L'année universitaire 2014-2015 est marquée par l'introduction de plusieurs dispositifs innovants en matière de professionnalisation des étudiants, parmi lesquels l'Agence ESÄ, agence intégrée à l'école supérieure d'art du Nord-Pas-de-Calais sous la direction de Nathalie Poisson-Cogez, responsable de la Recherche et de la Professionnalisation (entretien à venir très prochainement) et ARCOMIND (Art, Commerce et Industrie), un cycle de conférences et de rencontres avec des acteurs professionnels des champs de l'art, de la culture, de la communication, des industries et du commerce de biens et services culturels. Cette formation diplômante - elle débouche sur la délivrance d'un certificat d'établissement - est mise en musique cette année par Christophe Cellier, artiste visuel et entrepreneur lié à l'incubateur d'entreprises de la Plaine Images à Tourcoing.
L'entretien suivant est l'occasion de faire un point sur la nature, les moyens et les objectifs de ce cycle de conférences, son articulation avec les axes stratégiques et pédagogiques de l'établissement, les enjeux et les défis qui en suscitent l'existence.
Qu’est-ce qu’ARCOMIND ?
ARCOMIND est l’acronyme de « Art Commerce et Industrie ». Il désigne au départ un cycle annuel de dix conférences proposé par Ronan Prigent, directeur général de l’ESÄ, aux directeurs de la Chambre de Commerce et d’Industrie et de la faculté Badji Mokhtar d’Annaba, en Algérie, où l’ESÄ a ouvert une classe déconcentrée (CDA) en 2013-2014. Ce cycle, animé par des entrepreneurs membres de la chambre de commerce et d’industrie d’Annaba à l’intention des étudiants en art de la CDA, a été pensé afin d’établir des liens entre les études supérieures d’art, traditionnellement confinés aux seuls domaines esthétiques et professionnels de l’art et de la Culture - essentiellement de nature institutionnelle - et les mondes de l’industrie et du commerce. Parallèlement, l’ESÄ et l’université de la ville d’Annaba envisagent de s’appuyer sur ce programme pour co-construire la première licence professionnelle franco-algérienne. Ainsi, ce projet professionnalisant est-il directement issu de la transposition sur les sites français de l’ESÄ, à Dunkerque et à Tourcoing, d’un projet pédagogique né de la coopération internationale entre l’ESÄ et ses partenaires algériens. En Algérie comme en France, ARCOMIND est donc un dispositif pédagogique de professionnalisation qui se donne pour objectif d’opérer la rencontre entre les sphères traditionnellement hétérogènes - en particulier dans le contexte français - de l’art, la culture d’une part et l’industrie, le commerce, l’entreprise d’autre part. Ce projet pose comme un axiome que cette rencontre est une condition d’émergence de formes nouvelles sur les plans de l’économie, de la citoyenneté, de la politique culturelle et de l’esthétique. En outre, il s'agit d'une formation diplomante, puisqu'un certificat d'établissement est remis aux étudiants de second cycle ayant suivi l'ensemble des conférences.
Quel est votre rôle dans ce dispositif ?
J’y joue un rôle d’interface. Mon parcours et ma formation tendent à synthétiser ces deux mondes, puisque je suis avant tout un artiste visuel, ancien diplômé de l’école supérieure d’art de Tourcoing qui a enseigné les arts plastiques, avant de créer, en tant qu'entrepreneur, un projet professionnel dans le cadre de la pépinière d’entreprises de la Plaine Images. Deux mondes qui ne sont pas si antinomiques qu’on pourrait le croire au premier abord, d’ailleurs, puisque d’une part beaucoup d’artistes contemporains empruntent aux formes entrepreneuriales et que, d’autre part, de nombreux chefs d’entreprises sont des collectionneurs d’art, parfois extrêmement pointus. Certaines entreprises créent des fondations d’art contemporain ou se trouvent être commanditaires de marchés artistiques. Par ailleurs, l’ensemble des métiers de la création, débordant très largement le seul champ de l’art, s’ouvre aux jeunes diplômés des écoles supérieures d’art et il entre dans les missions de ces établissements de les y préparer. L’ESÄ m’a confié la tâche d’organiser dix conférences thématiques regroupant les secteurs économiques où l’expression artistique joue un rôle prédominant.
À quel besoin pédagogique répond-t-il ?
Sans vouloir répondre à la place de la responsable de la professionnalisation à l'ESÄ, Nathalie Poisson-Cogez, je dirais que le besoin pédagogique est, à mon sens, lié à une analogie de nature entre les arts plastiques et l’entrepreneuriat, dans la mesure où ils découlent tous deux d’une pensée en action qu’il s’agit de structurer. Ce besoin nait aussi, comme nous l’avons dit, du manque actuel de porosité entre ces deux mondes qui semblent jusqu’ici, avoir pratiquement coexisté sans dialoguer. Très concrètement, il s’agit de donner corps et réalité à cette mission de professionnalisation, dévolue à l’enseignement supérieur et que les écoles d’art ont souvent peiné à mettre en œuvre, faute d’un habitus méthodologique et d’un positionnement adéquat des équipes enseignantes et faute d’un volontarisme programmatique émanant des directions pédagogiques. J’ai moi-même souffert de l’absence de guidage et de repères professionnels solides lors de ma sortie de l’école d’art, dans les années 1990. Aujourd’hui, face à un contexte de mutation des modèles économiques, politiques et culturels, dont le caractère panique n’échappe à personne, il devient évident que l’isolement ne peut demeurer une stratégie opérante. L’école d’art ne peut se contenter d’être un sanctuaire inexpugnable et doit à ses étudiants de s’ouvrir au monde, de leur permettre de créer, nourrir et développer des réseaux professionnels larges, performants et internationaux et susciter des rencontres - y compris parfois sur le mode de la confrontation, du débat contradictoire, de la négociation conceptuelle - permettant d’offrir des perspectives d’action, de prise sur le monde, d’engagement responsable dans la Cité.
Quelle est la nature de la convention qui lie votre structure avec l’ESÄ ?
Elle est fonction du projet que je développe actuellement à la Plaine images: DIPOGAMIC (Digital Poetic Game Interactive) est une agence de création et de production d’installations d’œuvres d’art numérique interactives à destination des musées, des événements de prestige et des lieux relevant du patrimoine. Le terme poetic game concerne l’ensemble de la création artistique perçu sous un angle ludique, « vous jouez et vous créez en même temps ».
La structure s’inscrit dans cette continuité et répond à différents enjeux :
- revendiquer sa technicité sur un marché technologique;
- établir une ligne de prestige et d’excellence fondée sur une expertise ludique sur un marché événementiel lié au consulting, à la communication, au luxe, à l’automobile, à l’immobilier, au sport;
- intégrer les nouveaux moyens d’expression et de diffusion des marchés de l’art (galeries, salons, foires) et des marchés de la culture (institutions, musées, chaînes culturelles);
- promouvoir les cultures actuelles.
Les stagiaires de l’ESÄ que je reçois dans ce cadre se voient confier des missions concernant le marché de l’art numérique ou la réalisation de projets multimédias de la future agence. DIPOGAMIC reçoit actuellement Martin Bayart, stagiaire en provenance de l’IAE de Lille, qui y mène une étude du marché des parcs d’attraction, Mona Schmidtke et Charles Gallay, étudiants du site Tourquennois de l’ESÄ, qui y mènent respectivement une étude du marché germanophone de l’art numérique et une mission d’assistance à la réalisation d’une bibliothèque visuelle interactive associant la danse, la boxe et les arts plastiques.
D’autres partenaires sont-ils associés à ARCOMIND ?
Les premiers partenaires d’ARCOMIND sont bien naturellement les intervenants professionnels qui ont accepté de participer aux conférences parmi lesquels, ACNOT, Art Up ou Lille Design. Cela dit, étant donnée la densité des coopérations mises en place par l’ESÄ au plan régional, national et international, il n’y a virtuellement pas de limite à l’ampleur des partenariats possibles. Mais, face à une créativité institutionnelle qui paraît sans limites, il est, je crois, important de ne mettre en œuvre que ce qui est peut être réalisé ici et maintenant, en s’appuyant sur les équipes pédagogiques, les contraintes budgétaires, les effectifs étudiants tels qu’ils se présentent à l’instant t, quitte à donner plus d’ampleur et d’étendue au dispositif si d’autres écoles décident de le rejoindre. Je pense bien sûr que l’on pourrait donner une plus grande dimension à ARCOMIND en l’élargissant aux deux autres écoles supérieures d’art de la Région, celle de Cambrai et celle de Valenciennes, avec des journées d’études, des colloques et des séminaires. ARCOMIND pourrait également s’étendre aux autres partenaires académiques de l’ESÄ, comme le Le Fresnoy - Studio national des arts contemporains ou l’École Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Lille, par exemple. Pour cette première édition 2014-2015 d’ARCOMIND, il me paraît plus prudent de tabler sur l’autonomie et la modestie d’un projet porté et financé entièrement par l’ESÄ, d’autant qu’il s’agit d’une première et d’une phase expérimentale, qui fera évidemment l’objet d’une restitution, a minima sous la forme d’une publication numérique dans la collection LUE-Pedago de l’ESÄ.
A qui le cycle s’adresse-t-il ?
Le cycle s’adresse en priorité aux étudiants de phase projet, c’est à dire de quatrième et cinquième année des deux sites. Cependant il est ouvert à ceux qui le souhaitent, y compris aux publics Tourquennois et Dunkerquois inscrits à la formation ALTA (Auditorat Libre en Théorie de l’Art), l’Université populaire de l’ESÄ, ouverte depuis septembre 2014.
Comment choisissez-vous les intervenants ?
Les intervenants de cette année travaillent sur le territoire régional ou national et partagent l’envie de communiquer leur passion de l’art et du commerce.
Quelle est l’articulation d’ARCOMIND avec les différents modules de professionnalisation proposés par l’ESÄ et notamment avec l’Agence ESÄ ?
ARCOMIND permettra de faciliter les contacts entre les étudiants et les chefs d’entreprise, à ce titre ces derniers apporteront une méthodologie qui permettra à l’agence ESÄ de mieux répondre aux objectifs qu’elle s’est fixée. Pratiquement, les conférences prononcées par chacun des intervenants seront prolongées par une rencontre en petit comité avec les étudiants qui animent l’Agence ESÄ, agence intégrée à l’école, au sein de laquelle ils répondent à des appels d’offre professionnels sous la supervision de Nathalie Poisson-Cogez, responsable de la recherche et de la professionnalisation. Par ailleurs, les étudiants de l'ESÄ sont dores et déjà astreints à effectuer deux stages professionnalisants au cours de leurs études, l'un en phase programme (années 1 à 3), l'autre en phase projet (années 4 et 5) et ARCOMIND est une ressource supplémentaire permettant de nourrir le réseau professionnel de l'école et d'étendre l'offre en matière de stages.