En guise d’introduction je vous propose d’expliquer le sens que je donne au titre de cet article. Si vous y voyez un aspect religieux vous faîtes fausse route car ce n’était pas mon intention qui relève davantage ici d’une opportunité pour jouer avec les mots.
En effet, nous sommes actuellement en présence d’un gouvernement démissionnaire qui s’éternise et d’une crise politique dont l’issue est incertaine au point que les futurs membres du prochain gouvernement devront avoir des compétences de missionnaires dans le sens où ils devront faire preuve d’écoute efficace, de qualité de communication et de persévérance pour reconquérir la confiance des électeurs d’une part et d’autre part pour obtenir la confiance et l’appui d’une partie suffisante de l’assemblée nationale pour pouvoir concrétiser des actions permettant une réconciliation avec les citoyens. C’est cette approche qui est sous-entendue dans le sous-titre de cet article, à savoir quelle entrée et quelle finalité permettront le mieux la sortie de crise ?
Retour sur les résultats de l’élection :
Sans rentrer dans le détail qui a déjà été très commenté et pour faire court on peut admettre l’idée que les 3 pôles qui en sont ressortis correspondent à trois projets de sociétés distincts :
- du côté des sortants et assimilés qui regroupe le centre et une partie de la droite, les électeurs apportent la leçon d’un désaveux franc de la politique subie (voir illustration ci-dessous) qui s’est concrétisé par un score en nette progression pour le programme du Nouveau Front Populaire (146 sièges2) par rapport à celui de l’élection précédente3 (131 sièges) et par un score très important du RN lors du premier tour,

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- du côté du RN le score très élevé du premier tour nous ramène à nous interroger sur le profil des électeurs4 qui se sont tournés vers l’extrême-droite. On peut aussi penser qu’il y a une part importante de votes contestataires de manifestation d’un désaccord et d’une colère par rapport au pouvoir en place et de la politique qu'il a conduit ainsi que d’un manque de crédibilité ressenti par rapport au programme de la gauche5. L’efficacité du vote barrage aurait à priori été bien moindre si le parti bénéficiait d’une adhésion massive et franche à son programme.
- Du côté de la gauche et des écologistes rassemblés dans le Nouveau Front Populaire, on constate que le rassemblement tant sollicité par les électeurs a eu un effet positif sur les résultats obtenus qui sont en très nette progression par rapport à l’échéance précédente de 2022, cette adhésion est aussi à priori liée au fait que le programme répond à des attentes fortes de terrain, ce qui redonne confiance à des électeurs qui sont en forte attente de changement.
Choix d’un premier ministre difficile : des entrées de nature différente :
Du côté des sortants, l’entrée choisie est libérale et est nocive pour deux raisons, d’une part, elle ne sert, même si elle semble parfois dire contraire dans le discours, qu’à poursuivre la politique qui a été largement rejetée par les électeurs d’une part et d’autre part la finalité qui est sous-entendue dans programme discrédite toute solution de réponse aux attentes des citoyens les plus oubliés ; pour ne donner qu’un exemple, comment peut-on penser qu’on va pouvoir sauver les services publics en ne mettant pas à contribution des revenus actuellement plutôt épargnés, en baissant les contributions sociales (que les libéraux considèrent comme des charges) tout en réalisant des économies ? Ce triple paradoxe mène à l’impasse et de ce fait il conduira à écœurer encore un peu plus ceux qui en souffrent et affaiblira, si c’est encore possible, la confiance des électeur dans les institutions démocratiques.
Du côté de la gauche écologiste rassemblée dans le Nouveau Front Populaire, on constate au contraire que le programme a été construit pour apporter des réponses concrètes aux attentes des citoyens et qu’il s’est traduit en actions à mettre en place dont un financement a été prévu6. Certes le programme est très critiqué par les sortants et cela se comprend puisqu’il se place en volte-face par rapport au projet de société des libéraux, mais le fait que le programme a été jugé pertinent par plus de 300 économistes7 est une garantie de crédibilité certaine.
Une société à la croisée des chemins :
La société fracturée dans laquelle nous sommes est arrivée à une croisée de chemins où l’impératif urgent est le choix du modèle que nous souhaitons privilégier pour envisager notre avenir. Cette croisée des chemins est l’aboutissement d’un parcours dominé par une politique libérale qui affiche aussi ses travers et ses limites tout comme le manque de prise en compte du facteur humain.
On assiste à une fracture avec d’un côté les tenants du libéralisme qui campent sur le cap de la poursuite avec ce modèle malgré tous les ravages qu’il a créés et qu’il continue de créer dans notre société et de l’autre côté la gauche sociale, solidaire, humaniste et donc forcément écologiste qui vise à un changement radical dans le but de recréer les conditions du vivre ensemble en redonnant à chacun une place honorable dans la société.
Puis, il y a la troisième voie, celle de l’extrême droite, appuyée et managée par ceux qui rêvent d’un pouvoir autoritaire, sans partage, dirigiste et sans concessions, qui entraîne dans son sillage une partie des électeurs désabusés, frustrés de n’être pas entendus depuis trop longtemps et qui ont le sentiment d’être écoutés par une formation politique qui surfe sur les sentiments d’injustice ressentis, les souffrances qu’elle met en lumière sans apporter des solutions crédibles et pertinentes pour les résoudre. Une formation politique qui se nourrit des peurs qu’elle sait entretenir et même générer. Avec un discours politique qui trouve des boucs émissaires, qui génère de la haine tout en évitant d’afficher les vraies causes des problèmes et sans proposer de solutions pertinentes pour résoudre les difficultés.
Quelle entrée faut-il privilégier ?
Tout d’abord, pour faciliter la compréhension de mon propos, je tiens à préciser ici que si je n’évoque que deux pistes c’est tout à fait volontaire et lié au fait que de mon point de vue la question d’une issue positive de la crise exige que l’on se place dans une perspective de démocratie. Ceci écarte donc d’office la piste extrême de ceux qui proposent une politique autoritaire sans partage, liberticide... donc à l’opposé de la démocratie.
À ce niveau c’est la finalité visée qui est déterminante des chances de sortie de crise. Dans les faits il est clair que la finalité des sortants est de se maintenir « quoi qu’il en coûte » pour poursuivre une politique libérale pourtant contestée. Une politique basée sur la compétition, sur la concurrence, la réussite personnelle, celle qui ne reconnaît que ce qu’elle appelle l’excellence. Celle qui sait se montrer intolérante, celle qui pour arriver à ses fins est capable d'utiliser la violence, celle qui considère que les efforts de solidarité sont en fait des charges à faire baisser et qui d’ailleurs l’ont clairement inscrit dans leur programme. La politique de ceux qui, pensant qu’eux seuls détiennent la vérité, ne savent (veulent) envisager qu’un rassemblement autour du modèle qu’ils proposent sur la base d'un « appel au compromis »… Ceux qui prétendent rassembler le pays en continuant leur œuvre de division et de diabolisation de l’opposition.
Pour sortir de cette logique qui s’avère être une impasse pour ceux qui ne s’y retrouvent plus dans ce modèle de société individualiste et centralisé, il reste une autre issue, celle qui consiste à rompre avec ce modèle purement libéral et à remettre au cœur du projet de société l’humain, celle qui considère que les choix économiques doivent servir les intérêts des humains et non l’inverse, celle qui fait le choix de remettre en état les services publics seuls garants de ne laisser personne au bord de la route, celle qui fait le choix de mettre l’écologie au cœur des décisions sachant que la vie humaine en dépend totalement...
Le cadre étant posé, on peut commencer à formuler quelques hypothèses qui seront bien sûr à confirmer, ajuster ou/et compléter avec l’évolution qui sera choisie.
Dans l’hypothèse une, à savoir la mise en place d’un gouvernement dont la cap sera de poursuivre la politique déjà en vigueur, tout laisse à penser qu’elle conduira au même résultat que celui qu’on a connu à savoir une impasse plaçant l’extrême droite dans une position très favorable lors des échéances électorales de 2027. Cette évolution n’a aucune raison d’apporter des solutions plausibles pour les gens qu’elle a laissés sur le bord de la route depuis 2017 et tout laisse même à penser que la situation s’empirera encore. L’appel au compromis ne parviendra pas à rallier suffisamment des personnalités de la gauche incarnée par le NFP, car si cela se produisait le compromis pourrait vite se transformer en compromission et être vécu comme une nouvelle trahison par les électeurs.
Dans la seconde hypothèse, il sera difficile certainement de mettre en place le programme du NFP8 tel qu’il est formulé même si c’est pourtant une nécessité indispensable pour renouer avec la confiance des citoyens qui se sentent oubliés et qui sont désemparés. Ceci dit, le NFP étant arrivé en tête au second tout, il est légitime qu’il lui revienne l’initiative d’être au cœur de la proposition de composition du nouveau gouvernement en prenant comme base son programme puisqu’il a été un élément déterminent de l’adhésion de ses électeurs et qu'il répond grandement aux attentes d'une partie des électeurs désabusés, voire en colère, captés par l'extrême droite. Certes, il faudra ensuite trouver des compromis et appuis avec d’autres députés qui auront ainsi l’occasion de se positionner clairement par rapport à leurs attentes et sens des responsabilités en cohérence avec le modèle de société qu’ils soutiennent ainsi qu’au niveau de l’importance qu’ils accordent à la défense de la démocratie. Ce sera aussi une belle opportunité pour permettre à ceux et celles qui se présentent comme l’aile gauche de la macronie de montrer s’ils penchent plutôt à gauche ou plutôt à droite à travers les propositions qu’ils accepteront ou non d’appuyer. Avec un brin d’utopie9 peut-être, mais surtout avec espoir, on peut aussi imaginer que des députés évoluent dans leurs représentation et sortent de la logique de fidélité incontournable au parti auquel ils sont rattachés pour adopter un positionnement modulable en fonction le l’importance qu’ils accordent l’action au service des citoyens et de la réparation de la cohésion nationale.
En guise de conclusion :
En résumé, ne pourrait-on pas se poser une question qui est probablement essentielle pour l’avenir de la démocratie ? Cette question serait « Dans quel climat souhaitons-nous aborder les échéances électorales de 2027 ? » Souhaitons-nous renouer avec la situation tragique qui se répète et qui amène les électeurs à faire un choix qui n’est plus basé sur une adhésion à un programme, mais un choix un peu forcé pour un programme dont on ne veut pas, pour éviter une situation pire avec la perspective de l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir ? Cette question est essentielle car il est clair que le comportement des électeurs va devenir de plus en plus imprévisible par rapport à cette situation, en particulier parce que la répétition de ce scénario et l’attitude de ceux qui essaient d’en profiter pour rester au pouvoir conduisent à un sentiment de trahison qui pourrait devenir un frein très important face à l’idée de voter uniquement pour « faire barrage ». Par ailleurs, si cette fois-ci on note une plus grande participation à l’élection, rien de ne garantit que c’est l’amorce d’une tendance reconductible et durable. Cette situation critique n’est-elle pas une anomalie dans une démocratie ou logiquement l’intérêt est de pouvoir donner son avis pour appuyer le projet d’avenir qu’on soutient et qu’on veut voir se concrétiser ?
En partant de ce principe le contexte actuel ne doit-il pas prendre en compte ces éléments de réflexion pour éclairer le choix du premier ministre en favorisant celui qui sera le plus à même de s'éloigner de ce qui est rejeté par les électeurs et de rétablir la confiance en réduisant la fracture et en appelant tous les acteurs à appuyer toutes les actions qui vont dans le sens de redonner de l’espoir à ceux qui se sentent abandonnés. C’est en leur montrant que les choix qu’ils font lors des élections peuvent contribuer à améliorer leurs conditions de vie et répondre à leurs attentes qu'ils reprendront confiance dans les institutions. C’est renouer avec la démocratie !
2Chiffre qui doit aussi prendre en compte le fait qu’il aurait peut-être pu être abondé du fait que le NFP s’est largement désisté pour éviter le risque de voir le RN arriver en tête. Pour mémoire, la NUPES obtenait 4 sièges au premier tour en 2022 alors que le NFP en a obtenu 32 au premier tour de 2024.
3En référence avec le score qu’avait obtenu la NUPES
4Voir par exemple quelques éléments récents ici : https://www.francetvinfo.fr/elections/resultats-des-europeennes-2024-regions-categories-socioprofessionnelles-tranches-d-age-le-rn-a-gagne-des-voix-dans-tout-l-electorat_6595533.html
5La campagne de désinformation, de diabolisation dans le but de dsicréditer conduite à la fois par le centre, la droite et le RN vis à vis du Nouveau Front Populaire y a certainement joué pour beaucoup.
6Voir : https://lcp.fr/actualites/le-nouveau-front-populaire-chiffre-son-programme-a-150-milliards-d-ici-a-2027-assurant
7Voir : https://www.nouvelobs.com/politique/20240625.OBS90197/les-orientations-economiques-du-nouveau-front-populaire-repondent-aux-defis-de-notre-epoque.html
8Tout laisse à penser que ceux qui seront dans l’opposition feront le maximum pour entraver l’action d’un gouvernement émanant du Nouveau Front Populaire, d’une part par principe et d’autre part par fidélité avec leur parti d’appartenance.
9En précisant que l’utopie est la part de rêve nécessaire pour progresser quand elle vient se combiner avec une prise en compte de la réalité. Sans utopie, on stagne… puis on finit par régresser.