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Billet de blog 5 mars 2024

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Les hommes de pouvoir

Le pouvoir n'est pas toujours, loin de là, lié à la notoriété. Sans doute est-ce même le contraire : les gesticulations des gouvernants actuels sont un faux nez, car ils ne détiennent pas réellement le pouvoir. C'est dans l'ombre que se prennent la grandes décision, n'en déplaise aux vaniteux qui pensent présider à nos destinées.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

J’aime à raconter cette histoire, véridique, qui m’est arrivée il y a plusieurs années. Le jeune naïf (mais l’était-il vraiment ?), on m’y reconnaît facilement. Le directeur, encore en fonction, ne doit bien entendu pas être identifié …

Or, donc, dans un certain ministère de la république, il y a maintenant presque dix années, atterrit sur le bureau d'un haut fonctionnaire un dossier étrange : le subalterne propose, en réponse à une question maintes fois évoquée, d'utiliser les ressources du service auquel il appartient pour cartographier les mille hommes les plus puissants de la planète. Intrigué par l'incongruité, le directeur en question convoque son collaborateur et lui demande d'exposer son idée.

- « C'est simple, Monsieur le Directeur », répond l'impertinent. « Alors que nous sommes sans cesse en quête d'une science qui nous désignerait les détenteurs d'influence, pourquoi ne pas en construire une liste ? »

- « Mais, jeune étourdi », coupe le chef, « nous savons bien qui est puissant, ici bas ».

- « Puis-je objecter ? », s'aventure le fougueux. « Nous croyons savoir, mais certains d'entre eux, je parle des hommes vraiment puissants, sont bien contents de savoir que nous ne savons pas qu'ils savent ».

Devant la stupeur du patron, le candide s'enhardit :

- « Les politiques, les industriels, certes. Nous devinons aussi les hommes de réseaux, les francs-maçons ... Chaque journal suffisamment médiocre inscrit régulièrement ce type de thème à son éditorial, et en sort un article édifiant de nullité. Mais avons-nous bien mesuré l'entregents des leaders religieux, des chefs de cartels ou de mafia, des hauts gradés militaires, des magistrats, des intellectuels, des riches, des journalistes ? Avons-nous dessiné le jeu d'acteurs de tous ces puissants que nous devinons, mais que nous ne disséquons pas ? Les hiérarchies présupposées, le classement trop évident, seraient-ils les mêmes après que nous en ayons éprouvé l’authenticité ? »

L'étonnement du Directeur grandit :

- « Mais ... c'est très dangereux de faire des recherches sur des gens aussi puissants ».

- « C'est pour cela qu'ils sont puissants. Les vrais influents sont les secrets, ceux qui parlent dans l'ombre, à travers le rideau, au monarque qui en apparence décide. L'obscur conseiller, lui, a le temps d'échafauder ses stratégies de pouvoir, pendant que le supposé détenteur de la force consacre son temps aux obligations médiatiques de la notoriété. »

Depuis, il paraît que le jeune ambitieux a refusé de briguer les postes les plus convoités, les must de la puissance. Il s’est replié modestement sur les postes de conseiller, ces fonctions pas très importantes occupés par des types que l’on ne voit jamais à la télé, toujours dans l’entourage de leur patron, absorbés, eux, par leur grandeur, leur « surface médiatique ». Être émerveillé de soi-même, c'est un travail à plein temps. 

Sans doute le jeune collaborateur aura-t-il raté sa carrière, car on n'entend plus parler de lui …

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