129 Billets

0 Édition

Billet de blog 11 février 2015

Nicolas Bourriaud - La place des écoles d’art et l’esthétique de la globalisation

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le 5 février l'école supérieure d'art du Nord-Pas-de-Calais Dunkerque-Tourcoing recevait Nicolas Bourriaud, critique, commissaire d'exposition et directeur de l'école nationale supérieure des beaux arts de Paris, dans le cadre des conférences ARCOMIND programmées par Christophe Cellier. Ce texte, fourni par Nicolas Bourriaud, revient sur les grands axes de son intervention.

La place des écoles d’art et l’esthétique de la globalisation

« A l’ère du tout quantifiable, les écoles d’art représentent le dernier refuge des humanités classiques, ce sont les dernières études véritablement généralistes, des formations au sein desquelles la notion de rentabilité immédiate est absente. Les écoles d’art constituent la base du monde de l’art, et en tant que tel il faut les inscrire au centre d’un écosystème local et régional plus vaste qui comprend les musées, les FRAC, les centres d’art et même les théâtres ou les salles de concert.

Nous devons parvenir à convaincre les partenaires locaux que le quantifiable n’est pas l’unique moyen de produire la valeur de demain. Pour croire en l’avenir il faut investir sur le long terme et l’art est porteur de promesses plus que tout autre domaine. Faire mine d’ignorer cette donnée représenterait même en termes économiques une aberration. Si l’on prend l’exemple de Venise, à priori c’est une folie totale. Ses fondateurs n’ont pas choisi de créer une ville lambda mais une cité sur pilotis en plein milieu de marais insalubres. Cette singularité fut à l’origine d’une floraison architecturale inouïe. Et c’est en cela que réside la création de la valeur, car aujourd’hui  Venise génère davantage de richesse touristique que la plupart des régions françaises.

C’est dans ce contexte que chaque école doit cultiver sa spécificité pédagogique, voire ses idiotismes, tout en fonctionnant comme un conservatoire des pratiques anciennes et récentes - même les plus minoritaires. L’inventivité que l’on apprend dans ces lieux est applicable dans différents secteurs, c’est ce que nous démontre par ailleurs l’observatoire des diplômés de l’école nationale supérieure d’art de Paris. 

Les étudiants qui arrivent en première année à l’ENSBA doivent négocier leur place dans un atelier : comme dans la vraie vie, il faut convaincre. Il ne s’agit pas de s’inscrire dans un cadre mimétique tel qu’on pouvait l’entendre au XIXe siècle, le rapport au chef d’atelier aujourd’hui est basé sur un dialogue ouvert. Ensuite pour parler de professionnalisation il y a bien entendu des dispositifs existants dans toutes les écoles et notamment des recherches de débouchés. 

Les statistiques mondiales démontrent qu’entre 5 et 10% des étudiants qui ont choisi ce cursus deviendront artistes et pourront vivre de leur activité.

 A ce titre je compare une école d’art à une école de pilotage, les plus doués deviendront cosmonautes, les confirmés seront aux commandes des gros porteurs et enfin les autres piloteront différents types d’engins pour des terrains spécifiques.  Malgré la diversité des parcours ils auront suivi la même formation et baigneront dans la même culture, ils auront été informés par l’art. 

Ma réflexion actuelle porte sur les savoirs et les pratiques à l’ère de la globalisation, phénomène qui nous affecte tous, y compris les artistes. J’essaye de dégager les pistes pour définir ce que j’appelle une alter-modernité. En cela je suis en accord avec Habermas qui considère que la modernité apparaît dès lors qu’une rupture se manifeste dans l’histoire. Aujourd’hui nous vivons une modernité archipélique qui est une modernité de la traduction, à l’instar d’artistes comme Pierre Huyghe dont le travail se base sur la traduction des formes, d’un champ à l’autre. La traduction est l’une des bases du vocabulaire plastique contemporain. 

La modernité du XXe siècle a été radicale : autrement dit,  on a effectué des retours à la racine, on a coupé l’arbre pour faire pousser quelque chose de nouveau. La notion de table rase ne s’applique pas  au radicant qui à l’image des plantes comme le lierre ou le fraisier font pousser leurs racines au fur et à mesure qu’elles avancent.

Avec ce concept de radicant, je pense que le sujet contemporain, le sujet de la globalisation est un sujet qui fait pousser ses racines au fur et à mesure de son avancée. 

Nos racines ne sont plus uniques, elles sont successives et dynamiques. J’élabore une théorie du sujet mais également une théorie de la pratique artistique et de notre rapport à la culture ou aux cultures dont nous sommes issus et vers lesquels nous nous dirigeons. Aujourd’hui l’attitude radicale qui consiste à revendiquer notre appartenance à une culture unique est non seulement symptomatique d’une idéologie aveugle et violente, mais apparaît comme complétement obsolète. »

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.