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Billet de blog 18 décembre 2025

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Chères oubliées: Brunehaut, la badass mérovingienne

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Brunehaut, 547-613, reine des Francs

Chère Brunehaut,

Ton histoire est très méconnue, il faut dire qu’elle ne colle pas trop avec ce roman national qui présente l’histoire de la France au travers d’une succession de grands chefs, de Vercingétorix au général de Gaulle, en passant par Clovis, Louis XIV ou Napoléon Bonaparte. Naturellement écrit par des hommes, ce récit très testostéroné ne fait guère de place aux femmes d’Etat. Ni aux femmes tout court d’ailleurs.

J’avais surtout entendu parler de toi et de tes contemporain·es pour rire de vos prénoms, il est vrai peu usités parmi les chérubin·es du 21ème siècle. Faisons tout de suite la liste des principaux·ales protagonistes de ton histoire :  Athanagilde, Goswinthe, Galswinthe, Chilpéric, Sigebert, Audovère, Childebert, Mérovée, Clotaire et la meilleure pour la fin, Frédégonde. Voilà comme ça c’est fait, tout le monde a rigolé un bon coup et c’est heureux car dans la suite et, comme tu le sais, chère Brunehaut, on ne va plus trop se marrer. Game of Thrones n’a qu’à bien se tenir, voici venir Brunehaut et Frédégonde!

Tu es née vers 547, fille du roi Athanagilde 1er et de la reine Goswinthe, en Espagne wisigothique. Quand on entend wisigoth, on pense aux hordes barbares déferlant sur l’Empire Romain, mais ça c’était à la fin du 4ème siècle. 150 ans plus tard, le royaume Wisigoth est un Etat puissant qui, à son apogée, a occupé l’essentiel de la péninsule ibérique et le sud-ouest de la France.

En 566, Athanagilde propose une alliance à Sigebert 1er, roi d’Austrasie et petit-fils de Clovis (Cloclo pour les intimes). Faisons une petite pause notariale. A la mort d’un souverain mérovingien, son royaume est divisé en parts égales entre ses descendants, masculins naturellement. Le royaume unifié de Clotaire 1er, fils de Clovis, a donc été partagé entre ses quatre fils : l’Austrasie à l’est pour Sigebert donc, avec sa capitale à Reims puis Metz; la Neustrie au nord-ouest pour Chilpéric avec sa capitale à Soissons; la Bourgogne ou royaume d’Orléans pour Gontran; et le royaume de Paris (qui descend jusqu’à l’Aquitaine) pour Caribert. Pas facile de s’y retrouver, j’espère qu’on ta offert une jolie carte et un bel arbre généalogique à ton arrivée dans la famille à Cloclo.

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Car oui, quoi de mieux pour sceller une alliance entre deux royaumes qu’un mariage. Tu épouses donc Sigebert à Metz. De ce mariage naîtront trois enfants, d’abord deux filles, Ingonde et Clodoswinthe, puis un fils baptisé Childebert. Et puisque deux mariages valent mieux qu’un, ta sœur aînée Galswinthe épouse elle Chilpéric, roi de Neustrie.

On ne va pas se mentir, entre les deux frangins, ce n’est pas le grand amour. D’autant qu’au royaume de Neustrie, agit dans l’ombre l’autre grand personnage de cette histoire, ta terrible rivale Frédégonde. Suivante de la première épouse de Chilpéric, Frédégonde est devenue l’amante du roi et a même réussi à faire répudier la reine Audovère. Du coup, lorsque ce même Chilpéric épouse une princesse wisigoth fraîchement débarquée d’Espagne, Frédégonde voit rouge. Commence alors un long travail de sape pour calomnier la nouvelle reine et pousser son mari à se débarrasser d’elle. En 570, peu après la mort de votre père le roi Athanagilde, la pauvre Galswinthe est assassinée, étranglée sur ordre de son propre mari, Chilpéric, à l’âge de 28 ans. Le deuil royal sera pour le moins express, puisque quelques jours à peine après le meurtre de ta sœur, Chilpéric épouse Frédégonde.

Evidemment à Metz, ça ne passe pas. Débute alors une guerre par mari interposé entre la Neustrie et l’Austrasie. Le conflit tourne en faveur de Sigebert (ton mari donc) et Chilpéric doit capituler. Mais le fourbe a plus d’un tour dans son sac. Après sa défaite et alors que Sigebert est en chemin vers Paris pour vous retrouver toi et vos enfants, et se faire couronner roi de Neustrie, il est poignardé à mort par deux sbires de Frédégonde. C’est fou comme ça va vite, Game of Thrones on a dit !

Tu es capturée à Paris et emmenée en captivité à Rouen. Heureusement, tu réussis à exfiltrer ton fils Childebert, qui parvient à regagner l’Austrasie, où il est proclamé roi en 575. Clairement il est un peu jeune pour s’opposer à tonton Chilpéric, puisqu’il­­­­­­­­ n’a que 5 ans. Mais pas de panique, car tu es en train de préparer ton come-back.

Dans ta prison dorée de Rouen, tu rencontres Mérovée, le fils de ton ennemi juré Chilpéric avec sa première femme, Audovère. Ni une ni deux, le voilà séduit, tu l’épouses et il t’aide à t’échapper de Rouen pour regagner l’Austrasie et Metz en 576. Pauvre Mérovée, cette rébellion lui vaudra d’être capturé, ordonné prêtre, puis un an plus tard, en 577, assassiné sur ordre de Frédégonde. Elle n'allait quand même pas laisser passer une si belle occasion de se débarrasser de la descendance du premier mariage de Chilpéric. Les autres enfants d’Audovère, dont le prince Clovis (Cloclo junior pour les intimes) connaîtront le même sort, comme d’ailleurs Audovère elle-même, assassinée en 580.

Te voilà donc veuve pour la deuxième fois, chère Brunehaut, mais c’est en l’occurrence le cadet de tes soucis. Car à Metz, où tu es devenue régente du fait du très jeune âge de ton fils Childebert, les grands seigneurs d’Austrasie ne voient pas d’un très bon œil l’arrivée d’une femme au pouvoir, c’est le moins qu’on puisse dire. Je ne résiste pas au plaisir d’une petite citation, attribuée à un proche d’Aegedius, l’évêque de Reims : “Eloigne-toi de nous, femme... Maintenant, c’est ton fils qui règne. Eloigne-toi, pour que les sabots de nos chevaux ne t’écrasent pas sur leur passage”. Ambiance, ambiance... Mais grâce à ton sens de l’Etat, de la stratégie et de la diplomatie, tu parviens finalement à asseoir ton autorité.

Pendant ce temps-là en Neustrie, Chilpéric est assassiné en 584, sans qu’on sache très bien par qui. Il faut toujours une part de mystère dans les bonnes histoires... Qui sait, tu as peut-être joué un petit rôle là-dedans, chère Brunehaut ? Toujours est-il que Frédégonde se retrouve régente du royaume pour son fils Clotaire, né à peine 4 mois avant la mort de son père. La paix n’est vraiment pas pour demain. Après la guerre par maris interposés, voici la guerre par fils interposés.

De ton côté, tu te retrouves à la tête d’un territoire considérablement élargi, puisqu’à la mort de Gontran, l’oncle de Childebert, mort sans descendance masculine, le royaume de Bourgogne est rattaché à celui d’Austrasie.

En 596, ton fils Childebert meurt empoisonné, sans doute à l’instigation de Frédégonde, à l’âge de 26 ans. On fait décidément rarement de vieux os chez les rois Francs. Son royaume est alors partagé entre tes deux petits-fils, Thibert qui reçoit l’Austrasie, et Thierry qui reçoit la Bourgogne. On sent au passage que quelque chose cloche, car ce Thierry a un prénom beaucoup trop normal ! Comme les deux Titis sont beaucoup trop jeunes pour régner, 12 et 10 ans respectivement, c’est bien sûr toi, Mamie Brunehaut, qui exerce réellement le pouvoir sur les deux royaumes.

Un an plus tard, en 597, c’est au tour de ton éternelle rivale, Frédégonde, de passer l’arme à gauche. Il faut dire qu’à plus de 50 ans elle a déjà largement dépassé l’espérance de vie moyenne de l’époque. Mais que les amateur.ices de Game of Thrones se rassurent, le petit Clotaire, alors âgé de 13 ans, est prêt à reprendre le flambeau sanglant de sa maman.

D’autant qu’en Austrasie et en Bourgogne, on ne peut pas dire que les choses se calment. On commence à comprendre que chez les rois Francs, les frangins préfèrent se faire la guerre plutôt que de jouer au tennis. Thierry et Thibert sont sur un bateau, et c’est Thibert qui tombe à l’eau, vaincu et assassiné en 612. Mais Thierry ne profitera pas longtemps de sa victoire dans la guerre des Titis, puisqu’il meurt à son tour en 613, apparemment de mort naturelle. Oui oui ça arrivait quand même parfois.

Du coup plus de roi ! Et qui dit plus de roi, dit qu’on a besoin de toi, chère Brunehaut. Ça dépasse l’entendement car tu as déjà plus de 65 ans, une vieillarde pour l’époque, mais te voilà régente pour la troisième fois, ce coup-ci pour ton arrière-petit-fils Sigebert II, 12 ans et toutes ses dents.

Mais cette fois, pour les nobles d’Austrasie, la coupe a définitivement débordé. Après t’avoir trahie et afin de se débarrasser de toi une bonne fois pour toutes, ils vous livrent toi et tous tes arrière-petit-fils à Clotaire II, roi de Neustrie et fils de Frédégonde.

On se doute, pauvre Brunehaut, que tu vas passer un sale quart d’heure. Ton supplice va à vrai dire durer beaucoup plus qu’un quart d’heure, car tu es torturée pendant trois jours, livrée en pâture aux soldats de Clotaire. Puis tu es attachée par les cheveux, un bras et une jambe à un cheval lancé ensuite au galop. Ton corps disloqué est enfin brûlé, afin d’aller jusqu’à te priver d’une sépulture chrétienne. Il fallait bien cela pour punir une femme qui avait eu l’audace, pendant près de 40 ans, de contester leur pouvoir aux hommes.

J’ai d’ailleurs été injuste avec les manuels d’histoire, chère Brunehaut. Ceux de la 3eme République faisaient une très belle place à ton supplice. Était-ce pour rappeler aux femmes, à qui elle s’obstinait de refuser le droit de vote, de savoir rester à leur place ? Va savoir…

Après ta mort, Clotaire II se retrouve à la tête d’un Royaume des Francs unifié, qu’il partagera entre ses fils Caribert II et Dagobert Ier, le bon roi de la chanson. Je ne sais pas si cela te consolera de savoir, chère Brunehaut, que le fils de ton tortionnaire a mis sa culotte à l’envers.

Au-delà de cette vie de meurtres et de vengeances en veux-tu en voilà, tu auras aussi été une négociatrice hors pair, y compris à l’échelle internationale, signant des traités et établissant des contacts avec la péninsule italienne et le monde anglo-saxon. Tu auras surtout été une grande femme d’Etat, autrice de nombreuses réformes très importantes dans la structuration des royaumes francs : recensement des ressources des contribuables pour fixer le montant d’un impôt direct, primauté de la justice royale pour mettre fin aux vengeances privées, et aussi le droit pour les femmes de ne pas être mariées contre leur gré.

Une chose est sûre, chère Brunehaut. Le prochain jouvenceau qui me dit que les femmes n’incarnent pas le pouvoir, je l’envoie faire un stage avec Frédégonde et toi. 6 mois avec chacune, ça devrait suffire à lui remettre les idées en place.

Je connaissais Clovis, mais je ne te connaissais pas, Brunehaut. Maintenant si, et je ne t’oublierai pas.

Portrait rédigé par Guillaume Dufresne

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