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Billet de blog 24 janvier 2025

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Réseaux sociaux, faut-il les quitter ou rester ?

Introduction : Voici quelques éléments de contextes qui m’ont donné envie de rédiger cet article. L’actualité du moment a mis en lumière une situation qui ne peut pas laisser indifférent en posant le problème de l’influence que peut avoir un réseau social dans l’évolution politique à très grande échelle.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Cette situation pose une question de positionnement personnel, mais aussi collectif. Des groupes, entreprises, partis politiques, syndicats, associations se sont positionnés en appelant leurs membres ou adhérents à quitter le réseau X et à migrer vers d’autres outils. Ces démarches collectives font débat et ce débat n’aboutit pas forcément à des avis individuels convergents. C’est donc ce contexte qui m’a donné envie de partager ici quelques pistes pour prendre du recul et faciliter un positionnement par rapport à cette question.

Cet article n'a pas la prétention de faire un tour exhaustif du sujet, j'espère qu'à travers cette proposition de prise de recul et le partage de quelques pistes de réflexions les personnes qui s'interrogent sur l'éventualité de quitter ou changer de réseau social trouveront ici quelques éléments qui pourraient faciliter leur prise de décision.

 Le concept de réseau social, ses outils supports et l’évolution de ses représentations :

Les usage des réseaux sociaux sont vastes et complexes car ils obéissent peu aux normes habituelles standardisées et ceci pour plusieurs raisons :

  • ils ne s'appuient pas sur un apprentissage structuré comme c'est le cas pour beaucoup d'autres outils, ici, on les a apprivoisés dans les contextes et circonstances personnelles qui ont introduit une très grande variété d'usages. La perception que chacun peut en avoir est donc liée à l'approche personnelle tout autant, voire plus qu'à des usages standards formalisés, hormis sur certains réseaux sociaux professionnels.
  • On aimerait qu'ils fonctionnent de la même façon que ce que nous connaissions dans la vie d'avant, mais le sujet nous échappe car on n'en a pas la maîtrise ou on n'ose pas s'y aventurer. L'usage de ces outils numériques demande donc de la prise de recul pour en faciliter un usage serein. Pour faire simple, et sans vouloir standardiser trop les pratiques car elles sont aussi liées aux personnalités de chacun qui conduisent à des usages singuliers je vous propose ici quelques éléments de réflexion. Dans « la vie d'avant », généralement les discussions courantes se font1 dans un cercle de personnes qui se sont cooptées auxquelles il faut ajouter quelques occasions de groupes contraints tels que la réunion de famille, ou le cercle d’amis par exemple. Quand on fait le choix de s'inscrire sur un réseau social à portée publique, consciemment ou inconsciemment on s'inscrit dans une logique de débat public qui nous fait voir ce qu'on évitait de voir sans les réseaux sociaux. De ce point de vue on peut admettre l'idée que le réseau social a un côté miroir de la société qui nous en apprend beaucoup sur des réalités qu'on ne percevait pas et qui peuvent nous paraître désagréables parfois.
  • Le philosophe Michel Serre2 proposait une question qui me parait fondamentale pour affiner ces choix dans le domaine du numérique, on peut la résumer ainsi : "qu'est-ce que j'y gagne et qu'est que j'ai à y perdre ?", qu'il formulait de façon plus générale à travers la question "qu'est-ce que l'homme a à y gagner, qu'a-t-il à y perdre ?". Il nous parlait alors de balance en nous invitant à faire le choix qui nous permettrait d'avancer de façon constructive et positive en nous faisant remarquer que tout changement a sa part de deuil.
  • Il est aussi très intéressant de revenir sur l'origine même du concept de réseau social qui existait même avant le développement de ce qu'on appelait informatique et bien avant de parler de numérique. "L’expression anglaise « social network » semble être utilisée pour la première fois de manière scientifique en 1954 sous la plume de l’anthropologue et sociologue australo-britannique John Arundel Barnes (1918-2010)"3. Voici comment John Arundel Barnes définissait le concept de réseau social à l'époque : « Chaque individu a un certain nombre d’amis, et ces amis ont leurs propres amis ; certains de ses amis se connaissent les uns les autres, et d’autres non. Il me semble approprié de parler de réseau pour désigner cette sphère sociale. L’image que j’ai en tête est celle d’un ensemble de points qui sont reliés par des lignes. Les points de cette image sont des individus, ou parfois des groupes, et les lignes indiquent quelles sont les personnes qui interagissent les unes avec les autres.4 ». Force est donc de constater qu'on confond trop souvent l'outil et le concept. En soit, le réseau social est un système relationnel, ce dernier utilise ensuite de médias pour communiquer. C’est ce glissement sémantique qui aujourd’hui permet la confusion entre le concept et les outils numériques utilisés pour faire vivre les réseaux sociaux.

Les réseaux sociaux : avantages et/ou inconvénients :

C'est un sujet difficile car comme on l'a vu, le manque de standardisation dans les usages conduit à des perceptions différentes en fonction des individus, ce qui est positif pour les uns peut être négatif pour les autres. Pour sortir de cette problématique je vous propose de prendre appui sur quelques questionnements sachant que ceci devrait permettre à la personne d'affiner et de clarifier ce qu'elle attend des réseaux sociaux et de faire de choix en concordance.

À titre d’exemple : le réseau social facilite l’externalisation, l’amplification et l’interaction.

C’est effectivement un aspect important, avant les réseaux sociaux la communication se faisait dans un périmètre proche et vers un auditoire limité. Avec l’utilisation de plateforme numérique, le contexte a changé, d’une part en permettant de toucher un nombre particulièrement important de personnes dont la plupart sont des inconnues pour l’émetteur du message ; en ce sens on peut affirmer le rôle démultiplicateur impressionnant du réseau social numérique et d’autre part la portée du message n’a pratiquement plus de limite puisque le réseau social numérique franchit sans problème les frontières en élargissant considérablement la portée du message. À travers cet exemple, certains n’y verront qu’un aspect très positif alors que pour d’autres, ce sera à l’inverse vécu comme un aspect très négatif pour d’autres. En effet, pendant que certains se réjouissent de pouvoir échanger avec un public au potentiel très large, d’autres dans le cas d’un harcèlement subi par exemple, déploreront l’amplification difficilement maîtrisable du préjudice qu’ils subissent. Pour compléter à partir d’exemple pris dans l’actualité du moment, quand certains profitent de l’aubaine que leur procurent les réseaux sociaux pour s’ingérer dans les choix politiques intérieurs de pays étrangers et pour propager leur propagande à l’échelle mondiale, d’autres dénoncent leur perte d’indépendance et de souveraineté et l’impact catastrophique de la propagande sur les opinions et élections.

On peut aussi signaler l’aspect tendancieux et sournois du discours qui donne l’illusion de liberté sans limite grâce aux réseaux sociaux, alors qu’en fait ce qu’appellent « liberté » les auteurs de propagande n’est qu’une illusion qui cache une réalité qui relève plus de l’asservissement qui rend séduit massivement des internautes mal informés. L’ampleur de cette propagande met aujourd’hui en danger la démocratie.

Illustration 1
Exemple d'ingérence © Capture d'écran ELC

Quelques clés pour réfléchir sur le sujet ?

Un problème d’éducation :

Sur ce plan j’ai envie de partager une opinion personnelle, libre à chacun de la partager ou non. De mon point de vue, l’émergence et le développement du numérique dans la société a souffert d’une mauvaise approche culturelle dès le départ. On a pensé à la technique sans se préoccuper de l’impact qu’elle allait avoir sur la culture. D’un côté, on a trop souvent pensé que les individus se seraient appropriés seuls les outils et on les a laissés le faire sans véritable formation, ni même accompagnement, ce qui a entraîné bon nombre de dérives dans les usages. Quand des formations ont été proposées on a trop souvent commis l’erreur de penser qu’il suffisait de former à l’utilisation technique de l’outil pour satisfaire les besoins de formations alors qu’il aurait fallu connecter à ces formations des données culturelles en liens avec des comportements sociétaux appuyés sur des « valeurs 5». Dit autrement et de façon un peu caricaturale, on a formé au numérique en le déconnectant du contexte dans lequel on l’utilise, on a oublié qu’il ne dispensait pas les individus de continuer à respecter les règles de bon savoir-vivre : respect, souci d’ouverture, tolérance, liberté, besoin d’émancipation… et en évitant de mettre en avant une partie des finalités que la technologie peut formuler et qui ne sont pas forcément partagées par les individus (asservissement, optimisation, surveillance, contrôle…).

Le piège de l’entre-soi :

Un des risques dans les usages des réseaux sociaux est de sélectionner (dans les groupes en particulier) les participants en n’acceptant que les personnes qui ont la même approche des sujets. Ce fonctionnement a le travers de renforcer les opinions du groupe dans la mesure où il n’y aura pratiquement plus de contradiction et un très haut niveau d’approbation. Ceci peut conduire à l’intolérance vis à vis de l’extérieur et à un appauvrissement culturel à l’intérieur pour peu qu’on soit d’accord sur le fait que la confrontation à un avis contradictoire est un questionnement nécessaire pour confirmer ou infirmer une vision établie permettant à l’individu de cheminer et de progresser.

Le piège du cautionnement :

C’est une question d’éthique qui se pose à ce niveau. Certaines plateformes sont reconnues pour la diffusion de fausses informations, l’utilisation d’algorithmes dont le but est de manipuler massivement des opinions, de collecter tout aussi massivement des données personnelles dont on ne connaît pas bien les utilisations qui en sont faites. La réussite financière de ces plateformes repose en grande partie sur leur audience et leur capacité à collecter des ressources publicitaires. Rester sur ces plateformes en espérant y apporter une contradiction salutaire est louable, mais dans les faits c’est aussi contribuer à l’enrichissement des propriétaires de l’outil et sans garantie de faire évoluer la qualité et la nature des débats qui de toute façon seront biaisés par l’usage des algorithmes actifs. Au contraire, migrer vers un autre outil, c’est contribuer à l’émergence d’alternatives qui, on l’espère, seront tout aussi efficaces pour enrichir positivement un débat sociétal élargi. On peut même aller plus loin en disant que cautionner un réseau social dont la finalité est de faciliter une arrivée programmée de l’extrême droite au pouvoir peut être une contribution qui revient à scier la branche sur laquelle ont est assis.

Faut-il quitter ou rester sur un réseau social ?

La réponse à cette question ne peut pas se faire sereinement si chacun reste le nez collé dans le guidon, une façon intéressante et nécessaire est donc de prendre du recul et de se reposer quelques questions :

Q1 : ai-je choisi le bon outil pour faire vivre mon réseau social ?

Les outil proposés sont déjà plutôt plus ou moins dédiés à des domaines d'usages spécifiques, ceci dit ce qui est prévu au départ par les plateformes n'est pas forcément respecté par les usagers. Pour illustrer on peut par exemple dire que Facebook est dédié à des échanges larges et diversifiés qui vont aussi bien des usages de réseaux familiaux, que des usages de groupes d'amis, que des usages associatifs, que des usages professionnels... Comme les frontières sont poreuses, certains profils d'utilisateurs font un peu de tout avec ce seul outil et un profil unique ce qui crée parfois un ressenti de "foutoir". Un outil tel que linkedin a par contre une visée clairement reconnue comme professionnelle et dans les faits les usages sont concordants avec la finalité de l'outil. D'autres outils comme X, Bluesky, Mastodon ont une visée davantage orientée vers les échanges sociétaux (politiques, syndicaux, culturels...). D'ailleurs, comme on l'a dit plus haut, le réseau social étant public, cela explique pourquoi des personnes arrivent à s'y affronter durement verbalement quand les avis sont en opposition. N'oublions pas que cet espace public est un espace où il y a peu de classement social, culturel... et où chacun a le sentiment d'exister et d'être chez lui sans pour autant être prêt à accepter la divergence de point de vue et l’opposition directe parfois.

Q2 : qu'est-ce j'attends de ce réseau social ?

L'ai-je choisi pour convaincre, m'enrichir, lutter, m'informer6, informer les autres, partager... ? Ou l’ai-je choisi parce que mes amis m’ont demandé d’y être, ou parce que tout le monde y va ?…

Q3 : qui en est propriétaire et quelles visées a-t-il à travers sa proposition de service ?

Cette question est de plus en plus importante en particulier avec le développement des algorithmes7 et de l'impact de l'intelligence artificielle8. Il est clair aujourd'hui que certaines plateformes ont un visée de propagande dans le but d'imposer un pouvoir de domination. Rien que le fait de le savoir peut être un argument de poids pour savoir si on reste ou si on quitte un réseau.

Conclusion :

Comme vous avez pu le constater, cet article n’a pas la prétention de faire un tour exhaustif du sujet, j’espère qu’il aura apporté quelques éclairages au lecteur qui s’il le souhaite pourra y apporter des compléments.

1Le choix du présent est volontaire pour mettre en évidence le fait que l’expression « vie d’avant » est aussi un repère de mode de fonctionnement qui n’est pas dépassé, ce n’est pas parce que le numérique est là, qu’on ne peut plus communiquer sans.

2Michel Serre et révolution culturelle et cognitive : https://www.youtube.com/watch?v=ZCBB0QEmT5g

3 Source : https://www.les-infostrateges.com/actu/13071665/barnes-le-pere-des-reseaux-sociaux

4 Source : https://shs.cairn.info/revue-reseaux-2013-6-page-187?lang=fr

5Précision sur le vocabulaire : j’ai choisi un mot que je n’aime pas beaucoup compte tenu de ses connotations diverses, le mot « valeur » est utilisé ici à défaut d’en avoir trouvé un autre.

6Remarque : certes on peut accepter l’idée qu’on s’informe peu avec le réseau social, par contre il est clair que le réseau social peut être une excellente porte d’entrée dans l’information à travers les liens qu’il met en partage. Mais cela suppose que les utilisateurs peuvent et acceptent de prendre du temps pour consulter cette information.

7Définition proposée par la CNIL : https://www.cnil.fr/fr/definition/algorithme

8Présentation qu’en fait la CNIL : https://www.cnil.fr/fr/intelligence-artificielle/intelligence-artificielle-de-quoi-parle-t-on

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