Économistes au laboratoire Triangle, nous participerons à la journée de mobilisation du 18 septembre, car l'austérité budgétaire que nous subissons déjà durement dans nos établissements (Lyon 2, Sciences Po Lyon et l'ENS Lyon) et qui sera accentuée par les annonces gouvernementales, contrevient frontalement à nos missions de service public en tant qu'enseignant.e.s. et chercheur.e.s.
Économistes, nous mesurons l'inanité d'un budget d'austérité qui sacrifie l'avenir de la jeunesse sur l'autel d'une politique dogmatique et inefficace. Dogmatique, car elle ne va pas chercher des ressources budgétaires là où elles sont - par exemple en taxant les plus fortunés -, et ne taille pas dans les dépenses qui ont fait la preuve de leur inefficacité - par exemple les exonérations fiscales et allègements de cotisations sociales accordés aux entreprises. Inefficace, car les coupes budgétaires auront des effets économiques et sociaux délétères : ralentissement de l'activité et donc des recettes qui creuseront un peu plus les déficits et la dette, services publics déjà à l'os qui ne peuvent plus assurer leurs missions auprès de tous et des plus précaires en particulier. Rappelons-le, l’accroissement du déficit budgétaire en France est dû, non à une explosion des dépenses publiques, mais à une baisse organisée des recettes. La nécessaire consolidation budgétaire peut prendre d'autres voies, autrement plus efficaces et justes.
Enseignant.es chercheur.es, nous mesurons au quotidien les effets des coupes budgétaires sur nos missions de service public. Comment les porter avec toujours moins de moyens ? Il ne s'agit pas d'ajustements à la marge, comme on le laisse croire, mais de l'impossibilité même d'assurer nos missions.

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Ces coupes budgétaires suppriment des postes d’enseignant.e.s (titulaires, contractuels, vacataires, etc.) et poussent à la démultiplication des contrats précaires. Elles impactent frontalement les conditions d’enseignement : moins d’heures de formation, moins de temps à consacrer à chaque étudiant.e. Cela fragilise l’accompagnement des étudiant.e.s dans la construction de leur projet professionnel. Cela vide petit à petit la connaissance de son pouvoir de réflexion citoyenne. La mission de service public d’enseignement n’est-elle pas de nourrir de connaissances des citoyens éclairés, capables de participer au débat public? N’est-elle pas de fournir une éducation supérieure gratuite à toutes et tous ?
Ces coupes budgétaires touchent aussi directement les professionnels non enseignants qui permettent ces enseignements, dans les secrétariats, dans les bibliothèques, dans les services informatiques, de santé, d'entretien etc., indispensables au fonctionnement quotidien du service public d'enseignement. Ces professionnels (Biatss) sont les premiers concernés par une précarité massive, des sous-effectifs et une surcharge de travail chronique. C'est toujours plus de tâches administratives et d'étudiant.e.s à accueillir avec moins de moyens humains. C'est accueillir des étudiant.e.s touchés de plein fouet par la précarité, avec des problèmes de santé et en détresse psychologique, sans pouvoir les accompagner. Ce sont des bibliothèques de plus en plus surchargées. Comment étudier sereinement quand l'université n'est pas en mesure d'offrir des conditions d'études dignes ? Ce sont bien les personnels, enseignants et non-enseignants, qui sont au front de l'abandon généralisé de notre jeunesse.
Qui ignore encore les files d’attente interminables aux banques alimentaires étudiantes ? Il n'est que de passer les mardis soir à la distribution alimentaire de la Maison des étudiants de la Métropole de Lyon pour le constater. A Lyon, chaque année des étudiant.e.s toujours plus nombreux en licence et en master sont sans logement, n'ont pas de quoi se nourrir décemment et demandent à être suivi.es pour dépression. Être enseignant.e en France en 2025 ce n’est pas juste s’adapter aux coupes budgétaires. C’est enseigner à des étudiants sans chaises, sans table et sans matériel. C’est ne pas pouvoir accompagner pleinement des étudiant.es en détresse, faute de moyens élémentaires dans les différents services de l'université.
Notre mission de recherche est elle aussi mise en péril par le désengagement budgétaire et par le climat politique. Nous hésitons parfois à prendre la parole dans une ambiance répressive qui n'épargne pas les universités, mettant en danger par glissements successifs, la liberté de parole et d’expression. Quand tout mouvement social est traité comme un désordre à réprimer, l'on en vient à craindre de dire simplement que l’on s'oppose à une politique de destruction du service public, par peur de conséquences sur son avenir professionnel, en particulier pour les jeunes chercheur.es dont l'emploi et l'avenir sont toujours plus incertains. Nous craignons parfois d’aborder certains sujets dans nos recherches, de peur de perdre des subventions ou de ne pas obtenir de financements. Nous craignons enfin de n’être pas protégés par l'institution face aux attaques de plus en plus nombreuses et menaçantes de l’extrême droite et de ses relais.
Nous ne pouvons plus accomplir pleinement et correctement nos missions si nos tutelles n'ont d'autre orientation que de diminuer les dépenses, réduire les postes, intensifier la sélection par des dispositifs déloyaux vis-à-vis des étudiant.e.s, réprimer les libertés académiques. Nos missions se muent en simulacre : l'objectif, enseigner et chercher, est perdu de vue au profit d'une gouvernance bureaucratique dont les modalités prennent le pas sur le reste : tri de dossiers, traitement de mails, réunions, classements, reporting... en boucle... de mois en mois... et d'année en année...
À l'occasion de cette journée du 18 septembre, nous choisissons de reprendre collectivement la parole, dans l'élan de confiance que permet ce mouvement collectif, afin de défendre nos missions de service public. Nous prenons la parole ensemble pour faire reculer l'isolement et la crainte auxquels sont confronté.es de nombreux enseignant.e.s-chercheur.e.s comme les personnels et étudiant.e.s de l'université. Ce qui se joue derrière ce plan budgétaire pour nos établissements, en particulier Lyon 2, et pour l’enseignement supérieur et la recherche : non des ajustements à la marge, mais une profonde désagrégation qui détériore et détruit à petit feu et à bas bruit la recherche et l’enseignement publics en France.
Texte collectif rédigé à l'initiative de 16 économistes du laboratoire Triangle – UMR 5206