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Billet de blog 18 décembre 2025

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Chères oubliées: Irena Sendler, l'héroïne des enfants du ghetto de Varsovie

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Illustration 1

Irena Sendler, 1910 – 2008, polonaise, résistante

Chère Irena,

Tu es née à Varsovie, le 15 février 1910. Ton père, médecin et membre du Parti socialiste polonais, soigne essentiellement les pauvres et les paysans juifs. Il a dans l’âme cette noblesse des soignants, qui guérissent sans se soucier de religion, de couleur de peau ou de nationalité. Un combat qui est encore d’actualité aujourd’hui Irena, je suis désolé de te le dire. Ce père que tu adores, tu vas pourtant le perdre toute jeune, quelques jours avant ton septième anniversaire. Il est emporté par une épidémie de typhus qu’il aura affrontée avec courage. Mais son héritage ne te quittera jamais, comme la langue yiddish que tu as apprises avec tes camarades de jeux.

Tu te rêvais avocate Irena, mais comme te le répètent la plupart de tes professeurs à l’université de Varsovie, où tu es entrée en 1927, le droit ce n’est pas pour les filles. Alors de guerre lasse, tu te réorientes vers des études littéraires et décide finalement de devenir assistante sociale. A l’université, tu milites avec d’autres étudiants pour l’égalité entre les Polonais catholiques et juifs, ces derniers  étant victimes, depuis des siècles, d’un véritable système d’apartheid. Quand certains étudiants veulent obliger leurs camarades juifs à s’asseoir dans une partie séparée de la salle de classe, toi et tes ami.es vous levez, au propre comme au figuré: c’est debout que vous assisterez aux cours.

Les années passent et la haine, doucement, se répand partout en Europe. En septembre 1939, Hitler envahit et occupe la Pologne. Sans hésitation, tu rejoins la résistance polonaise pour te lever contre les mesures ignobles mises en place par les nazis et dont les Juifs, encore une fois, sont les premières victimes. Avec tes ami.es de l’université, tu lances un réseau clandestin qui falsifie des dossiers pour permettre aux Juifs de bénéficier de l’aide sociale dont ils sont normalement privés.

Mais en octobre 1940, tout s’accélère. Les nazis lancent la construction du ghetto de Varsovie et le 16 novembre, les portes en sont fermées, concentrant 450 000 personnes, soit un tiers de la population de Varsovie, dans une surface d’à peine 300 hectares. C’est 80 hectares de moins que la ville de Suresnes où j’habite, comme seulement 48 000 personnes. Mais ce n’est pas un mur qui va t’arrêter, chère Irena. Au péril de votre vie, toi et tes ami.es assurent la liaison avec l’extérieur, faisant entrer clandestinement nourriture, vaccins et argent pour atténuer un peu les terribles souffrances des habitant.es du ghetto.

En 1942, le bruit se répand que les nazis préparent la déportation des Juifs. Il n’y a plus de temps à perdre, et dès lors tu n’auras plus qu’une obsession, sauver les enfants du ghetto. Toi et tes ami.es rivalisez de courage et d’ingéniosité pour en faire sortir le plus possible, cachés dans des ambulances, des tramways ou même des boîtes en bois. La plupart des enfants sont recueillis par des familles et des institutions chrétiennes. Mais dans l’espoir de permettre à leurs parents de les retrouver un jour, tu dresses la liste de ces enfants sur des feuilles de papier à cigarette que tu caches précieusement. Ce sont plus de 2500 enfants que tu arracheras ainsi à une mort certaine.

En juillet 1942, les nazis lancent leur “Grande Action” la déportation massive des juifs du ghetto vers le camp de Treblinka. Quelques mois plus tard, en septembre, ils ne seront plus que 60 000 à survivre dans le ghetto. Quand une nouvelle “Action” est annoncée, en avril 1943, la résistance du ghetto se lance dans un soulèvement désespéré.  Malgré leur faible nombre et un armement dérisoire, ils tiendront tête pendant près d’un mois à l’armée nazie. Cet acte de bravoure insensé coûtera la vie à nombre de tes ami.es résistant.es, mais pas à Adam, ton amour de jeunesse, que tu finiras par épouser après la fin de la guerre.

Arrêtée en octobre 1943, tu connaîtras la torture, tes jambes et tes pieds brisés te laisseront infirme à vie. C’est par miracle et grâce à un gardien soudoyé que tu réussiras à t’échapper de ta prison en janvier 1944 et à vivre dans la clandestinité jusqu’à la fin de la guerre.

Tu ne retrouveras jamais ta précieuse liste, cachée au pied d’un pommier dans le jardin d’une maison détruite pendant l’insurrection de Varsovie en août 1944.

Comme beaucoup d’autres Justes, tu ne t’es jamais glorifiée de ces milliers de vie sauvées. Au contraire, tu te blâmais souvent de ne pas en avoir fait assez, pleurant toutes celles et ceux que tu n’avais pas sauvé.es. Et tu te mettais même en colère lorsqu’on te traitait en héroïne. Ne te fâche pas Irena, tu n’es donc pas une héroïne, mais entends tout de même, seize ans après ta mort, mon immense admiration.

Je connaissais la liste de Schindler, mais je ne connaissais pas ta liste, Irena Sendler. Maintenant si, et je ne l’oublierai pas.

Portrait rédigé par Guillaume Dufresne

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