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Billet de blog 18 décembre 2025

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Chères oubliées: Harriet Tubman, la Moïse noire

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Harriet Tubman, entre 1820 et 1825 – 1913, américaine, militante abolitionniste

Chère Harriet,

Tu es née Araminta Ross, au début des années 1820, dans une plantation de l’Etat du Maryland. Ta mère, Harriet Green, est esclave mais ton père, Ben Ross, est un travailleur affranchi, comme à peu près la moitié de la population noire de l’Etat. Malheureusement pour eux, la liberté n'est pas un droit du sang. Tes parents, qui travaillent dans deux fermes voisines et ne se voient que le dimanche, auront en tout 9 enfants, toutes et tous esclaves donc.

Tes maîtres ne roulant pas sur l’or, ils ont pour habitude de louer une partie de leur cheptel, oui comme du bétail, c’est le terme de l’époque, à d’autres familles de la région. A 6 ans, tu es donc louée pour surveiller un bébé et l’empêcher de pleurer la nuit. Mission impossible bien sûr, et dès qu’il pleure, tu es battue et fouettée. Tu as compris dès ton plus jeune âge, chère Harriet, que l’esclavage était l’antichambre de l’enfer.

A l’adolescence, tu assistes à la fuite d’un esclave, poursuivi par un contremaître. Celui-ci furieux, se saisit d’un poids de plus d’un kilo pour atteindre le fugitif, mais il manque sa cible et le projectile te frappe en plein visage. Non soignée, tu garderas toute ta vie des séquelles de cet accident, victime de fréquentes crises d’épilepsie. Mais tu donneras à ces crises une dimension mystique, les voyant comme des rêves où tu es en communication avec Dieu.

En 1844, tu épouses John Tubman, un esclave affranchi d’une ferme voisine. Quelques années plus tard, en 1849, ton maître décide de te vendre. Plutôt que d’être ainsi séparée de ta famille, tu décides de t’enfuir, accompagnée de deux de tes frères mais sans ton mari qui, fort de son statut d’affranchi, préfère rester dans le Maryland. Tes frères renoncent très vite, mais tu iras jusqu’au bout, après une longue marche de 160 kilomètres effectuée la nuit pour atteindre Philadelphie en Pennsylvanie, où l’esclavage a été aboli.

Tu es aidée dans ta fuite par l’Underground Railroad, un réseau d’évasion d’esclaves mis en place par des quakers blancs du Maryland et des abolitionnistes du Nord du pays. Il n’a rien d’un chemin de fer mais en reprend le vocabulaire : les esclaves en fuite sont des passager·ère·s, les maisons où iels se cachent le jour sont des gares, celui ou celle qui dirige le groupe est un·e conducteur·ice. Entre 1810 et 1860, on estime qu’entre 50 000 et 100 000 esclaves ont retrouvé la liberté grâce à ce réseau.

Mais comment vivre libre quand sa famille et son peuple sont encore asservi·es? Comme Moïse avait guidé le peuple juif hors d’Egypte, tu acceptes la mission divine de mener les Noirs vers la liberté. Désormais prénommée Harriet, en hommage à ta mère, tu effectues entre 1849 et 1859 19 voyages, libérant une grande partie de ta famille et plus de 300 esclaves, sans jamais perdre une seule personne en chemin. Ce sont ces exploits à répétition qui te vaudront le surnom de Moïse noire.

Pour échapper aux chasseurs d’esclave qui se verraient bien toucher la prime offerte pour ta capture, il te faut pourtant plus que le soutien divin, aussi puissant soit-il. Ta panoplie de reine de l’évasion semble sans limite : orientation grâce aux étoiles, connaissance de la nature, art du déguisement, utilisation de spirituals (des chants religieux) à double sens, pour faire passer tes messages. Ton chant préféré, Swing Low Sweet Chariot, oui oui, le même que celui qui fait vibrer les travées de Twickenham lors du tournoi des 6 Nations.

L’évasion des esclaves est d’autant plus compliquée qu’en 1850, le pays vote la loi des esclaves fugitifs, qui autorise les maîtres à venir chercher leur bien jusque dans les Etats abolitionnistes, et punit sévèrement celles et ceux qui aideraient les esclaves dans leur fuite. Qu’à cela ne tienne, l’Underground Railroad étendra ses voies d’humanité et de fraternité jusqu’au Canada.

Le 12 avril 1861 éclate la guerre de Sécession, qui opposera pendant quatre ans les Etats de l’Union (les abolitionnistes du Nord et cinq Etats frontaliers pratiquant l’esclavage, dont ton Maryland de naissance) et les Etats confédérés esclavagistes du Sud. D’abord engagée comme infirmière, tu mets ensuite tes talents d’espionne au service de l’Armée de l’Union. Tu es placée à la tête d’un groupe d’éclaireur·euses effectuant des missions de reconnaissance en terrain ennemi. Ton plus grand exploit a lieu dans la nuit du 1er au 2 juin 1863. Tu guides trois bateaux militaires, lancés dans un raid contre des plantations esclavagistes, sur les eaux truffées de mines de la rivière Combahee, en Caroline du Sud. Lors de l’assaut final, tu prends toi-même la tête d’un groupe de 150 soldats noirs. L’opération est un succès retentissant, permettant la libération de plus de 700 esclaves. Un exploit qui te vaudra finalement bien peu de reconnaissance, tu devras en effet attendre plus de 30 ans avant de toucher enfin une pension militaire.

Une fois la guerre terminée, l’esclavage est définitivement aboli dans tout le pays, grâce à l’entrée en vigueur du 13ème amendement de la Constitution des Etats-Unis d’Amérique, le 18 décembre 1865. Mais tu l’as bien compris, chère Harriet, le combat pour l’égalité des femmes, et des femmes noires en particulier, ne fait lui que commencer. Infatigable militante pour le droit de vote des femmes, tu consacreras aussi une partie de tes maigres ressources à l’édification d’une grande maison pour les Afro-Américain·es âgé·es et malades. Tu y finiras toi-même tes jours, emportée par une pneumonie le 10 mars 1913, à près de 90 ans, un mois après la naissance d’une certaine Rosa Parks.

En 2016, plus de 100 ans après ta mort et à la suite d’une campagne pour la présence de femmes sur les billets de banque américains, l’administration Obama annonce que tu figureras sur le billet de 20$, en lieu et place de l’ancien président Andrew Jackson. Joli symbole que de remplacer le visage d’un esclavagiste, par ailleurs auteur de l’Indian Removal Act qui avait entraîné en 1860 la déportation de dizaines de milliers d’Amérindiens, par celui de la première féministe Afro-Américaine. Mais le projet est reporté sine die par l’administration Trump, qui avait, je cite, “des sujets bien plus importants sur lesquels travailler”. Ben voyons... En tout cas moi, chère Harriet, je n’avais rien de plus important à faire que de raconter ton histoire.

Je connaissais Martin Luther King mais je ne te connaissais pas, Harriet Tubman. Maintenant si, et je ne t’oublierai pas.

Portrait rédigé par Guillaume Dufresne

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