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Billet de blog 15 septembre 2016

DISCOURS DU PRÉSIDENT: PRÉ-RENTRÉE 2016-2017

Texte intégral du discours prononcé par M. Ivan Renar, Président de l'ESÄ, le 12 septembre, à l'occasion de la pré-rentrée sur le site de Tourcoing.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

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            Chers amis, chers collègues, confrères, partenaires de l’ESÄ, chers étudiants, 

            Une rentrée universitaire est toujours un moment émouvant parce qu’il nous associe à l’arrivée dans un cycle d’études supérieures et dans l’âge adulte d’une nouvelle génération de jeunes gens. Il nous place au seuil d’une histoire à venir, devant une infinité de mondes possibles.

Ce moment un peu solennel  passé,  au cours des mois qui vont suivre, vont commencer à se nouer, entre vous, des liens durables, fraternels et professionnels, à s’articuler et à se fortifier des goûts, des choix, des convictions et des principes, à se communiquer des gestes, des savoirs et savoirs-faire, des méthodes et des disciplines.

            Mais une école supérieure d’art est également une institution particulière en ceci qu’elle place spécifiquement, au cœur de son projet pédagogique, les questions de la liberté, du courage et de la responsabilité.

             De la liberté, on pourrait penser qu’il y ait peu à dire, tant il semble que chacun y aspire naturellement. Il s’agit évidemment du premier des grands principes inscrits au fronton de notre République et le fondement même de tout état démocratique. 

            L’observation du monde qui nous entoure nous montre pourtant que cet idéal n’est pas universellement partagé et que prospèrent en de nombreux points de la planète des régimes totalitaires et des instruments de propagande qui tentent d’en contrarier l’influence bénéfique par la haine, la peur, le mensonge et la violence.

            Nous avons vu dernièrement et continuons de voir les tenants de ces ennemis de la liberté perpétrer sur notre territoire, et sur ceux de démocraties proches et lointaines, des actes violents et barbares. Ceux-ci ont pour objectif de déstabiliser les Etats, de diviser les populations et de faire régner la peur, cette peur qui est un si bon produit pour le commerce médiatique et les démagogues de tout poil.

            Cette peur qui est le plus dangereux ennemi de la liberté.

            S’opposer fermement à l’obscurantisme, sans haine, sans généralisations simplificatrices, en refusant de céder au repli communautaire, fourbir ses arguments, se documenter, lire, partager, discuter, voici qui demande du courage. Et c’est bien ce genre de courage que nous espérons, aujourd’hui comme hier, voir fleurir au sein d’une institution qui se réclame des arts, de la culture et de la communication.

            Ce courage, ce sont vos professeurs, en première ligne, qui ont pour rôle et pour mission de vous le communiquer. En refusant de céder à la peur, à l’angoisse d’un monde qui change sans cesse et dont les défis sont formulés de manière inédite pour chaque nouvelle génération. 

            Quelles que soient les difficultés actuelles de nos pays, nos cultures, nos économies, nos établissements publics - et ces difficultés, comme toujours, existent - ne cédons jamais à cette affirmation facile et mensongère que « c’était mieux avant ». D’abord, parce que c’est objectivement faux: tous les paramètres permettant de mesurer le niveau de vie font apparaître que nos sociétés progressent globalement, ensuite parce que par essence « avant » n’existe pas et ne revient jamais et enfin parce qu’une telle position d’existence revient à communiquer à la jeunesse l’idée que les carottes sont cuites et qu’on lui confierait un monde invivable, ingouvernable et sans avenir. 

            En ce sens, s’il faut encourager la connaissance de l’Histoire et son étude, c’est précisément parce qu’on ne revient jamais en arrière et que l’Histoire permet de comprendre le présent et, peut-être parfois, d’anticiper un possible futur. Avancer dans le présent, progresser, prendre pleinement et lucidement conscience des données de l’expérience humaine ici et maintenant est la seule attitude possible pour un pédagogue s’il entend communiquer autre chose que de l’angoisse, du désespoir et une stérile nostalgie. 

            Avoir du courage et communiquer du courage est donc la première condition pour surmonter les obstacles historiques qui se présentent à nous et qui se présentent toujours pour la première fois même s’ils empruntent des formes que nous croyons connaître. 

            C’est à ce prix que vous vous mettrez en état de produire des formes neuves, d’atteindre à l’originalité, à l’inédit, à l’inouï. Pour autant, il serait inepte d’ignorer les problèmes et les difficultés. Chercher à les connaître pour les dépasser par l’inventivité est un moteur créatif puissant. Se confronter aux obstacles, c’est être porté à les réduire par l’action.

            Car avoir du courage ne suffit pas. Il ne suffit pas d’être lucide, encore faut il trouver un point d’application et d’action, c’est-à-dire un engagement concret dans le monde, sans quoi, comme une plante meurt de n’être pas nourrie et arrosée, les plus grands élans se brisent. 

            L’engagement est du ressort de cette troisième grande question: la responsabilité.J’ai déjà parlé de celle des professeurs et c’est maintenant aux étudiants que je m’adresse. Cette responsabilité commence avec la nécessaire solidarité qui doit absolument exister entre vous, pour renouveler sans cesse le sens même de l’existence de cette institution et pour vous permettre d’y puiser les outils, les moyens humains et les expériences capables de faire advenir ce que chacun d’entre vous porte de devenir-artiste.

            Par-delà l’école d’art, c’est à une solidarité humaine, à une fraternité sans frontières que convoque une telle formation: en s’appuyant sur les coopérations locales, régionales, nationales et internationales, elle permet la construction, le développement et la consolidation de réseaux d’échange culturels, artistiques et professionnels. Au sein de cette construction, chacun est responsable pour la communauté et devant la communauté.

En ce moment où vous intégrez un établissement public, vous en devenez - en même temps que l’usager - l’ambassadeur et l’émissaire. 

            Tout ce qui agit transforme le monde, pour le meilleur et pour le pire. Devenir un artiste, c’est devenir un être agissant au sein d’une communauté humaine où agir est une responsabilité, qui engage toute la communauté, quelle que soit l’échelle d’action. Le rôle d’une école est de faire exister une image du monde devant vous, la plus complète et diverse possible, d’en faire intervenir les acteurs, d’en présenter les objets, les réalisations, les situations, pour vous en remettre les clefs au terme d’une formation plus ou moins longue, qui pour chacun d’entre vous est un parcours unique, une aventure originale, semée de réussites, de difficultés, de joies et d’efforts.

            Une école n’est pas une boîte noire inerte, traversée par des générations changeantes: elle change avec ceux qui l’animent; elle est un organisme vivant. Pour des raisons historiques, les écoles d’art françaises traversent actuellement une période de mutation et d’incertitude particulière. Les rôles des collectivités territoriales changent. De profondes réformes du service public et des institutions sont à prévoir. C’est le propre de chaque époque. Il conviendra d’accompagner la vôtre dans cette aventure, qui n’est pas celle d’une défaite annoncée mais la prise en compte des temps qui changent. Personne d’autre que vous, acteurs du présent sur le seuil de ce voyage, n’est mieux armé pour vivre ces temps et personne ne peut vous dire comment il faut les aborder. Mais il est en notre pouvoir de pédagogues, d’élus, de représentants des collectivités territoriales, des institutions, de libérer, d’encourager et de nous sentir responsables envers vous en offrant à votre usage un établissement qui puisse répondre en temps et en heure, avec inventivité, aux projets qui seront les vôtres.

          Après tous ces messages et en conclusion, je voudrais terminer par un dernier message. On ne saurait oublier que nous traversons une période bien particulière de notre histoire en raison de la crise que vivent nos sociétés.

Le monde culturel et artistique ne peut échapper à l’examen de conscience qui s’impose à l’ensemble de la société face à la montée des radicalismes qui nourissent les mouvements terroristes.

Que devons-nous repenser, remodeler, inventer pour faire face aux défis de notre temps ? 

“Mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde” disait Albert Camus. Oui, trois fois oui: les arts et la culture portent le souffle de la liberté et de la tolérence, de l’intelligence et de l’invention!

            Bienvenue chez vous, bienvenue dans cette école que nous continuons d’inventer ensemble.

Ivan Renar

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