Aal, 15 ans
Ahmed Abu Mailaq, 4 ans
Nabil Salama, 7 ans
Inas al-Qanou, 10 ans
Tuleen al-Aloul, 1 an
Sannd Abu al-Shaer, tué avant son premier anniversaire
Tariq Abu al-Shaer, 5 ans
Majd al-Rifai, 13 ans
Majid Mushtaha, 12 ans
Misk Awad, 3 ans
Ghaith Abu Rayya, tué avant son premier anniversaire
Tasneem Qasim, 17 ans
Ayat Abu Daher, 5 ans
Joan al-Salout, 10 ans
Walid Ziyara, 2 ans
Anas Ashour, tué avant son premier anniversaire
Mohammed Abu Kashef, 17 ans
Maria al-Shrafi, 7 ans
Sham Abu Ajwa, 7 ans
Raneem Abu Mailaq, 16 ans
Maria Asaliya, 2 ans
Fatima al-Bayid, 8 ans
Firas al-Qrinawi, 7 ans
Yazan al-Attar, tué avant son premier anniversaire
Malak al-Ramlawi, 10 ans
Saad Mushtaha, 11 ans
Habiba Awkal, 5 ans
Samira Hijazi, 3 ans
Faris Abu Shar, 13 ans
Naser al-Ghazali, 4 ans
Firyal Abu Jubba, 16 ans
Hala Abu Saada, 14 ans
Mushir Mahmoud, 17 ans
Mohammed Abu Kmeil, 9 ans
Ibrahim Ishaq Abed, 1 an
Jihad Jarghoun, 3 ans
Ahmed Abu Rahma, 12 ans
Nidal Abu Sanjar, 15 ans
Joud Krera, 6 ans
Ikhlas Udwan, 2 ans
Ahmed Ismail, 15 ans
Malik al-Ghoul, 9 ans
Tariq Badwan, 5 ans
Reem Badwan, 3 ans
Mustafa Dalloul, 12 ans
Saba Zarab 8 ans
Rasha Abu Safi, 13 ans
Ahmed al-Sarhi, 4 ans
Houriya Amran, tué avant son premier anniversaire
Rimas Zarab, 8 ans
Sara Marouf, 14 ans
Ahmed Abu Layla, 16 ans
Yousef al-Zaanin, 5 ans
Muammar al-Daya, 11 ans
Tala Abu Ajwa, 10 ans
Dalia al-Jaal, 1 an
Ahmoud al-Jaal, 5 ans
Sham Obeid, 6 ans
Sumaya al-Orouqi, 8 ans
Saad Islim, 13 ans
Mohammed Abu Nasr, tué avant son premier anniversaire
Mutaz Abu Taiba, 14 ans
Ce ne sont que les 100 premiers noms de cette liste de la honte. Il me faudrait plus de 24 heures pour les nommer toutes et tous.
A l'heure où j'écris ces lignes, la famine s’est installée à Gaza et plus de 200 enfants y sont déjà morts de faim. Contrairement aux balles ou aux bombes, la famine ne tue pas d’un coup. Elle tue à petit feu, le corps sacrifiant la vue, l’ouïe et l’odorat pour protéger le cœur et les poumons. La famine est une torture, et cette torture est pensée, planifiée et organisée par un régime génocidaire soutenu par nos gouvernements.
Rien ne justifie ces monstruosités, rien. Il faut que cela cesse.
Comme celui de Hind Rajab, 6 ans, morte le 29 janvier 2025, ton nom, chère Amna, aura au moins un instant échappé à l'oubli. Al Jazeera a obtenu la vidéo de ton assassinat, et l'a diffusée le 17 août 2025. Comment peut-on tuer, en toute conscience, une enfant de 11 ans transportant un bidon d'eau ? Je pense à celui qui a décidé d'appuyer sur le bouton, de quoi voulait-il se venger en décidant de ta mort?
Ou a-t-il simplement suivi les ordres d'une de ces intelligences artificielles massivement utilisées à Gaza ? Leur taux d'erreur est colossal, faute notamment de temps suffisant pour les opérateurs humains de vérifier les consignes de la machine.
Mais peu importe au fond, car IA ou non ce sont des êtres humains qui sont responsables de ta mort et de celle de ces 18 500 enfants. Ce sont des humains qui ont conçu cet abominable programme baptisé "Où est papa ?" pour frapper les terroristes supposés une fois rentrés chez eux, auprès de leur famille.
Pourquoi t’avons-nous infligé cela, chère Amna? Comme tous les enfants du monde, tu voulais juste rire, chanter, apprendre, courir et crier. Tu voulais t'émerveiller chaque instant de la beauté du monde.
Mais tu n'en as pas eu le droit. Nous n'avons pas su te protéger de tes bourreaux. Ta mort et celle de tes milliers de frères et sœurs de souffrance est notre honte, chère Amna.
Pardon pour nos lâchetés, pardon pour nos silences, qui nous rendent complices de tous ces crimes abominables.
Pardon de n'avoir pu t'offrir cette vie à laquelle tu avais droit.
Je ne pourrai jamais te serrer dans mes bras, Amna al-Mufti. Je ne peux plus te faire que cette dérisoire promesse : je ne t'oublierai pas.
Portrait rédigé par Guillaume Dufresne