Ce billet de blog résume une analyse plus détaillée (Daumas and Salin, 2021) disponible ici.
Introduction
Alors que le premier chapitre du dernier rapport du GIEC confirme que nous nous trouvons sur une trajectoire d’émissions nous menant vers des réchauffements au-delà de 3°C, entrer de plain-pied dans la transition bas-carbone semble plus urgent que jamais.
Or transformer nos économies ne se fera pas sans douleur : de nombreuses entreprises, activités et secteurs inévitablement disparaîtront, ou du moins devront fortement se réformer, si nous devons diminuer notre empreinte carbone et rendre l’avenir un peu moins inquiétant. Ces « actifs échoués », comme les appelle la littérature, sont une source de potentiels dangers pour la bonne marche de la transition. D’un côté, les travailleurs associés à ces activités, en l’absence d’une politique de reformation ambitieuse, iront enfler un chômage de masse qui risque de peser sur l’acceptabilité sociale de la transition. De l’autre, la perte de valeur des actifs financiers adossés aux entreprises carbonées représentera des pertes importantes pour leurs détenteurs, qui pourrait dégénérer en des désordres financiers, voire une crise en bonne et due forme.
Entre le marteau du chômage et l’enclume de la crise financière, un effort de transition digne de ce nom devra donc se doter de dispositifs à même de tempérer ces effets afin de garantir une décarbonation soutenue. Parce qu’elle supposerait une approche multi-sectorielle et englobante, l’usage de multiples leviers, mais également une vision de long terme concertée et légitime, la mise en place de telles institutions requerraient en retour de repenser le rôle de l’Etat dans la transition écologique. Notamment, la remise au goût du jour d’une idée de planification pour faire face aux enjeux écologiques a été mise en avant par de nombreux chercheurs (Agacinski et al., 2020; Durand and Keucheyan, 2020).
Dans ce billet, nous proposons un élément de planification écologique visant à traiter le second problème de viabilité financière, au travers de la mise en place d’une structure de défaisance ou bad bank climat. Une bad bank est une institution, publique ou privée, ayant pour mission de reprendre sur son bilan des actifs risqués ou toxiques, afin d’éviter que ceux-ci n’entraînent des pertes trop importantes ou une crise financière. Aussi, appliquer son principe à la gestion des actifs échoués et des risques financiers de transition semble assez naturel. Plusieurs propositions en ce sens ont en effet été avancées par diverses institutions, avec quelques projets déjà en cours.
- L’Institut Rousseau (2021) suggère la mise en place d’une institution financée directement par la Banque centrale européenne qui rachèterait jusqu’à 70% des actifs carbonés des banques de l’UE. La première vague d’achats se ferait à 90% de la valeur des actifs, puis avec une décote de plus en plus grande.
- L’Initiative Finance du Programme des Nations-Unies pour l’Environnement (UNEP-FI) propose, selon une approche similaire, de racheter les actifs carbonés d’après un planning bien défini le long du sentier de transition, à une fraction décroissante de la valeur des actifs (Vaccaro and Barmes, 2021).
- Larry Fink, PDG du gestionnaire d’actifs Blackrock a suggéré que les acteurs financiers mettent sur pieds des institutions de type bad bank – comme la Banque Mellon en son temps – pour gérer leurs futurs actifs échoués (Tett, 2021).
- L’Agence Internationale de l’Energie (2019) propose la mise en place d’un mécanisme visant à organiser la fermeture des centrales à charbon. Un projet semblable est actuellement mis en œuvre par la Banque Asiatique de Développement, en partenariat avec des acteurs privés.
On entrevoit bien, au travers de ces différents exemples, les liens forts entre un effort de planification et la mise en place d’une structure de défaisance climatique. Dans tous les cas, l’efficacité d’une telle structure suppose d’avoir une vision suffisamment claire des actifs risquant de futures dépréciations. Ceci invite à la mise en place d’un calendrier pour les rachats d’actifs et/ou la mise au rebut d’un certain nombre de biens capitaux (Scott Cato and Fletcher, 2020), d’un planning pour des changements éventuels de décote, mais également à l’adoption d’un sentier de transition relativement bien défini. Toute ceci suggère qu’une bad bank climat aurait toute sa place dans un effort plus global de planification écologique comme outil de limitation des effets indésirables de la transition bas-carbone, notamment dans l’optique macroprudentielle de diminution des risques financiers systémiques.
En s’inspirant d’exemples historiques, et en étudiant les contraintes et limites propres à l’application d’un tel outil à la problématique du changement climatique, il s’agira de présenter un squelette pour une telle institution, ayant pour fin de limiter les risques d’instabilité financière liés à la transition bas-carbone.
Banque de défaisance : Principe, critique et modularité
Histoire et principe d'une idée ancienne
La première banque de défaisance (ou bad bank) naît aux États-Unis dans le sillage de la Grande Dépression. Alors que nombreux Américains pris dans la tourmente de la crise financière se trouvaient dans l’incapacité de rembourser leurs prêts immobiliers, l’administration Roosevelt mit sur pied la Home Owner Loan Corporation (HOLC). Cette entité, qui agissait dans le cadre du New Deal, rachetait auprès des banques les prêts de familles incapables de rembourser. Elle offrait ensuite à ces dernières de nouvelles conditions de prêt, comme des délais de remboursement plus long, ou un taux plus avantageux. Dans le même temps, en reprenant des prêts à perte sur ses propres comptes, la HOLC a permis aux banques concernées d’améliorer leur situation financière, et de freiner la propagation et le prolongement de la crise financière. De plus, une fois débarrassées de leurs prêts très risqués, les banques ont pu se remettre à financer des activités profitables, et donc accélérer la sortie de crise.
Bien sûr, la HOLC seule n’est pas à l’origine de la sortie de crise des États-Unis, l’ensemble des institutions du New Deal et la relance keynésienne y ont été pour beaucoup plus. Néanmoins, d’un point de vue de stabilité financière et de relance du système financier, l’idée d’une institution reprenant sur son bilan des actifs risqués pour améliorer la situation des créanciers et des débiteurs et empêcher que les troubles financiers n’empirent a fait date.
De nombreuses structures de défaisance ont été mises sur pied par des acteurs publics comme privés pour gérer des actifs « non-performants », c’est-à-dire ne rapportant pas le revenu espéré, ou très risqués. Ainsi, l’une des premières bad banks de l’après-guerre fut créée par la Banque Mellon afin d’organiser la liquidation de ses prêts les plus à risque de faire défaut. Des organismes de défaisance publics furent mis sur pied lors de crises financières (Securum en Suède, 1992, ou la NAMA en Irlande après 2008), mais également dans certains pays en voie de développement pour assainir leurs systèmes financiers et servir des objectifs de politique industrielle (comme en Chine et en Indonésie).
Critique des structures de défaisance historiques
Cependant, les bad banks n’ont pas été des panacées, et ont dû composer avec un certain nombre de limites et de critiques, selon trois ordres.
Sur le plan de l’efficacité, les structures sont sources de ce que les économistes appellent l’aléa moral. L’intuition en est simple : offrir un filet de sécurité aux agents économiques les incite naturellement à prendre plus de risques qu’en l’absence d’une telle farantie. Toute chose égale par ailleurs, les agents anticipant la mise en place de telles mesures, une structure de défaisance augmenterait l’instabilité financière plutôt qu’elle ne la diminuerait. Il est donc crucial que les bad banks mettent en place des pénalités suffisamment importantes pour les banques qu’elles assistent, tout en rendant le programme de sauvetage attractif.
Une autre objection clef aux structures de défaisance est d’ordre éthique. Comme tout programme de sauvetage des banques, elles visent à freiner la propagation d’une crise financière à l’ensemble de l’économie. Mais concrètement, elles consistent en des transferts massifs de fonds vers des opérateurs financiers en grande partie responsables de la situation de crise. Ceci pose la question de la répartition des coûts liés à la crise (justice distributive) mais également de la légitimité de subventionner des investisseurs imprudents (justice rétributive).
Enfin, les bad banks posent des questions de gouvernance, de transparence et d’accountability[1], ou « redevabilité ». De nombreuses bad banks ont été attaquées pour avoir privilégié certains acteurs, tandis que d’autres n’ont pas su assurer pleinement leurs missions du fait d’interférences politiques ou de mandats mal définis.
Modularité des bad banks historiques
Pour ménager au mieux ces limites et contraintes, les structures de défaisance historiques ont déployé différents outils, aboutissant à une très grande modularité au cours du temps. Concrètement, les bad banks ont été modulées selon six grands axes :
- Leur calendrier d’action, à savoir si la structure de défaisance est intervenue après l’éruption d’une crise (ex post), ou en amont (ex ante), afin d’assainir les systèmes financiers. On voit cependant qu’une action en amont pose d’importants problèmes d’aléa moral.
- Leur envergure: Les bad banks ont été soit centralisées, et ouverte à au rachat d’actif pour l’ensemble du système financier, ou décentralisées, c’est-à-dire dédiée à aider une ou quelques institutions financières en difficulté. Le choix entre les deux options s’est surtout fait en fonction de la sévérité et de l’étendue de la crise. Cependant, une structure centralisée peut atteindre plus rapidement des économies d’échelle en termes de coûts de gestion, tandis qu’une structure décentralisée pourra adopter des pratiques plus ciblées en fonction des actifs rachetés.
- Leur structure de possession, qui détermine qui possède in fine la structure de défaisance. Comme ébauché plus haut, les bad banks ont pu être purement publiques ou purement privées, mais le capital de beaucoup d’entre elles était partagé entre puissance publique et investisseurs privés. Adopter une structure public-privée a notamment permis de limiter les coûts pour la puissance publique.
- Leur mode de financement, c’est-à-dire la façon dont la bad bank lève les fonds nécessaires à son activité : par injection d’argent public, sur les marchés financiers, voire par un financement direct par les banques centrales.
- Leur stratégie de gestion: Deux principales approches ont été adoptées par les structures de défaisance (Cas Medina and Peresa, 2016). Une approche passive consiste simplement en l’enregistrement des pertes sur les actifs pris en charge. Une approche active cherche au contraire à faire fructifier au mieux les actifs une fois la crise passée, par diverses méthodes, allant de la restructuration des prêts à la liquidation des actifs toxiques le plus rapidement possible. Un nombre croissant de bad bank privées adopte enfin une méthode de « gestion en extinction », qui consiste en l’accompagnement en douceur de la fin de vie d’un d’une activité.
- Leurs outils incitatifs : Enfin, les structures de défaisance ont fait appel à divers outils pour assurer leur mission de la manière la plus efficace possible. Ainsi, pour limiter l’aléa moral et le coût éthique du dispositif, l’outil privilégié des bad banks est la décote sur le rachat d’actif. De nombreuses bad banks ont en effet racheté les actifs des institutions financières à une fraction de leur valeur comptable[2] afin de faire en sorte que les acteurs financiers supportent une partie de leurs pertes. D’autres outils incitatifs ont visé à rendre le dispositif de sauvetage attractif.
Cette adaptabilité autour du principe de base qu’est celui de la défaisance a également servi à composer au mieux avec le contexte politico-économique prévalant lors de la mise en place des bad banks, ainsi qu’à servir au mieux l’objectif de politique publique précis que la bad bank s’était donnée. Si l’on relève évidemment des structures de défaisance dysfonctionnelles et critiquées (Klingebiel, 2002), la bad bank fait aujourd’hui partie intégrant de la boîte à outils de gestion des troubles financiers.
Les défis d’une potentielle bad bank écologique
Une banque de défaisance écologique poserait des problèmes similaires aux bad banks classiques. Mais plus grave encore, elle ferait également face à des contraintes particulières du fait de son application à la problématique écologique.
Il est évident que, si elle est mal conçue, la mise en place d’une telle structure serait vecteur d’aléa moral, aussi bien sur le plan financier qu’écologique, en incitant les agents à investir dans des activités polluantes à haut rendement qu’ils pourraient ensuite revendre à la bad bank une fois ces activités rendues interdites ou moins rentables par la transition. Ce risque, naturel pour une bad bank et qui montre la nécessité de mesures complémentaires, s’accompagned’un certain nombre d’autres défis pour une bad bank climatique.
- Premièrement, choisir quels actifs cibler est une tâche ardue. Définir ce qu’est un actif échoué est particulièrement difficile, notamment du fait des très nombreuses manières de mesurer le contenu en risque de transition des actifs (Bingler and Colesanti Senni, 2020).
- Ensuite, parce que ces actifs concernent potentiellement l’ensemble des secteurs, les coûts associés seront vraisemblablement beaucoup plus élevés que pour les bad banks
- Enfin, parce qu’il s’agira de cibler des activités encore rentables à court ou moyen terme, s’assurer de l’adhésion des opérateurs financiers – qui n’auront pas forcément un intérêt financier à abandonner ces actifs à court-terme - requerra des incitations lourdes, à moins de rendre le dispositif obligatoire.
Sur le plan éthique, il pourrait être en revanche justifié de compenser des agents ayant entrepris une activité économique sans avoir toute l’information nécessaire vis-à-vis de la contrainte climatique, ou sans alternative attractive valable. Cette idée d’un principe « échoué-compensé » pourrait s’avérer être un complément utile à la formule « pollueur-payeur » qui a structuré les politiques environnementales des quarante dernières années. Cependant, il n’est pas exclu que certaines entreprises qui sont éligibles de manière directe à la bad bank climatique aient soit délibérément agi en défaveur de la lutte contre le changement climatique, soit n’ait pas suffisamment agi en toute connaissance de cause. Des travaux académiques ont de fait établi la responsabilité de pétroliers américains dans le ralentissement de l’action climatique (Oreskes and Conway, 2010). De plus, l’émergence de précédents juridiques sur la responsabilité historique de certaines entreprises, comme Shell aux Pays-Bas (Milleret, 2021), pourrait rendre contestable l’application d’un dispositif bad bank. Ensuite, d’un point de vue de justice redistributive, il n’est pas évident d’identifier qui devra supporter in fine le coût de la bad bank entre acteurs privés, contribuables, voire banques centrales.
Enfin, les problèmes liés à la gouvernance de la structure de défaisance écologique se poseraient notamment au niveau de la définition de son mandat. Il n’est en effet pas du tout évident de déterminer si la bad bank doit cibler des actifs financiers ou physiques. Dans le premier cas, l’objectif serait prioritairement de limiter les désordres financiers en ce qu’il s’agirait de décharger les bilans des entreprises financières. Dans le second cas, les entreprises non-financières seraient ciblées, et l’objectif prioritaire serait d’offrir les liquidités nécessaires à la reconversion des activités. L’assise géographique de la structure de défaisance pose également problème. Toutes les bad banks historiques ont été mises en place à l’échelle nationale, mais un effort de coopération internationale autour de la transition bas-carbone pourrait être souhaitable.
Une modeste proposition pour accompagner la planification écologique
Afin de faire face à ces limites, et pour répondre à certaines questions, nous exposons ici une proposition de design le long des éléments de modularité mentionnés plus haut, pour une éventuelle structure de défaisance climatique.
- Calendrier d’intervention: Parce qu’elle ferait partie d’un ensemble plus vaste de planification écologique, la structure de défaisance climatique agirait de manière préventive et rachèterait les actifs carbonés avant leur dévaluation, pour éviter une crise financière.
- Envergure: Nous suggérons un réseau de bad banks décentralisées chapeautées par un coordinateur central rattaché aux autorités financières. Ce choix est motivé par le fait que les expositions aux risques financiers sont concentrées dans les mains d’acteurs systémiques (Battiston et al., 2017).
- Structure de possession: Plusieurs des propositions mentionnées plus haut suggèrent des dispositifs purement publics. Cette solution aurait certainement des avantages, au premier chef celui de limiter les éventuels coûts de transaction, mais surtout de laisser un totale discrétion à la puissance publique dans le choix des actifs à racheter. Cependant, dans l’objectif de réduire les coûts de la structure, et au vu du succès historique des bad banks publiques-privées relativement aux bad banks purement publiques (Klingebiel, 2002), permettre une participation du secteur privé en-deçà de 50% du capital pourrait permettre d’équilibrer contrôle, coûts et efficacité.
- Mode de financement : Au vu des coûts importants d’un tel dispositif, se reposer uniquement sur des financements privés externes ou des ressources fiscales présentes (taxes) comme futures (dette publique) semble difficile. Aussi, certains auteurs (Giraud, 2020; Institut Rousseau, 2021; voir également Monnet, 2021) ont suggéré de s’en remettre à un financement par la création monétaire via les banques centrales. Cependant, cette solution pose d’importants problèmes en termes de justice rétributive, en ce que cela équivaudrait à ouvrir une manne de liquidité à d’éventuels pollueurs historiques. Le recours au financement de la banque centrale ne doit pas non plus être compris comme une panacée. La barrière inflationniste n’est jamais loin[3], et, hors des pays du Nord, les capacités de monétisation sont limitées par les contraintes de change. Nous suggérons donc un recours prioritaire aux canaux de financement conventionnels, mais de briser du même coup le tabou de la monétisation, et en autorisant un recours encadré et raisonné.
- Stratégies de gestion: Nous souscrivons pleinement à une approche de « gestion en extinction ». L’objectif de la bad bank climat sera d’aménager les termes de certaines créances rachetées, afin de faire en sorte que les actifs menacés de dépréciations performent le mieux possible, tout en s’assurant qu’ils s’éteignent progressivement dans un objectif d’atteindre la neutralité carbone.
- Outils d’incitation: Les questions d’aléa moral étant cruciales, reprendre la proposition d’une décote croissante avec le temps, basée sur une planification bien établie du rythme de la transition semble souhaitable. Ceci permettrait aux agents financiers de déterminer leur timing de vente optimal, et d’ancrer les anticipations de manière efficace. Le dispositif serait obligatoire pour les institutions éligibles.
Au-delà de ces éléments de modularité, les questions (i) du ciblage des actifs fixes, (ii) du critère d’éligibilité des actifs et (iii) du mode de gouvernance et de l’ancrage géographique posent des problèmes plus spécifiques à une bad bank climatique.
Nous considérons premièrement que, cibler les actifs physiques ne devrait pas être la priorité d’une structure de défaisance climatique. En effet, cela reviendrait à donner à une institution de régulation financière un mandat de politique industrielle. Si cela a été fait par le passé (Monnet, 2019), le degré contemporain de séparation entre régulation financière et éléments de politique publique pose des problèmes en termes de légitimité démocratique. De plus, la question des actifs physiques est indissociable de celle de la reconversion des travailleurs impliqués dans les processus de production, une mission qui semble sortir du cadre d’une bad bank.
Le choix des actifs éligibles devrait être fait selon des critères scientifiques régulièrement mis à jour. Le critère devrait être assuré par une institution indépendante unique et publique, pour éviter la prolifération de labels concurrents. Il pourrait prendre la forme d’un pendant « Brun » à la « Taxonomie Verte » mise en avant par la Commission Européenne. Enfin, le choix des actifs devrait aussi se faire sur critère financier, les actifs adossés aux entreprises les plus vulnérables devant être ciblés en priorité.
Enfin, au vu des difficultés à mettre en place une gouvernance mondiale sur la question du climat en général (Aykut and Dahan-Dalmédico, 2014), une coordination internationale à l’échelle d’une bad bank semble a fortiori complexe. Se concentrer en priorité sur des institutions nationales (ou régionales dans le cadre de l’UE par exemple) serait un premier pas, la coordination entre structures de défaisance venant en second lieu.
Pour résumer, la structure de défaisance que nous proposons agirait de manière préventive, pour éviter l’éruption des risques de transition. Elle consisterait en un réseau d’institutions ciblées et chapeautées par un superviseur, rattaché aux autorités de régulation financière de la juridiction concernée. Elle inclurait un degré de participation privée, mais serait principalement soutenue par les pouvoir publics, avec une possibilité de financement par la banque centrale. La structure adopterait une pratique de gestion en extinction. Les actifs seraient rachetés à une décote croissante avec le temps, en accord avec la planification de la transition. Les actifs éligibles seraient déterminés sur la base d’une taxonomie claire, indépendante et évolutive.
Une telle institution doit bien sûr se comprendre comme complémentaire d’un ensemble plus vaste de mesures dédiées à la transition écologique. Si sa faisabilité politico-économique est encore à étudier, l’existence de nombreux précédents similaires et de projets dans cette direction porte à l’optimisme.
Références
Agacinski, P.D., Bueb, J., Faure, A., Fosse, J., Garner, H., 2020. Point de vue - La planification : idée d’hier ou piste pour demain ? 11.
Aykut, S.C., Dahan-Dalmédico, A., 2014. Gouverner le climat? vingt ans de négociations internationales, Références. Développement durable. Presses de la Fondation nationale des Sciences politiques, Paris.
Battiston, S., Mandel, A., Monasterolo, I., Schütze, F., Visentin, G., 2017. A climate stress-test of the financial system. Nature Climate Change 7, 283–288. https://doi.org/10.1038/nclimate3255
Bingler, J.A., Colesanti Senni, C., 2020. Taming the Green Swan: How to improve climate-related financial risk assessments. Economics Working Paper Series.
Cas Medina, S., Peresa, I., 2016. What Makes a Good ʽBad Bankʼ? The Irish, Spanish and German Experience 48.
Durand, C., Keucheyan, R., 2020. L’heure de la planification écologique [WWW Document]. Le Monde diplomatique. URL https://www.monde-diplomatique.fr/2020/05/DURAND/61748 (accessed 2.28.22).
Giraud, G., 2020. Banques et marchés financiers: quels obstacles à la transition écologique? Regards croises sur l’economie 164–178.
IEA, 2019. Securing Investments in Low-Carbon Power Generation Sources (Technology Report). International Energy Agency.
Institut Rousseau, 2021. Actifs fossiles, les nouveaux subprimes ? Paris.
Klingebiel, D., 2002. The Use of Asset Management Companies in the Resolution of Banking Crises - Cross-Country Experience (Policy Research Working Paper No. 2284). The World Bank.
Milleret, N., 2021. Pays-Bas : Shell condamné à réduire ses émissions de CO2 de 45 % d’ici 2030 [WWW Document]. France 24. URL https://www.france24.com/fr/europe/20210526-proc%C3%A8s-climatique-shell-bient%C3%B4t-fix%C3%A9-sur-son-sort-aux-pays-bas (accessed 2.28.22).
Monnet, E., 2021. La Banque-providence: démocratiser les banques centrales et la monnaie, La République des idées. Seuil, Paris.
Monnet, E., 2019. Controlling credit: central banking and the planned economy in postwar France, 1948-1973.
Oreskes, N., Conway, E.M., 2010. Merchants of doubt: how a handful of scientists obscured the truth on issues from tobacco smoke to global warming, 1st U.S. ed. ed. Bloomsbury Press, New York.
Scott Cato, M., Fletcher, C., 2020. Introducing sell-by dates for stranded assets: ensuring an orderly transition to a sustainable economy. Journal of Sustainable Finance & Investment 10, 335–348. https://doi.org/10.1080/20430795.2019.1687206
Tett, G., 2021. Cleaning dirty assets needs fair regulation and a “bad bank” model. Financial Times.
Vaccaro, J., Barmes, D., 2021. Aligning finance for the net-zero economy: new ideas for leading thinkers - Financial stability in a planetary emergency: The role of banking regulators in a burning world 57.
[1] Le terme d’accountability, majeur dans les démocraties anglo-saxonnes, mais difficile à rendre pleinement en français, est à mi-chemin entre la notion de légitimité politique, et l’idée d’être comptable de ses actions devant un corps donné (électeurs, institution…).
[2] Pour être tout à fait précis, on peut rattacher deux valeurs aux actifs : leur valeur de marché, qui est celle à laquelle les actifs s’échangent sur les places financières, et leur valeur comptable, qui est la valeur estimée par les acteurs financiers pour quantifier leur bilan. En temps de crise, le prix de marché des actifs décroissant rapidement, il est habituel que la valeur comptable soit supérieure au prix de marché – les agents financiers ayant de surcroît une incitation à gonfler leurs bilans.
[3] Pour être précis, nous n’invoquons pas ici le spectre maintes fois agité de la théorie quantitative de la monnaie, selon laquelle toute création monétaire devrait se solder par de l’inflation incontrôlable. Si cette approche a été réfutée par une analyse fine des mécanismes institutionnels de la création monétaire (REF), il n’en reste pas moins que si la création monétaire se traduit en dépenses dans l’économie réelle, des tensions inflationnistes peuvent émerger à l’approche du plein-emploi.