Derrière la santé mentale des jeunes, une « santé sociale » délabrée
La santé mentale des jeunes revêt trop souvent une approche exclusivement médicale, pourtant la souffrance psychique des jeunes cache une précarité grandissante, des difficultés éducatives, des violences sexuelles et physiques pour lesquelles le gouvernement n'entend pas allouer des moyens suffisants. Oubliées, les assistantes sociales sont en première ligne pour recueillir la parole des enfants.
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En France, on compte 12 millions d’élèves aujourd’hui. Parmi eux, les chiffres parlent d’eux mêmes :
3 enfants par classe sont victimes de harcèlement (Education Nationale)
3 enfants par classe victimes de violences sexuelles (CIVIISE 2023)
1 enfant meurt tous les 5 jours de violences intrafamiliales (Igas 2019)
3000 enfants dorment dans la rue (baromètre de l'Unicef et de la Fédération des acteurs de la solidarité oct 2023)
3 millions d’enfants vivent sous le seuil de pauvreté (Insee 2018)
400 000 enfants sont témoins de violences intrafamiliales (rapport du Haut Conseil à l’égalité des femmes et des hommes - 2019)
1ère cause de mortalité chez les 15/30 ans : le suicide
Dès lors, il est important de revenir sur l’importance du service social scolaire et son rôle primordial pour le bien être des jeunes.
Ces dix dernières années ont été le théâtre d’un délitement de la cellule familiale, d’une paupérisation de la population, de l’accroissement des difficultés de logement… Plus récemment, la crise sanitaire et la mise en lumière des situations d’inceste et de violences intra-familiales ont renforcé un sentiment, déjà important, de mal-être global dans notre société.
Ces constats se retrouvent dans la jeunesse d’aujourd’hui et sont repris par nos dirigeants qui souhaitent faire de la santé mentale des jeunes et de la protection de l’enfance des priorités nationales.
L’école est le miroir de notre société. La question sociale se rejoue au quotidien dans les salles de classe et les cours de récréation.
Sur le terrain, le constat est sans appel : la jeunesse va mal. Nous observons très souvent des jeunes en échec scolaire, en situation de décrochage ou d’absentéisme, des jeunes adoptant un comportement inadapté en classe, des jeunes harcelés, des jeunes repliés sur eux-mêmes. Leur santé mentale est de fait dégradée. Mais ce sont avant tout des jeunes pris dans les enjeux de multiples difficultés personnelles.
Or nous ne pouvons que déplorer la difficulté des acteurs sociaux à soutenir et accompagner ces jeunes qui ont de plus en plus de mal à trouver leur place. Le service social scolaire, en première ligne pour intervenir auprès des élèves et étudiants en difficulté, œuvre quotidiennement à la réussite scolaire et éducative des futurs citoyens de demain. Ses missions font écho aux politiques sociales visées par notre premier ministre dans son discours de politique générale. Malheureusement, les professionnelles n’ont pas le moyens de répondre à l’immensité des besoins au regard du peu d’établissements scolaires qu’elles sont en capacité de couvrir. Ceci impose des jeunes laissés en marge, ni repérés ni aidés.
La santé mentale des jeunes, mais de quoi parle-t-on exactement ?
Que signifie ce mal être ? Où prend t-il racine ? Dans quel contexte évolue t-il ?
L’enfant qui voit ses parents se déchirer ou s’insulter ne va pas bien. L’enfant qui subit des humiliations, des exigences disproportionnées ne va pas bien. L’enfant qui prend des coups, subit des moqueries ne va pas bien. L’enfant qui a quitté son pays dans un contexte traumatique ne va pas bien. L’enfant qui se sent délaissé par des parents trop occupés, qui vit une séparation de ses parents compliquée, voit son père s’alcooliser ne va pas bien. L’enfant qui a subi des violences sexuelles ne va pas bien.
Aux prémices de leur vie, ils ont tout à construire et en premier lieu leur confiance en eux. Si nous ne sommes pas attentifs à ces indicateurs extérieurs, nous oublions l’essentiel, leur quotidien. Ce sont les futurs adultes que nous aidons à grandir : les futurs parents, médecins, boulangers, maçons, enseignants et représentants politiques. Des citoyens en devenir dont nous devons prendre soin.
Si, dans les représentations, le mal être des jeunes appelle une réponse médicale, la question est plus complexe. L’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) ainsi que la HAS (Haute Autorité de la Santé) plaident ainsi pour l’abandon des approches médicales exclusives au profit d’approches plus globales et environnementales. Les facteurs de risque étant nombreux, il est indispensable de favoriser la complémentarité des acteurs sociaux, médicaux et thérapeutiques autour de l'enfant. Il s’agit aussi d’éviter les médications trop systématiques. En 7 ans, la hausse de la consommation de psychotropes chez les mineurs a été de 155,5% pour les hypnotiques, 62,5% pour les antidépresseurs, 78% pour les psychostimulants et 48,5% pour les antipsychotiques. Soit 2 à 20 fois plus que la population générale ! (rapport 2021 du Haut Conseil de la Famille, de l’Enfance et de l’Age) “Cette pratique fait craindre un risque de substitution des aides psychothérapeuthiques éducatives et sociales recommandées en première intention, par des pratiques médicamenteuses.” cite le rapport.
Panser les blessures de vie
L’assistante sociale tient un rôle primordial dans la prise en charge des jeunes. Dans son bureau, tous les sujets sont abordés : sexualité, relations amicales, précarité, conflits avec les parents, envies suicidaires, et rêves d’enfants.
Attentive à leurs préoccupations, elle participe à leur dignité, à les reconnaître comme individus ou comme victimes. Elle apporte ce regard spécifique qui va porter leur parole d’enfant. Elle a un rôle central de prévention, un rôle éducatif déterminant. Professionnelle de l’écoute, elle aide le jeune à identifier ses émotions et ses besoins. Formée à l’approche systémique, elle accueille ses propos, analyse ce qui dysfonctionne et repère les leviers possibles.
L’objectif est de préserver la sécurité affective du jeune mais aussi ses relations familiales. Elle accompagne les parents dans la compréhension des enjeux de leur situation. Lorsque celle-ci, trop dégradée, met en danger l’enfant, elle contribue à déclencher des mesures de protection en alertant les autorités.
“Nous sommes un sas de confiance, de confidences et de protection.”
L’assistante sociale a aussi un rôle central de prévention qui se traduit par des actions de sensibilisation collectives sur des thématiques variées (les violences, le harcèlement, les addictions aux écrans, les conduites à risque, les relations filles/garçons…).
Enfin, à l’heure où les agressions à l’égard des enseignants sont en augmentation, les assistantes sociales sont en première ligne pour canaliser les émotions. Elles sont présentes tant pour les élèves que pour les personnels, tel un sas de décompression permettant de contenir les débordements.
La jeunesse est en souffrance et il est de la responsabilité de notre société de lui permettre de grandir dans de bonnes conditions. Cela implique une offre de prise en charge qui se doit d’être à la hauteur de ce que les jeunes méritent et de ce que nous espérons pour eux.
Le rôle des assistantes sociales dans leur contribution à la santé mentale des jeunes est bien souvent oublié. La santé sociale et la santé mentale vont pourtant de pair.
La prise en charge thérapeutique est complémentaire mais ne peut remplacer le travail de proximité apporté par le service social, expert de la protection de l’enfance. Tout ce travail de fourmis est essentiel dans le processus de restauration du jeune.
Ce travail d'accompagnement est mené d’arrache pied, pourtant ses conditions de mise en œuvre sont moins réjouissantes. Ces travailleuses de l’ombre sont épuisées et se sentent méprisées. Elles sont en sous effectifs criants et gèrent parfois jusqu’à 5 établissements. Dans les écoles primaires et maternelles, là où les enfants sont les plus vulnérables, elles sont quasi inexistantes et n’interviennent le plus souvent que par des conseils téléphoniques auprès des équipes de direction.
A l’heure où les politiques évoquent tous leurs champs d’intervention comme des priorités, elles ne sont jamais citées et se sentent totalement inexistantes.
Depuis le discours de politique générale de Monsieur Attal, annonçant des revalorisations salariales pour récompenser l'investissement de leurs collègues infirmières scolaires dans la santé mentale des jeunes, la colère monte. L’absence de mention des assistantes sociales est vécue comme un silence assourdissant. Investies quotidiennement dans leurs multiples missions aux responsabilités délicates, elles sont seulement 2800 pour 12 millions d’élèves en collèges et lycées et 400 pour 3 millions d'étudiants.
LA PLUPART DE CES JEUNES N’AURONT JAMAIS LA CHANCE DE RENCONTRER UNE ASSISTANTE SOCIALE.
Le service social scolaire ne peut se satisfaire de n’intervenir que dans l’urgence et de passer à côté d’un grand nombre de situations dramatiques, alors que son rôle est si crucial en termes de prévention.
Malgré tout l’engagement des professionnelles, l’ambition de protéger les enfants et les jeunes de l’inceste, du harcèlement, de la maltraitance ne peut se faire que part des renforts massifs de postes et des revalorisations salariales significatives. Le Conseil National de la Protection de l’Enfance appelle à la mise en œuvre d’un plan Marshall face aux 30 000 postes de travailleurs sociaux vacants, appuyé par une refonte des politiques publiques et un effort financier massif et durable.
Le président du Haut conseil du Travail Social a rendu son livre blanc à la Ministre des Solidarités et au Ministre du travail le 5 décembre 2023. Il met l’accent sur la prévention, les conditions de travail et la nécessaire revalorisation des salaires du secteur social.
Le métier d’assistante sociale scolaire est en crise d’attractivité. Leurs grilles salariales sont bien en deçà de toutes les autres catégories A de la fonction publique. Cette situation crée un véritable malaise parmi celles qui doivent précisément prendre en charge le malaise de notre jeunesse.
Les assistantes sociales de l’Education Nationale et de l’Enseignement supérieur se mobilisent le 22 mars 2024 à Paris pour dénoncer leurs conditions de travail, demander des renforts de postes massifs et faire valoir une nécessaire revalorisation salariale.
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