129 Billets

0 Édition

Billet de blog 10 avril 2012

Moments d’un atelier*

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Lieu et machines

Nous étions tous  dans cette salle,  assis devant les écrans disposés en ligne. Les chevalets électroniques se découpaient sur une grande baie vitrée, telle une trame orthogonale transparente interférant avec les arrières plans de la ville. La grille moderniste de l’architecture apparaissait à contre-jour. Les étudiants avaient accumulés fragments d’études, fatras graphiques, nombre de références iconographiques, matières, couleurs. Par observation, ces prélèvements avaient été arrachés au réel ou dérobés à leur usage. Désormais, grâce à des logiciels puissants, les ordinateurs pouvaient  absorber, transformer puis assembler tous les composants de ces échantillonnages.

En partance

Leur classement et leur étiquetage leur conféraient une accessibilité accrue afin de mieux provoquer par transfert électronique de nouvelles économies plastiques. Nous les nommerons ici : « compositions ». Ici pas comptabilité ni de taxinomie, les composants de la ressource étaient en partance. Il suffisait d’un rien pour rompre ou provoquer l’enchantement. Les éléments  de départ ainsi dépouillés de leur matérialité et de leur inertie pouvaient subir la frénésie de l’échange et du changement de forme instantané. Maintenant, ils étaient prêts à croiser d’autres résistances.

L’état des choses

La caverne au trésor était  ouverte. La toile virtuelle s’animait.  Les éléments plastiques devenaient fluides. Leurs modes d’assemblage et de composition par couche modulant à l’infini les jeux de profondeur et les rapports de plan. Un désordre plus fructueux que l’ordre du classement initial s’était installé.

Leurs fixations par tirage sur papier, les faisaient retourner vers une matérialité au statut ambigu. Simultanément, y étaient inscrites la décision d’en rester là,  l’affirmation que cette image n’était qu’un état provisoire, une possibilité résultant d’un processus de fabrication et de diffusion ouvert.

Malgré ce choix initial, les questions de la présentation finale se posaient. L’image doit-elle se matérialiser par un tirage ? Doit-elle être présentée sur écran ou projetée ? Dès le départ devrait-elle être conçue en fonction de ces formes ou plutôt de ces « formats » ? Doit-elle être postée sur le réseau et rencontrer d’autres mains dans un processus de création collectif ?

Mimétisme et accélération

Même si les logiciels spécialisés traduisent en termes mimétiques tous les outils et tous les registres des effets picturaux, leurs usages par distorsion les affranchissent de l’imitation de leur modèle. Notons au passage, qu’aujourd’hui encore, les gammes de peinture acrylique pour artiste miment la peinture à l’huile.

Utilisant les mêmes outils que d’autres pratiques artistiques, les logiciels font écho à des modes opératoires ancrés dans l’histoire de la peinture. Par sa puissance de retouche, Photoshop ne fait il pas basculer la photographie dans des gestes de peinture.  La peinture informatique  est certainement « potentiellement baroque ».

Beaucoup d’images produites par les étudiants laissaient apparaître des zones de congestion provoquées par une accumulation d’éléments plastiques aux voisinages paradoxaux. La représentation y devenait d’un coup excessive et tourbillonnante, tout en côtoyant des réserves  par effet de criblage. La nécessité d’un effacement, d’un plongeon vers le fond blanc de l’écran permettait d’aménager des zones de respiration. A ce stade de la pratique, le médium informatique fonctionnait comme un accélérateur de composition, un simultanéisme augmenté articulant montage (conjonction)  et rupture (disjonction).

Alors, ce qui était attendu, mais qui n’était pas encore formulé, devait apparaître à force d’usage. Le résultat final était une mise à jour de l’utilisation des ressources et des machines auxquelles chaque participant avait été confronté.

Porosités et traductions

Les technologies numériques jouent un rôle de plus en plus important dans la pratique artistique et s’intègrent aux techniques existantes et aux procédures traditionnelles autant comme outils que pratiques autonomes.

Leur versatilité offre des accès semblant illimités et génère des zones de porosité entre les disciplines et les pratiques artistiques. Des territoires d’expériences s’ouvrent, catalysant  l’extension de modes opératoires traditionnelles vers de nouveaux objets. La peinture ne se réduit pas aux catégories cristallisées par notre esprit. C’est un domaine extensible se nourrissant des nouveaux apports technologiques pour en créer de nouveaux usages et une redéfinition constante de ses limites sans renoncer à son ancrage historique. Elle ouvre donc des parcours d’expérimentation et de recherche autour des quelques postulats évoqués ici.

Cet atelier va s’ouvrir sur un nouveau moment, où les images conçues par informatique retourneront vers la matérialité de la peinture. Un autre déplacement va donc s’opérer sous la forme d’un aller-retour dans des jeux multiples de traduction entre la technologie numérique et la matière.

 *L’atelier « Sampling/Superposition » s’est tenu en janvier  2012 avec les étudiants de 2°année, François Martinache, peintre et artiste invité et Dominique Pautre : enseignant.

site françois Martinache : www.francoismartinache.com

Dominique Pautre

Enseignant Ecole Supérieure d'Art du Nord Pas de Calais / Dunkerque-Tourcoing

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.