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Billet de blog 7 novembre 2025

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La gloire du désastre — ou comment la République se dissout dans ses euphémismes

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Tout va bien. La France va mal, donc elle se porte à merveille.

À Sainte-Soline, des manifestants désarmés, des blessés graves, des vidéos de CRS tirant à hauteur d’homme. « Vous avez des milliers de gens qui étaient simplement venus pour faire la guerre », déclare le président.
Le sang coule, mais c’est le peuple qui est coupable. La violence d’État ? Une « restauration de l’ordre ». Les victimes ? Des « ennemis de la République ».
Quand les faits accusent, le pouvoir inverse les rôles. Ce n’est pas une bavure, c’est une « bataille nécessaire ». La République tire, puis s’applaudit.

L’État croule sous la dette, donc il « protège mieux ». Les Français n’arrivent plus à remplir leur frigo ? Ils « participent à la sobriété ». Les hôpitaux s’effondrent ? Ils « se réinventent ». Les enseignants s’enfuient ? L’école « se transforme ». Les chômeurs se désespèrent ? « Traversez la rue. »
Et si la pauvreté explose, c’est qu’on a mis « un pognon de dingue dans les minima sociaux ».
Pas le bon pognon, évidemment : celui-là coule à flot chez McKinsey, dans les cabinets de conseil, les exonérations fiscales et les contrats sans appel d’offres. Le vrai « pognon de dingue » est celui qui ruisselle vers le sommet, sous le vernis de l’efficacité.

Ainsi se construit le miracle macronien : tout échec devient victoire, toute injustice progrès, toute fracture réforme. « Le chemin démocratique » du 49.3 n’est pas une contrainte, c’est une marche triomphale. « L’acte de confiance » d’une dissolution est un chef-d’œuvre de lucidité.
Les « réformes courageuses » qui appauvrissent deviennent preuves d’audace. Et quand les électeurs sanctionnent, c’est « un temps de clarification ».
Le réel se dissout dans la formule ; la politique devient une alchimie lexicale où le plomb des faits se change en or verbal.

Mais sous les mots, la République se vide. L’Élysée dépense sans compter, la Cour des comptes soupire, et les Français, eux, n’ont pas le budget du palais pour vivre.
On leur parle d’effort pendant que l’État distribue des milliards à ses partenaires privés. On célèbre la « rigueur » pour les faibles et la « compétitivité » pour les puissants.
On justifie la pénurie par la responsabilité, la pauvreté par la dignité, la dette par la protection.
Ce n’est plus un gouvernement : c’est un théâtre d’inversions.

L’impunité, elle, règne tranquille.
L’affaire McKinsey ? « Aucun contrat secret. »
Les perquisitions ? « Des vérifications normales. »
Les conseils payés par millions ? « Une pratique de tous les gouvernements. »
La prévarication devient modernité, la collusion compétence.
Et puisque rien n’est jugé, tout est permis.
On réécrit la faute en innovation, le conflit d’intérêt en partenariat public-privé.
Le pouvoir ne répond plus de ses actes : il les commente.

Pendant ce temps, la presse, domestiquée par les fortunes qu’elle devrait interroger, relaie la liturgie officielle.
La concentration médiatique est une « diversité d’opinions ».
Les plateaux tournent, les chroniqueurs recyclent, et la critique devient posture.
Le citoyen, lui, n’entend plus la dissonance : elle a été rachetée.
Dans ce silence feutré, la fatigue sociale grandit, l’indifférence devient réflexe.
On ne débat plus, on soupire.

Le pacte républicain s’effrite, trahi par ceux qui prétendent l’incarner.
L’égalité devient variable, la fraternité optionnelle, la responsabilité effacée.

Les gouvernements se forment au gré des arithmétiques, offerts à des petits partis qui tiennent plus de parts que d’idées.

On nomme cela « ouverture », mais c’est l’achat du silence.

La gauche, elle, a été dépossédée : on lui a volé ses mots, ses combats, son électorat.

Le progressisme s’est travesti en gestion comptable, la solidarité en slogan d’ajustement.

Et parce que tout est communication, l’extrême droite n’a plus qu’à copier le ton.

Elle reprendra les mêmes procédés : travestir, inverser, euphémiser.

Là où Macron blanchit l’échec en réussite, elle blanchira la haine en « préférence nationale ».

Elle dira « protéger » pour exclure, « clarifier » pour trier, « responsabiliser » pour punir.

Le lit est fait, le langage est prêt, il suffira de l’habiter.

Cette France du retournement permanent n’est pas autoritaire par décret ; elle l’est par habitude.

Elle ne frappe pas, elle endort.

Elle n’interdit pas, elle étouffe.

Elle ne ment pas, elle renomme.

Sous le poids des mots justes mal employés, la République devient une scène où tout s’inverse : la misère s’appelle réforme, la résignation progrès, l’impunité exemplarité.

Et pendant qu’on nous explique que tout va bien, c’est le sens même du mot « bien » qui disparaît.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.