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Billet de blog 20 novembre 2014

Perpignan: école d'art en danger

Loin de la capitale, se joue, dans une province ensoleillée de la France, un événement qui aurait pu passer inaperçu : la fermeture de l'école d’art de Perpignan (HEART). Cette fermeture annoncée préfigure-t-elle une inquiétante extinction des lumières?

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Loin de la capitale, se joue, dans une province ensoleillée de la France, un événement qui aurait pu passer inaperçu : la fermeture de l'école d’art de Perpignan (HEART). Cette fermeture annoncée préfigure-t-elle une inquiétante extinction des lumières?

Monsieur Jean Marc Pujol, Maire UMP de Perpignan, a remporté les dernières élections municipales face à Louis Aliot, numéro deux du Front National, au cours d'une élection difficile, dans laquelle le candidat UMP devait donner des gages d’ouverture au centre gauche pour l’emporter au second tour, face à un FN très bien implanté localement.

Dans ce but, Jean Marc Pujol avait placé à sur sa liste pour la direction de la culture M. Jordi Vidal, historiquement lié à certains mouvements syndicaux militants et exprimé le souhait de voir l’Ecole d’art incarner le fer de lance d’une politique culturelle avant-gardiste, pour réenchanter le territoire. Il avait, dans ce sens, inauguré un Centre d’Art contemporain auquel avait été donné le nom de Walter Benjamin, geste qui pouvait être interprété comme une tentative de convaincre une partie de l'électorat de gauche de lui accorder sa confiance.

LA CULTURE COUTE TROP CHER ? ESSAYEZ L’IGNORANCE…

A peine élu, Jean Marc Pujol prit la décision de remplacer M. Jordi Vidal, par M. Michel Pinell, directeur d’agence bancaire et collectionneur de peinture. La nouvelle équipe en place, contre toute attente, semble à présent vouloir utiliser l’école d’art, peut-être pour justifier un bilan comptable apparemment inquiétant dont elle est désignée à tort comme largement responsable. Il s'agit là d'une accusation tout à fait infondée, mais qu'il est cependant relativement facile de faire circuler, tant l'activité et la réalité d'une école d'art échappent généralement aux contribuables. L'art et la culture sont hélas traditionnellement perçus comme somptuaires et dispensables. En voulant réaliser des économies (bien maigres d'ailleurs) sur le dos de l'art et de la culture, on en oublie cette vérité essentielle qui est que la richesse d'un pays comme la France est l'intelligence et qu'une école d'art est un des lieux où elle peut se développer, s'affirmer et s'émanciper. Pourtant l'équipe municipale ne manque pas une occasion de faire observer que l'école coûte trop cher, qu’elle n’est plus désirable, que les étudiants ne sont même pas originaires de Perpignan.  

LE SENS DU SERVICE PUBLIC

L’école d’art de Perpignan a développé un projet d’école axé sur la transmission et le document. La transmission, parce qu’elle a été une école pilote en France, notamment avec ses ateliers pour enfants. Elle fut l’une des premières à développer des projets artistiques innovants avec les écoles, les prisons, l’hôpital, en associant à chaque fois professionnels, étudiants et artistes. Le document, parce que Perpignan est chaque année la ville hôte d’un festival international de photojournalisme – Visa pour l’image. Il ne s’agissait nullement, pour l’Ecole d’art de Perpignan, de devenir une école de journalisme, mais bien plutôt de montrer qu’en marge de l’économie de l’information et de la circulation des images, il existait un versant critique de la création contemporaine, consacré au style documentaire. Il y avait là potentiellement un dialogue intéressant, qui offrait d’ailleurs de nouvelles perspectives à la médiation de l’information et à l’éducation aux images.

La suite n’a malheureusement pas confirmé ces heureux auspices puisqu' après avoir rencontré la DRAC début Juillet, la Mairie de Perpignan, par le biais de son élu à la culture, président de l'EPCC HEART, a décidé de contacter les étudiants ayant été reçus à la première session du concours d’entrée pour leur signifier la fermeture de la première année et ce sans consultation du conseil d'administration de l'EPCC.

Au cours du mois d’août, devant l’illégalité manifeste et signalée de cette démarche, le président de l’EPCC a convoqué un Conseil d’Administration le 5 Septembre 2014 pour faire valider rétroactivement ses actions menées sans mandat.

L’ordre du jour est modifié une semaine avant la date prévue pour le C.A., pour y ajouter la suppression de la première année, motivée par un prétendu déficit d'inscriptions.

N’ayant jamais été informé officiellement de la situation - ces décisions interviennent pendant les congés annuels d'été - les enseignants ont appris par des rumeurs sur le web que leur école était en danger.

Finalement alertés par un article paru dans la presse locale, un groupe d'enseignants a réagi en faisant publier un droit de réponse à cet article.

SAUVEGARDER L’ENSEIGNEMENT ARTISTIQUE N'EST PAS UN LUXE

L’Association Nationale des Ecoles d’Art (ANDEA) réunie en Séminaire d’été à Metz les 4 et 5 Septembre dernier a évoqué la situation de l’Ecole de Perpignan dans ces termes : «Les élus présents ont rappelé combien l’école d’art participait non seulement à l’identité du territoire mais aussi à son dynamisme et à son rayonnement. C’est la volonté politique locale qui est déterminante, comme le rappelle par la négative le cas de la Haute Ecole d’Art de Perpignan, aujourd’hui menacée de fermeture par la nouvelle équipe municipale. Au raisonnement à courte vue qui conduit à cette situation, nous ne pouvons qu’opposer la force et la nécessité d’un réseau national apte à mailler l’ensemble du territoire et à garantir un enseignement supérieur artistique de proximité jusque dans les régions les plus délaissées. »

Durant le même temps se tenait à Perpignan la réunion de l’EPCC de la HEART, lors de laquelle a été entérinée la décision de supprimer la première année. La DRAC a insisté pour que cette suppression ne soit actée que pour l’Année 2014-2015, le temps de recruter de nouveaux enseignants, ce qui ne semble pas être l’intention de la Mairie. Des inquiétudes existent par ailleurs quant au renouvellement des contrats de trois jeunes professeurs contractuels en CDD qui doit se faire à la fin de l’année. 

La rentrée se faisant le 29 Septembre, les étudiants se sont réunis dès les premiers jours de septembre pour mener une première action, à l’occasion de l’inauguration d’une fresque de street art dans le centre de Perpignan, en présence de l’élu à la culture. Ils ont manifesté silencieusement en signifiant leur opposition à la fermeture de leur école en brandissant une banderole sur laquelle était écrit le slogan suivant : « La culture coûte trop cher ? Essayez l’ignorance ! ».  

Enseignants et étudiants doivent faire face à un tir nourri de la part de la Mairie qui les choque profondément. Cette communauté d’enseignement supérieur travaille depuis des années avec des moyens considérablement réduits. Elle donne le meilleur d’elle-même sur un territoire difficile et s’acharne à faire reconnaître sa culture de projet. Aujourd’hui il semble avoir été décidé, peut-être bien en amont des dernières élections, que cette école presque bicentenaire serait fermée. La mairie semble vouloir liquider cette école au plus vite. L'école est priée d’accepter en silence et avec résignation sa fin, au mépris des situations particulières de ses professeurs et étudiants, au mépris des valeurs républicaines et de tout ce en quoi ils croient.

Les professeurs et les étudiants de cette école en appellent aujourd’hui à un élan républicain en faveur de leur communauté et plus généralement en faveur de l’enseignement supérieur artistique. Dans le cas présent de l’Ecole d’art de Perpignan, il est souhaitable que l’agglomération, le conseil général et le conseil régional s’engagent à leur tour dans cette lutte.  

L'école supérieure d'art du Nord-Pas-de-Calais Dunkerque-Tourcoing s'associe très évidemment à cet effort et s'emploiera à relayer et à soutenir les initiatives menées en faveur de la sauvegarde et du développement de la Haute École d'Art de Perpignan.

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