Artemisia Gentileschi, 1593 – 1653, italienne, artiste peintre
Chère Artemisia,
Tu es née à Rome le 8 juillet 1593, une époque où le succès des femmes dans le monde des arts est très rare. Fille de l'un des peintres les plus connus de l'époque, Orazio Gentileschi, tu fais preuve d’un grand talent dès ton enfance. Ton père t’apprend la peinture près de son atelier, même si, après la mort de ta mère, tu dois aussi te charger de la gestion de la maison familiale. Tu consacres la plupart de ton temps à t’occuper des tâches domestiques et à pratiquer la peinture, sous la vigilance de ta voisine Tuzia, qui s'occupe de toi en l'absence de tes frères et avec qui tu as lié une profonde amitié.
Influencée par l'esthétique caravagesque, tu connais ton premier succès à seulement dix-sept ans, avec ta toile « Suzanne et les vieillards », réalisée en 1610. Ce tableau représente un épisode iconique extrait de la Bible, où une jeune femme, Suzanne, est surprise par deux vieillards alors qu'elle prend son bain. Elle refuse leurs avances, et les vieillards l'accusent alors d'adultère. Tu feras toi-même bientôt la terrible expérience des brutales injustices dont sont si souvent victimes les femmes.
En tant que femme, tu ne peux pas accéder à l'Académie de Saint-Luc, l'école qui forme les peintres les plus célèbres de l'époque. C'est pourquoi ton père, conscient de ton immense talent, décide de te faire poursuivre à tout prix tes études de peinture à la maison. Cependant, en raison de sa réputation de peintre bien établie, il ne pourra pas te consacrer le temps nécessaire pour t'enseigner son art. C'est ainsi qu'au début de l’année 1611, il fait appel à son ami Agostino Tassi, un peintre assez connu à l’époque, pour t'apprendre l’art de la perspective.
Il comprendra bientôt qu'il s'agit d'une grave erreur, car cet homme, de réputation violente et déjà emprisonné pour avoir commis des violences sexuelles sur des femmes, après avoir persuadé Tuzia de s'éloigner de la maison, tente de te séduire et te viole. Cet événement marquera le début d'une grande souffrance qui t'accompagnera toute ta vie.
À l'époque, ne plus être vierge avant le mariage en tant que femme signifie perdre son honneur et sa dignité, et la seule façon de les retrouver est de passer par le mariage. Sous l'insistance de ton père, le violeur propose donc de t’épouser, mais en mentant sur son véritable état civil d'homme déjà marié. L’union entre Tassi et toi devient donc impossible, et Orazio décide alors de porter plainte au tribunal papal, plusieurs mois après le viol. Cette plainte débouche sur un procès très violent, un événement largement documenté et qui deviendra l'une des affaires les plus célèbres de l'époque.
Le 6 mai 1611, tu témoignes sous serment du viol subi par Tassi. Tu l’accuses d'avoir déjà tenté de te séduire avec insistance, en s'aidant de Tuzia. Tassi, de son côté, refuse d’admettre son crime et t'humilie, te qualifiant de fille légère qui aime séduire les hommes. Sa confession est confirmée par Tuzia, ton amie intime, qui te tourne le dos malgré la confiance que tu lui avais accordée.
Tu es soumise à la « tortura della Sibilla », une pratique d’une rare violence qui consiste à te lier une corde autour des doigts et à la serrer pour te forcer à confesser. Malgré la douleur insupportable, tu resteras toujours cohérente avec ta version.
Le verdict du procès confirme finalement la culpabilité de Tassi, qui est condamné à cinq années d’exil de Rome. Néanmoins, grâce à ses relations haut placées, il ne purgera jamais sa peine, tandis que ta réputation est définitivement ruinée. Pour te protéger, ton père te donne en épouse à Pierantonio Stiattesi, et tu déménages à Florence avec lui.
Après le procès, tu peins ton œuvre la plus célèbre, « Judith décapitant Holopherne », qui représente là encore un épisode de la Bible. Pendant le siège de Béthulie par les Assyriens, Judith séduit le général assyrien Holopherne puis l’assassine dans son sommeil pour sauver son peuple. Ce tableau a souvent été interprété comme une évocation du viol que tu as subi. Tu donnes tes traits à Judith, et ceux de ton violeur Tassi à Holopherne. Quant à la femme aux côtés de Judith, qui enfonce avec elle l’épée dans la gorge d’Holopherne, elle représente la solidarité entre femmes, dont tu as tellement manqué avec la trahison de Tuzia.
“Judith décapitant Holopherne”, 1620 , huile sur toile, galerie des offices, Florence
A Florence, tu connais tout de suite un grand succès. Grâce à ton talent, tu es la toute première femme à être admise à l’Académie de dessin. Le Grand-duc Cosme II de Médicis et sa mère, la Grande-duchesse Christine de Lorraine, petite-fille de Catherine de Médicis, sont impressionnés par ton talent. Tu rencontres Galilée, le célèbre physicien, avec lequel tu entretiendras longtemps une correspondance. Cette période de ta vie sera très féconde artistiquement, mais ton mari s’avère être un irresponsable qui dépense excessivement et accumule les dettes. Tu finis par le quitter et par retourner à Rome en 1621.
Tu passeras le reste de ta vie à chercher des commanditaires, d’abord à Rome, puis à Venise, Naples et même à Londres, où ton père travaillait déjà, à la cour du roi Charles Ier. Ton travail sera toujours apprécié, surtout à Naples, où tu te distingues grâce à ta peinture dans la cathédrale de Pouzzoles. C’est dans cette ville que tu resteras jusqu’à ta mort en 1656, à l’âge de 63 ans.
Dans le domaine de la peinture, tu as été l'une des premières femmes à démontrer que le talent n'a pas de genre. Grâce à tes chefs-d'œuvre, tu as réussi à renverser les usages contemporains en étudiant dans les académies les plus renommées et en rencontrant le succès en tant que femme peintre. Tu as su te battre contre de brutales injustices, à une époque qui ne reconnaissait pas de droits aux femmes.
Chère Artemisia, ton talent, ton courage et ton héritage artistique auront marqué l’histoire de la peinture, et jamais je ne t’oublierai.
Portrait rédigé par Elena Pradelli