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Billet de blog 12 novembre 2014

Le corps en révolution

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le corps et le lieu

Le vendredi 17 octobre 2014, un groupe d’étudiants de l’ESÄ Nord – Pas-de-Calais Dunkerque-Tourcoing s’est rendu à Lessines en Belgique pour assister à la journée d’étude « Le corps en Révolution » qui s’est tenue au Musée de l’Hôpital Notre-Dame à la Rose, édifice remarquable, qui fut à l’origine conçu pour abriter une communauté de religieuses augustines, ayant devoir d’accueillir les malades pour les soigner. Ancien lieu de charité, de prières et de recueillement, possédant cloître, chapelle, hôpital et jardins, ce musée consacré à l’histoire de la médecine et de la vie conventuelle féminine regroupe des collections multiples : peintures, statuaires, mobilier, instruments médicaux, objets culinaires et liturgiques, archives, etc. Il y règne une étrange aura chargée d’histoire.

C’est au sein même de cet ancien couvent que Nancy Casielles, curatrice au BPS 22 – espace de création contemporaine de la Province de Hainaut (Charleroi - Belgique) a élaboré l’exposition, Addenda (14 juin – 30 novembre 2014), qui établit une relation entre une quinzaine d’œuvres contemporaines et l’histoire du lieu. Cette exposition est le troisième volet d’une série de manifestations organisée en collaboration avec Raphaël Debruyn, conservateur du musée. Les deux premières étapes consistaient en propositions monographiques : Alain Bornain en 2012 et Orlan en 2013. Choix guidé par le fait que, en effet, cet endroit parle du corps : corps souffrant, meurtri, soigné, contraint...

Pour approfondir cette réflexion, Sophie Pirson, chargée des projets de médiation au BPS 22, a conçu cette journée d’étude dans laquelle plus d’une dizaine d’intervenants sont venus discuter autour des conceptions historiques et contemporaines du corps. De quelle manière allait-on aborder, dans cet espace au passé bien dogmatique, la question si contemporaine du « Corps en révolution » et les notions qui s’y rattachent : le genre, le féminin, le masculin, l’homosexualité, la transsexualité, l’intersexualité ou l’utopie transhumaniste ? Notons, que ces questions font tout particulièrement écho aux réflexions menées à l’ESA par le biais de la mention du site de Tourcoing : « Corps et contextes » et justifiaient le déplacement des étudiants.

Lamentations autour de la dépouille du Christ -  anonyme - XVIe siècle

C’est autour d’une singulière peinture du XVIe, une Lamentation, conservée dans la riche collection du musée que s’est articulé le débat. Qu’a-t-elle de si particulier cette peinture qui fasse que l’on s’y penche et que l’on y interroge le corps dans sa révolution ? La réponse est dans le corps même du Christ : couvert d’un linceul qui voile son sexe et représenté avec le visage barbu qui correspond à l’iconographie conventionnelle, son buste est cependant doté d’une poitrine féminine. Les bras croisés, l’index droit du Christ repose, comme pour le pointer, sur son téton gauche. Raphaël Debruyn indique que cette représentation du Christ androgyne, mi-homme, mi-femme, peinte par un anonyme, n’est pas exceptionnelle. Des copies et des gravures circulaient, à l’instar de celle de Raphaël Sadeler I d’après J. Stradamus exposée à côté du tableau dans la collection du Musée.

Les intervenants, tels Jacques Gélis (Professeur émérite d’Histoire moderne - Université de Paris 8), et Rolf Quaghebeur (Directeur de Argos, Center of Arts and Media - Bruxelles) posèrent quelques hypothèses, que nous résumons ici. Comme le verbe s’est fait chair le Christ est donc porteur de ce double statut, féminin et masculin ; cette peinture doit être étudiée à partir de son lieu de conservation, un couvent, où des religieuses, des femmes donc, épouses mystiques du Christ, observent des règles conventuelles et soignent les corps des autres, en prennent soin. La fonction nourricière du Christ est alors remarquée par Jacques Gélis, qui évoque « Jésus Notre Mère », celui qui donne naissance à ses enfants et les soignent par son « lait symbolique ». Mais au fond, ne sommes-nous pas tous en train de projeter des conceptions contemporaines sur la représentation d’un corps mystique ? Dans le cas présent, sans doute, le spirituel transcende-t-il la matérialité du corps et de sa représentation figurée.

Dans la seconde partie de la journée, le débat se focalisa sur le corps contemporain, par une approche physique certes, mais également comme phénomène au cœur d’enjeux d’ordre anthropologiques,  psychologiques et culturels. Lors de son intervention, l’artiste Fabrice Samyn, dont certains travaux figurent dans l’exposition Addenda, a abordé la question du genre, à partir de l’intersexualité, un état qui concerne ces individus qui à la naissance n’ont pas de caractéristique féminine ou masculine marquée. Une opération post-natale déterminera (en l’imposant) l’orientation sexuelle de l’individu. Interroger l’intersexualité, c’est jeter un trouble nouveau dans le genre : qu’est-ce qui permet, à partir du corps, de distinguer un homme d’une femme ? À cela, explique Fabrice Samyn, les médecins ne peuvent répondre. C’est bien là en effet, pour reprendre ses termes, une forme de « viol moral » qui consiste à forcer un individu dans un genre plutôt que dans un autre. La réponse plastique de l’artiste tente de penser les êtres sur ce qui les réunit plutôt que sur ce qui les distingue. Et en regard du Christ androgyne, Fabrice Samym élabore une réflexion sur une partie partagée du corps : le téton. Élément qu’il juge commun aux êtres, effaçant ainsi tout rapport de domination du masculin sur le féminin (ou inversement) et permettant à l’individu une liberté dans ses choix.

Suivront les interventions de Julie Ganck (historienne et chercheuse à l’ULB) spécialisée dans les questions de genre, puis celle de Muriel Andrin (Porte-parole de SAGES - Savoirs, Genre et Sociétés – Université Libre de Bruxelles), qui s’attacha à montrer des exemples cinématographiques de figures androgynes. S’appuyant essentiellement sur des figures féminines adoptant des rôles masculins, l’auteure affirme par ailleurs que les exemples de travestissement d’homme en femme jouent souvent davantage sur le ridicule. Les débats ont été accompagnés par des vidéos : une interview filmée d’Olivia Chaumont (architecte et auteure du livre D’un corps à l’autre – 2013 Editions Robert Laffont) et par un extrait de Manuela (2007 – Collection Argos – Bruxelles), film d’Angel Vergara.  Ils furent aussi et surtout animés par David Lallemand, « passeur de parole », qui apporta une véritable énergie, drôle et souvent très fine à cette journée de réflexion.

En outre, les étudiants ont pu bénéficier de la visite des lieux pour découvrir le musée, ses collections patrimoniales, ses salles de soin, sa pharmacie, ses chambres de prière, et de l’éclairage de la curatrice de l’exposition Addenda, dont l’un des artistes, Frédéric Fournier, dédouble son intervention In situ  Metastability  chez Incise à Charleroi.

Nathalie Stefanov - Nathalie Poisson-Cogez

Professeurs d’enseignement artistique à l’ESA

 Lien vers une vidéo de Lucie Logier

Contributions des étudiants de l’ESA :

Un corps, une âme, un être-humain. Homme ou femme ? Masculin, féminin ? Ou les deux ? Déjà très tôt, la fusion des sexes, l’androgynie, a été présente, comme nous le montre le tableau  Christ androgyne d’un artiste anonyme. Aujourd’hui, l’androgynie ne doit plus se cacher derrière un tableau anonyme, mais reste un sujet très discuté quand-même. Les cas d’opérations médicales pour passer d’un sexe à l’autre, comme celui d’Olivia Chaumont, qui a changé son corps masculin en corps de  femme, posent la question suivante : notre société peut-elle parvenir à accepter l’androgynie non pas comme anomalie ou problème psychologique, mais comme présence naturelle ? En tout cas,  le cinéma – par le biais de la fiction - semble être arrivé plus loin, beaucoup de films exemplaires comme Orlando de Sally Potter (1992) le soulignent. Cette journée a généré  beaucoup de questions, apporté quelques réponses mais surtout m’a montré que l’être humain ne peut jamais être jugé par rapport à l’appartenance de son sexe.

Mona  Schmidtke – étudiante en 3e année

Ça commence par un coup d'œil devant une œuvre ancienne. Les gens d’aujourd’hui ont la passion d’imaginer la situation réelle du temps passé et de la comparer à  la situation actuelle. C’est une tendance naturelle qui exprime l’humanité. Au cours de cette journée d'étude, je sens une sorte de confusion sur les contraintes morales, les morales et les dogmes qui ont évolué depuis les temps anciens. Leur présence pourrait être raisonnable ou non, je ne sais pas. Mais la plupart des gens comme moi veulent les défendre dans leur subconscient. En même temps les gens sont préoccupés par la transsexualité, l'homosexualité, etc. Parce que ce genre est hors de la morale traditionnelle. On éloigne peut-être de nous ceux qui en font partie et on les regarde avec des émotions complexes. On les repousse car ils sont hors de la morale. On les jalouse car ils sont hors de la norme. Ces émotions complexes  ramènent sur eux l’attention sociale, comme Olivia Chaumont dans son interview. Elle déclare au début de l’interview : « Je suis heureuse d'être une femme », mais en fait, elle m'a donné le sentiment qu'elle ne s’est pas tout à fait positionnée comme une femme. Comme elle le dit à la fin, elle est « le père de sa fille ». Elle se place toujours en dehors de la norme. Il y a aussi les films, les téléséries qui ont été présentées à la fin de la journée. Cela peut être une contre-attaque. On peut également utiliser ces thèmes pour se divertir et changer la tendance créée par les gens hors norme. Ceci est induit un sentiment de supériorité qui est causé par un déséquilibre. Mais la question est de savoir qui est le supérieur et qui est le vainqueur ? Quoi qu'il en soit, ce n’est toujours pas moi…

Yu Wu – étudiante en 4e année 

Quoi de mieux qu'une journée d'étude traitant de la question du genre pour réfléchir sur les faits de société d'aujourd'hui ?

Samedi 18 mai 2014, la loi autorisant le mariage et l'adoption pour les personnes de même sexe est officiellement adoptée en France, après de nombreuses protestations et rassemblements de La Manif Pour Tous.

Le 8 mai 2014, Conchita Wurst, transsexuel, gagne l'Eurovision et chante en octobre au Parlement Européen.

Deux sujets différents qui pointent vers un objectif commun. L'acceptation et la tolérance vis à vis de communautés très souvent critiquées et marginalisées.

Une révolution? Sans aucun doute !

Comme nous l'explique Olivia Chaumont : "Le genre, ça ne se tient pas entre les jambes, ça se tient entre les oreilles" ou comme je l'ai entendu d'un psychologue spécialisé : «C'est la personne que l'on est non pas au lit, mais lorsque l'on se couche".

Car l'amalgame est souvent fait avec les préférences sexuelles, une question qui revient souvent : Depuis le coming-out/l'opération, êtes-vous attiré(e) par les hommes/femmes ?

Il est donc question de deux propos distincts. L'orientation sexuelle et le genre. Autrefois, l'un définissait l'autre ; mais aujourd'hui on ne peut plus raisonner ainsi. On se construit d'abord en tant qu'être humain, avec sa conscience, ses valeurs, et on ne doit plus être considéré uniquement comme un sexe, vision d'un modèle archaïque. On peut ne pas toujours comprendre les choix qui sont faits par les autres, mais les tolérer est peut-être la manière la plus sage pour faire avancer notre société.

Lisa Sellier – étudiante en 3e année

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