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Billet de blog 13 avril 2023

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En Amazonie, faire face à la mafia de l'or

Face à la déforestation de l’Amazonie et la contamination de rivières, ils n'ont pas peur d'aller sur le front malgré les menaces de la mafia et la corruption, malgré les agressions. En Amazonie équatorienne, des militants dénoncent la présence de milliers de pelles mécaniques qui défigurent le paysage et contaminent le Napo, un des plus grands affluents de l'Amazone. Et ce en toute illégalité.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

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Les militants viennent constater et documenter les dommages d'une mine d'or sur le Jatun Yaku. Photos Eric Besatti

Un morceau de cette enquête a été diffusé sur France inter dans l'émission C'est bientôt demain.

Dans la province de Napo en Equateur, aux sources de l'Amazone, le Jatun Yaku subit une destruction sans précédent. Les mines illégales se multiplient pour extraire de l'or sans que les autorités ne réagissent. Les militants se retrouvent en première ligne, pour documenter, constater et attaquer les dérives de l'industrie mafieuse de l'or.

Des pelleteuses énormes qui s'installent sur le bord d'un fleuve, il faut être aveugle pour ne pas les voir. Du propriétaire du terrain et sa communauté qui acceptent l'argent des entreprises minières jusqu'aux autorités qui ferment les yeux ou disent "manquer de moyen" (police, ministère de l'environnement, armée...), il existe une pyramide de manquements coupables qui aboutissent à protéger les entreprises minières. Pour le dire gentiment, en 2022, l'Equateur est classé 101e sur 180 dans l'index de la corruption de Transparency international. La France est 21e. Les scandales de corruption dans la fonction publique remplissent les pages des journaux.

Au fil du Jatun Yaku, les orpailleurs artisanaux côtoient les exploitations industrielles, surtout chinoises. Les répercussions, pollution, destruction des lieux de vie, sont terribles pour les communautés dont les modes de vie sont liés au fleuve pour boire, se laver, pêcher, se déplacer.

En 2022, dans la province de Napo, l'équivalent de 88 terrains de foot (125 hectares) a été consacré à l'activité minière. Rien que dans cette province, entre 2015 et 2021, l’activité minière a concerné 855 hectares supplémentaires, soit une augmentation de 300%. En Equateur, la province de Napo est la plus touchée par le développement des mines illégales (+ 145 hectares en 7 ans, 20% du total des terres dédiées à l'activité minière). Pourtant entre 2019 et 2022, les contrôles de l'Agence de régulation et contrôle minier ont diminué.

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Myriam, menacée de mort. Tena, Equateur, 27 mars 2023.


"No minería, Napo es vida". Tous les lundis, pancarte à la main, elle est là pour motiver les troupes sur le plantón. Myriam Robles fait partie des créatrices de Napo ama la vida, un collectif de défense des fleuves et de l'eau contre l'exploitation minière. Pour elle, les menaces ont pris la forme de messages de comptes fantômes sur les réseaux sociaux. Sur Whatsapp "Vas a amanecer con la lengua afuera", tu vas te réveiller avec la langue sortie, ou facebook "Tienes una linda hija, cuidala", tu as une jolie fille, protège là. Consciente du danger qu'elle prend, elle ne peut néanmoins "pas rester sans rien faire". Il y a un mois, en Equateur, un militant anti-pétrole s'est fait assassiné à son domicile. Et ce n'était pas le premier dans l'histoire récente du pays.

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"Pita, pita y pita por nuestra vida", klaxonne pour nos vies ! Tena, Equateur, 27 mars 2023.


"Y pita, pita, pita por nuestra vida", klaxonne, klaxonne, klaxonne pour nos vies. S'ils ne sont qu'une poignée à se montrer, le plantón permet d'afficher la lutte et obtenir des soutiens sonores. "La majorité des gens ne se rendent pas compte et ne se mobilisent pas. C'est plus facile de faire de l'argent avec l'or que de préserver les ressources et de trouver d'autres moyens pour survivre", regrette un manifestant. "Mais nous sommes devant un choix de société, pour extraire de l'or on pollue la rivière. Bientôt on ne pourra plus rien manger et plus rien boire, ce n'est pas à ce moment là qu'il faudra se mobiliser", philosophe José Moreno, une des figures du mouvement, coordinateur des Collectifs sociaux de Napo.

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Le tourisme comme alternative à la mine d'or. Communauté Shandia, 16 mars 2023.


Sur le Jatun Yaku (affluent du Napo puis de l'Amazone), la communauté Shandia a résisté aux mineros, quand l'année dernière, ils sont venus pour sonder le sol de leur plage. La communauté s'est orientée vers le tourisme il y a des décennies, aujourd'hui, elle fait front commun pour refuser l'exploitation minière. Pour autant, les débats sont vifs en interne mais surtout avec les autres communautés qui n'ont pas les mêmes atouts et qui acceptent l'argent de l'or.

Comment acheter des communautés.

Aujourd'hui, les entreprises continuent d'utiliser la pauvreté des membres de certaines communautés pour acheter le droit d'exploiter leurs terres. Le temps du "dame tu tierra te doy una cola", "donne-moi ta terre, je te donne un coca", est fini. "Je me suis servi de l'ignorance et de l'avidité de mes voisins", témoigne un médiateur communautaire repenti. Son rôle était de convaincre les propriétaires des terres contre de l'argent, des voitures ou de l'alcool. Aujourd'hui, l'hectare se négocie contre des milliers de dollars, le chiffre de 8 000 est souvent évoqué dans les conversations. C'est ainsi que des terres arables disparaissent au profit de mines.

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De l'eau polluée sort de la forêt. Rivière Jatun Yaku, 16 mars 2023.


A deux cent mètres en aval de la communauté de Shandia ce petit ruisseau trouble descend de la forêt pour se jeter dans le Jatun Yaku. Une activité illégale, qui n'existe sur aucun registre du ministère de l'environnement. C'est la première pollution minière depuis la source du cours d'eau.

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Agression d'un militant lors d'un contrôle officiel, pourtant encadré par des militaires. Communauté San Gabriel de Kuriyaku, paroisse Talag, province Napo, 22 mars 2023.


A Talag, depuis une semaine, des machines excavatrices creusent un trou sur les bords de la rivière. Les militants ont découvert l'affaire inopinément lors d'une descente en kayak. Saisi de la question par les militants, le président de la GAD de Talag, l'équivalent de l'échelle communale en France, a réalisé un contrôle avec l'Agence de régulation et contrôle minier, protégé de militaires et accompagné du militant José Moreno, coordinateur des Collectifs sociaux de Napo. Un travailleur de la mine l'a identifié puis s'en est physiquement pris à lui (vidéo ici). Une agression pour laquelle José a porté plainte.

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Victoire historique devant les tribunaux. Complexe judicaire de Napo, Tena, 24 mars 2023.


Le poing levé, José Moreno, coordinateur des Collectifs sociaux de Napo souligne une "victoire historique" à la sortie du tribunal. "Au nom du peuple équatorien, le tribunal déclare l'infraction contre les droits de la nature [...] les accusés doivent élaborer et exécuter un plan de restauration à leurs charges", stipule le jugement. Une victoire après plusieurs années de procédures. Les militants de Napo Resiste, Napo ama la vida, de la Féderation des organisations indigènes de Napo, certaines collectivités locales ont fait condamner les autorités* et les entreprises** qui détiennent des concessions dans Napo. De plus, selon le jugement "tant que le ministère et les agences de l'Etat ne réalisent pas les contrôles nécessaires et que les entreprises ne présentent pas leur plan de gestion des risques naturels, ils doivent arrêter l'exploitation des concessions", explique Sandra Rueda, avocate des militants anti-mines. "Il faut se rendre compte, les autorités compétentes ont été incapables de fournir une liste actualisée des concessions et du nombre d'hectares qui sont exploités dans la province. Il y a un laisser aller coupable qu'a condamné le juge"

Le laxisme, le manque de contrôle, la complicité, l'inaction même après des dénonciations publiques sont des traits caractéristiques de l'Etat et de l'administration équatorienne dans ces affaires de mines illégales. Le compte instagram de Napo Resiste ou le twitter du Fronte anti minera sont simplement ahurissants tant ils affichent des situations illégales.

* le Ministère de l'environnement, l'Agence de régulation et contrôle minier et le Ministère de l'énergie et de la mine et
** les entreprises chinoises Terraearth, Xiuxia ou autre, Gold Minerals et Latin Gold, Rivershill corporation.

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La bajada massiva, les militants descendent pour documenter l'exploitation minière. Jatun Yaku 25 mars 2023.


Le 25 mars les militants descendent la rivière Jatun Yaku (la grande rivière). C'est la bajada massiva, une joyeuse descente en rafting, rassemblant les militants en nombre. Cette journée a pour objectif de faire connaître la problématique. 

La méthode d'action des jeunes militants ? Publier photos et vidéos sur les réseaux sociaux. Des influenceurs avec comme seul gain de publiciser la lutte pour l'environnement.

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Nature ruinée et restes d'une exploitation illégale. Jatun Yaku. 25 mars 2023.


La massiva s'arrête tout d'abord, dans cette ancienne mine que l'entreprise chinoise Terra Earth a exploitée pendant une semaine à la fin de l'année 2022. Elle a creusé, extrait de l'or puis a laissé sur place un paysage désolé et ses trieuses à même les berges. En seulement une semaine d'exploitation, des hectares entiers de nature sont détruits sur les bords de la rivière. Une situation qu'avaient dénoncé publiquement les militants. Le ministère avait cordonné un contrôle quelques jours après la dénonciation bruyante sur les réseaux sociaux. Un contrôle inutile puisqu'il a été réalisé après l'évacuation des machines par l'entreprise exécutante. Un policier, sous couvert d'anonymat, se questionne sur les fuites possibles à la tête du ministère de l'Environnement ou de la police.

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Confrontation entre militants et travailleurs dans la mine illégale de Talag. Communauté San Gabriel de Kuriyaku, paroisse Talag, province Napo, 25 mars 2023.


. Trois jours après l'agression de José Moreno lors du contrôle des autorités (voir plus haut), les militants passe par la mine de Talag où l'Agence de contrôle avait signalé l'interdiction de poursuite des activités. Mais lors du passage des militants, force est de constater que l'exploitation continue. Devant la centaine de militants, les travailleurs évacuent les machines du trou sous les cris "afuera minera", dehors les mines.

. Les travailleurs présents au volant des machines sont mandatés par un sous-traitant de l'entreprise chinoise Terra Earth, titulaire d'une concession globale pour une partie de la rivière Jatun Yaku. Mais l'entreprise n'est pas exonérée de fournir un plan de gestion de ses eaux résiduelles, obligatoire pour lancer l'exploitation. Bref, ils ne respectent rien, ni les normes, ni l'interdiction signalée sur place par l'Agence de contrôle à peine trois jours plus tôt. Selon le rapport des géographes de Maap, près de 80% des mines n'appliquent aucune mesure réglementaire de préservation de l'environnement.

. "Avec un mandat populaire, les militants forcent les machines de l'entreprise Terra Earth à sortir", commente Kevin Zúñiga, journaliste communautaire pour le Fronte nacional antiminera.

. Smartphone contre smartphone. "Minero" contre "ambiantalistas", travailleurs des mines contre militants de l'environnement, l'échange restera pacifique. "Vous détruisez la nature, honte à vous", se lâchent quelques militants. Le conducteur restera placide, sans voix, attendant que les militants, se retirent de l'exploitation après une vingtaine de minutes.

. Un panneau interdiction de l'Agence de régulation des mines est accroché à un arbre au dessus de la mine. "Ca, c'est la blague que nous a laissée le ministère après le contrôle il y a 3 jours", ironise Myriam Robles de Napo ama la vida. "En Equateur, on est très fort pour les lois et les papiers, mais il n'y a rien de concret ni aucun contrôle par la suite". "On est obligé de faire nous-mêmes le travail de contrôle". Les deux policiers présents pour assurer la sécurité des militants prennent quelques notes sur leur téléphone pendant que les directs se multiplient sur les réseaux sociaux.

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Naranjalito, la plus grande mine de Terra earth, illégale elle aussi. 25 mars 2023.


Mine de Naranjalito. Là aussi, à la vue et au su de tous, l'entreprise chinoise Terra Earth outrepasse ses droits depuis de longs mois. Là aussi, sans autorisation du ministère de l'environnement du à l'absence de plan de gestion des eaux usées.

La mine empiète petit à petit sur le lit de la rivière selon les constatations des militants. Il n'y a visiblement aucun moyen de récolter le mercure avant que les eaux résiduelles se rejettent dans la nature.

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"La perte de notre culture et de notre connexion sacrée avec la nature". Mine de Naranjalito sur la rivière Jatun Yaku, 25 mars 2023.


Melida Aguinda, femme kichwa de 31 ans, est née ici. Elle fait partie des militantes Napo ama la vida depuis des années. " Aujourd'hui en tant que femme kichwa c'est très important de conserver ce territoire pour les générations futures. Ce qui se passe, c'est qu'aujourd'hui, le savoir et la culture des anciens n'est plus partagée. Les anciens disaient : "le territoire est la chose la plus importante pour un peuple". La majeure partie des jeunes ou des gens de mon âge n'ont pas cette conscience. Dans notre culture, l'eau, le fleuve comme les montagnes sont sacrés. Chaque lieu est sacré, chaque territoire est un temple. Les anciens respectaient la nature et son âme. Ils avaient peur de sa réaction si on ne la respectait pas. Aujourd'hui, très peu ont vécu dans cette croyance. Aujourd'hui nos peuples utilisent la nature, mais ne sentent pas cette connexion sacrée." Pour Melida, comme pour les autres militants, la peur ancestrale de la nature s'est transformée en actions pour la défendre.

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